Il
secolo del martirio (Le si�cle du martyre), c'est le titre d'un
livre publi� cette semaine en Italie et qui devrait para�tre en France
� l'automne. Son auteur? Andrea Riccardi, professeur d'histoire
contemporaine a l'universit� de Rome III et fondateur de la communaut�
Sant'Egidio. Rencontre � Rome, dans le petit couvent du Trastevere qui
abrite le si�ge de sa communaut�.
Quel
est le sens de la c�l�bration des �nouveaux martyrs� le 7 mai au
Colis�e?
Comme
pour la rencontre d'Assise en 1986, cette c�l�bration est le fruit
d'une formidable intuition du pape Jean-Paul Il. Elle est li�e � sa
vie personnelle, � sa jeunesse en Pologne pendant la Seconde Guerre
mondiale o� il a vu le drame de beaucoup d'hommes et de femmes
assassin�s, victimes de la barbarie nazie. Il a connu les pers�cutions
du r�gime communiste. A travers cette exp�rience personnelle, le Pape
nous fait d�couvrir me dimension r�elle de l'Eglise du xxe si�cle
jamais autant de chr�tiens ne sont morts pour la foi, pour l'amour,
pour la justice. Le martyre a accompagn� l'histoire chr�tienne depuis
les origines, mais on peut dire que ce si�cle terrible restera le
si�cle du martyre. Et cela, nous devons le transmettre aux
g�n�rations futures. C'est d'ailleurs l'une des pr�occupations du
Pape: le peuple de Dieu ne doit pas perdre la m�moire.
Peut-on
dire qu'il s'agit d'une oeuvre de r�appropriation par l'Eglise de sa
propre m�moire?
Tout � fait. A cet �gard, la Commission des nouveaux martyrs mise
en place pour la circonstance a accompli un excellent travail de
collecte d'informations. Au-del�, il faut souligner l'int�r�t qui est
n� dans les Eglises locales pour r�cup�rer la m�moire. Depuis
quelques mois, des c�l�brations ont lieu un peu partout dans le monde.
Cette attention de l'Eglise envers les martyrs d'aujourd'hui me parait
tout � fait juste. Cela nous invite � changer notre regard sur
l'Eglise.
Que
voulez-vous dire par ces mots'
L'Eglise de cette fin de si�cle n'est plus riche et puissante comme
elle a pu l'�tre parfois dans le pass�. Elle est redevenue une Eglise
de martyrs. En Am�rique latine, en Afrique, dans les anciens pays du
bloc de l'Est, en Chine, en Italie m�me, contre la mafia, des hommes et
des femmes meurent � cause de leur foi. Son visage est aujourd'hui
celui d'une Eglise souffrante et r�sistante. Sa force est celle des
faibles, des petits et des pers�cut�s. La c�l�bration du Colis�e
devrait servir � sensibiliser encore plus les Eglises locales. Aimons
nos martyrs car ils sont nos ma�tres dans la foi.
On
utilise l'expression nouveaux martyrs" ? Qu'ont-ils de si nouveau?
Aujourd'hui, le Saint-Si�ge pr�f�re parler des " t�moins de
la foi ". L'expression "nouveaux martyrs" vient de
l'Eglise orthodoxe grecque qui d�signe par l� les victimes du
communisme dans les anciens pays du bloc de l'Est. Cette expression
d�crit bien le ph�nom�ne. C'est un fait qu'il faut souligner: il y a
eu, au cours de ce si�cle, des blessures terribles dans le corps de
l'Eglise. On peut les trouver sur la carte g�ographique et dans
l'histoire de notre si�cle. Mais elles ne sont pas isol�es. Il ne faut
pas oublier les millions de morts de la Grande Guerre, les victimes de
la Shoah et de tous les g�nocides de ce si�cle qui fut l'un des plus
terrifiants de 1'Histoire.
N'y
a-t-il pas danger de faire de cette c�l�bration un temps � la gloire
de la seule Eglise catholique?
Le martyre est une r�alit� oecum�nique. Combien de chr�tiens,
par exemple, ont �t� assassin�s en Union Sovi�tique ? Un million ?
Deux millions? Trois cents �v�ques orthodoxes ont �t� ex�cut�s.
Des catholiques, des �vang�liques sont morts � leurs c�t�s. Pour
Jean-Paul lI, les martyrs ont compris l'unit� des chr�tiens mieux que
nous ne la comprenons nous-m�mes. Ils l'ont m�me r�alis�e � travers
la souffrance et la pers�cution. C'est pourquoi la c�l�bration du
Colis�e sera, elle aussi, oecum�nique. L'unit� ne se fait pas que
dans les discours. Elle se fait aussi dans le sang, dans la r�sistance
et dans la pri�re.
Le
communisme est-il le seul syst�me politique � avoir pers�cut� les
chr�tiens?
Dans mon ouvrage, je consacre tout un chapitre � l'Ordre Nouveau.
