Comunità di S.Egidio


 

LA VIE

 10 mai 2000

Une Eglise r�sistante
Andrea Riccardi

 

Il secolo del martirio (Le si�cle du martyre), c'est le titre d'un livre publi� cette semaine en Italie et qui devrait para�tre en France � l'automne. Son auteur? Andrea Riccardi, professeur d'histoire contemporaine a l'universit� de Rome III et fondateur de la communaut� Sant'Egidio. Rencontre � Rome, dans le petit couvent du Trastevere qui abrite le si�ge de sa communaut�.

Quel est le sens de la c�l�bration des �nouveaux martyrs� le 7 mai au Colis�e?

Comme pour la rencontre d'Assise en 1986, cette c�l�bration est le fruit d'une formidable intuition du pape Jean-Paul Il. Elle est li�e � sa vie personnelle, � sa jeunesse en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale o� il a vu le drame de beaucoup d'hommes et de femmes assassin�s, victimes de la barbarie nazie. Il a connu les pers�cutions du r�gime communiste. A travers cette exp�rience personnelle, le Pape nous fait d�couvrir me dimension r�elle de l'Eglise du xxe si�cle jamais autant de chr�tiens ne sont morts pour la foi, pour l'amour, pour la justice. Le martyre a accompagn� l'histoire chr�tienne depuis les origines, mais on peut dire que ce si�cle terrible restera le si�cle du martyre. Et cela, nous devons le transmettre aux g�n�rations futures. C'est d'ailleurs l'une des pr�occupations du Pape: le peuple de Dieu ne doit pas perdre la m�moire.

Peut-on dire qu'il s'agit d'une oeuvre de r�appropriation par l'Eglise de sa propre m�moire?
Tout � fait. A cet �gard, la Commission des nouveaux martyrs mise en place pour la circonstance a accompli un excellent travail de collecte d'informations. Au-del�, il faut souligner l'int�r�t qui est n� dans les Eglises locales pour r�cup�rer la m�moire. Depuis quelques mois, des c�l�brations ont lieu un peu partout dans le monde. Cette attention de l'Eglise envers les martyrs d'aujourd'hui me parait tout � fait juste. Cela nous invite � changer notre regard sur l'Eglise.

Que voulez-vous dire par ces mots'
L'Eglise de cette fin de si�cle n'est plus riche et puissante comme elle a pu l'�tre parfois dans le pass�. Elle est redevenue une Eglise de martyrs. En Am�rique latine, en Afrique, dans les anciens pays du bloc de l'Est, en Chine, en Italie m�me, contre la mafia, des hommes et des femmes meurent � cause de leur foi. Son visage est aujourd'hui celui d'une Eglise souffrante et r�sistante. Sa force est celle des faibles, des petits et des pers�cut�s. La c�l�bration du Colis�e devrait servir � sensibiliser encore plus les Eglises locales. Aimons nos martyrs car ils sont nos ma�tres dans la foi.

On utilise l'expression nouveaux martyrs" ? Qu'ont-ils de si nouveau?
Aujourd'hui, le Saint-Si�ge pr�f�re parler des " t�moins de la foi ". L'expression "nouveaux martyrs" vient de l'Eglise orthodoxe grecque qui d�signe par l� les victimes du communisme dans les anciens pays du bloc de l'Est. Cette expression d�crit bien le ph�nom�ne. C'est un fait qu'il faut souligner: il y a eu, au cours de ce si�cle, des blessures terribles dans le corps de l'Eglise. On peut les trouver sur la carte g�ographique et dans l'histoire de notre si�cle. Mais elles ne sont pas isol�es. Il ne faut pas oublier les millions de morts de la Grande Guerre, les victimes de la Shoah et de tous les g�nocides de ce si�cle qui fut l'un des plus terrifiants de 1'Histoire.

N'y a-t-il pas danger de faire de cette c�l�bration un temps � la gloire de la seule Eglise catholique?
Le martyre est une r�alit� oecum�nique. Combien de chr�tiens, par exemple, ont �t� assassin�s en Union Sovi�tique ? Un million ? Deux millions? Trois cents �v�ques orthodoxes ont �t� ex�cut�s. Des catholiques, des �vang�liques sont morts � leurs c�t�s. Pour Jean-Paul lI, les martyrs ont compris l'unit� des chr�tiens mieux que nous ne la comprenons nous-m�mes. Ils l'ont m�me r�alis�e � travers la souffrance et la pers�cution. C'est pourquoi la c�l�bration du Colis�e sera, elle aussi, oecum�nique. L'unit� ne se fait pas que dans les discours. Elle se fait aussi dans le sang, dans la r�sistance et dans la pri�re.