Le projet d'Hitler se pr�sente sous forme d'idol�trie. Malgr� la
faiblesse des Eglises et celle de nombreux chr�tiens, on peut dire
qu'il y a eu une r�sistance chr�tienne � cette idol�trie. Les nazis
n'ont pas h�sit� � s'en prendre � des responsables d'Eglises. Le
patriarche orthodoxe serbe a ainsi �t� d�port� � Dachau. Au cours
de ce si�cle, beaucoup d'�v�ques ont connu la mort ou la pers�cution
parce qu'ils �taient vraiment au milieu de leur peuple. Comment ne pas
songer au pape Jean-Paul Il, qui. � la suite de son voyage � Istanbul,
a �t� victime d'un attentat ? Il aurait pu, lui aussi, devenir un
martyr. Il faut aussi mentionner toutes les victimes des dictatures
d'Am�rique latine ou celles des minorit�s chr�tiennes dans des pays
musulmans tels que le Pakistan.
Les
chr�tiens d'Asie ont-ils connu un meilleur sort?
Connaissez-vous l'histoire de ces trappistes de l'abbaye de
Notre-Damede-la-Consolation, � Yang Jiaping, au nord-ouest de P�kin,
en Chine. Chass�s de leur monast�re au moment de la r�volution
mao�ste, ils ont �t� contraints de marcher pendant des mois et des
mois. Il s'agissait d'une longue marche insens�e, ne conduisant nulle
part. Et ils sont tomb�s l'un apr�s l'autre. Cette histoire dramatique
se conjugue avec beaucoup d'autres et contribuent � forger la grande
histoire de l'Eglise. Qui la conna�t vraiment ? Qui sait ce qui se
passe en ce moment en Cor�e du Nord? Qui se souvient encore du
g�nocide cambodgien et de tous ces chr�tiens - et les autres - morts
dans les camps de r��ducation?
Certains
contestent � ces chr�tiens anonymes le titre de �martyrs de la foi�.
Comment faites-vous, vous m�me, la part des choses?
Je ne suis pas un juge " canonique". Je suis historien.
J'essaie de recueillir les t�moignages des Eglises locales ou des
missionnaires du monde entier et je cherche � les comprendre. Je ne
d�clare personne " martyr ". Mais je constate que, dans la
plupart des cas, les chr�tiens qui sont morts dans des circonstances
violentes ne sont pas morts par hasard, ils sont morts parce qu'ils sont
rest�s. parce qu'ils ont choisi de rester alors qu'ils auraient pu
partir. Ils sont rest�s par amour des pauvres, par amour des fid�les,
solidaires de leur peuple. Je pense � cette religieuse assassin�e au
Rwanda qui a refus� de quitter le pays pour continuer � soigner les
enfants � l'h6pital. Ce fut aussi le cas des moines de Tibhirine qui
n'ont jamais voulu abandonner la terre d'Alg�rie.
Vous
�voquez aussi les victimes de la mafia.
De la mafia et du terrorisme. C'est une r�alit� tr�s nouvelle. Je
pense au cardinal Ocampo, assassin� en 1993 � Guadalajara. au Mexique.
Je pense aussi � ce pr�tre italien, le p�re Poglisi. �galement
victime de la mafia. Les narcotrafiquants trouvent souvent dans l'Eglise
un obstacle � leurs activit�s et � leur volont� de puissance.
Que
pensez-vous du cas tr�s discut� de Martin Luther King?
Je pense qu'il faut sortir du pi�ge du mod�le canonique, fixant
les r�gles pour les proc�s de b�atification ou de canonisation. En ce
qui me concerne, j'estime n'avoir aucune autorit� pour faire l'examen
de Luther King ou d'autres, m�me parmi les catholiques. Les �piscopats
d'Am�rique latine ont envoy� peu de t�moignages car beaucoup de cas
sorti controvers�s. Vous le savez, Mgr Oscar Romero, pour lequel j'ai
personnellement beaucoup de d�votion, ne fait pas l'unanimit�. C'est
de l'histoire proche. Il y a encore beaucoup de passion.
L'Espagne
a la palme
En r�ponse au questionnaire diffus� par la Commission des nouveaux
martyrs pour recenser les martyrs du XXe si�cle, chaque pays a propos�
une liste d�taill�e: Les Etats-Unis: 24 noms, dont les quatre
religieuses assassin�es au Salvador en 1980; le Mexique: 100 noms; la
France: 300 noms parmi lesquels beaucoup de victimes du nazisme mais
aussi des missionnaires tels qu'Andr� Jarlan abattu le 4 septembre
1984, � Santiago du Chili, lors de la r�pression d'une manifestation
contre la dictature du g�n�ral Pinochet, ou encore Alice Domon et
L�onie Duquet ces deux religieuses victimes des militaires argentins:
l'Ukraine: 600 noms; l'Allemagne: 800 noms; la Pologne : 900 noms,
victimes du nazisme et du communisme, et surtout, l'Espagne, 5 000 noms,
soit pr�s de la moiti� du nombre pr�vu au catalogue! Un chiffre qui
soul�ve deux objections. La premi�re, c'est que le nombre des victimes
de la guerre civile refl�te certes la cruaut� des combats, mais ne
peut occulter et encore moins justifier la d�sastreuse osmose entre
l'Eglise de ce pays et le franquisme. La deuxi�me est que les Eglises
riches ont envoy�, en moyenne, bien plus de noms que les Eglises
pauvres, qui n'ont pas les m�mes capacit�s de r�action et de
recherche.
|