Le communisme est-il le seul syst�me politique � avoir pers�cut� les chr�tiens?
Dans mon ouvrage, je consacre tout un chapitre � l'Ordre Nouveau. Le projet d'Hitler se pr�sente sous forme d'idol�trie. Malgr� la faiblesse des Eglises et celle de nombreux chr�tiens, on peut dire qu'il y a eu une r�sistance chr�tienne � cette idol�trie. Les nazis n'ont pas h�sit� � s'en prendre � des responsables d'Eglises. Le patriarche orthodoxe serbe a ainsi �t� d�port� � Dachau. Au cours de ce si�cle, beaucoup d'�v�ques ont connu la mort ou la pers�cution parce qu'ils �taient vraiment au milieu de leur peuple. Comment ne pas songer au pape Jean-Paul Il, qui. � la suite de son voyage � Istanbul, a �t� victime d'un attentat ? Il aurait pu, lui aussi, devenir un martyr. Il faut aussi mentionner toutes les victimes des dictatures d'Am�rique latine ou celles des minorit�s chr�tiennes dans des pays musulmans tels que le Pakistan.

Les chr�tiens d'Asie ont-ils connu un meilleur sort?
Connaissez-vous l'histoire de ces trappistes de l'abbaye de Notre-Damede-la-Consolation, � Yang Jiaping, au nord-ouest de P�kin, en Chine. Chass�s de leur monast�re au moment de la r�volution mao�ste, ils ont �t� contraints de marcher pendant des mois et des mois. Il s'agissait d'une longue marche insens�e, ne conduisant nulle part. Et ils sont tomb�s l'un apr�s l'autre. Cette histoire dramatique se conjugue avec beaucoup d'autres et contribuent � forger la grande histoire de l'Eglise. Qui la conna�t vraiment ? Qui sait ce qui se passe en ce moment en Cor�e du Nord? Qui se souvient encore du g�nocide cambodgien et de tous ces chr�tiens - et les autres - morts dans les camps de r��ducation?

Certains contestent � ces chr�tiens anonymes le titre de �martyrs de la foi�. Comment faites-vous, vous m�me, la part des choses?
Je ne suis pas un juge " canonique". Je suis historien. J'essaie de recueillir les t�moignages des Eglises locales ou des missionnaires du monde entier et je cherche � les comprendre. Je ne d�clare personne " martyr ". Mais je constate que, dans la plupart des cas, les chr�tiens qui sont morts dans des circonstances violentes ne sont pas morts par hasard, ils sont morts parce qu'ils sont rest�s. parce qu'ils ont choisi de rester alors qu'ils auraient pu partir. Ils sont rest�s par amour des pauvres, par amour des fid�les, solidaires de leur peuple. Je pense � cette religieuse assassin�e au Rwanda qui a refus� de quitter le pays pour continuer � soigner les enfants � l'h6pital. Ce fut aussi le cas des moines de Tibhirine qui n'ont jamais voulu abandonner la terre d'Alg�rie.

Vous �voquez aussi les victimes de la mafia.
De la mafia et du terrorisme. C'est une r�alit� tr�s nouvelle. Je pense au cardinal Ocampo, assassin� en 1993 � Guadalajara. au Mexique. Je pense aussi � ce pr�tre italien, le p�re Poglisi. �galement victime de la mafia. Les narcotrafiquants trouvent souvent dans l'Eglise un obstacle � leurs activit�s et � leur volont� de puissance.

Que pensez-vous du cas tr�s discut� de Martin Luther King?
Je pense qu'il faut sortir du pi�ge du mod�le canonique, fixant les r�gles pour les proc�s de b�atification ou de canonisation. En ce qui me concerne, j'estime n'avoir aucune autorit� pour faire l'examen de Luther King ou d'autres, m�me parmi les catholiques. Les �piscopats d'Am�rique latine ont envoy� peu de t�moignages car beaucoup de cas sorti controvers�s. Vous le savez, Mgr Oscar Romero, pour lequel j'ai personnellement beaucoup de d�votion, ne fait pas l'unanimit�. C'est de l'histoire proche. Il y a encore beaucoup de passion.

 

L'Espagne a la palme
En r�ponse au questionnaire diffus� par la Commission des nouveaux martyrs pour recenser les martyrs du XXe si�cle, chaque pays a propos� une liste d�taill�e: Les Etats-Unis: 24 noms, dont les quatre religieuses assassin�es au Salvador en 1980; le Mexique: 100 noms; la France: 300 noms parmi lesquels beaucoup de victimes du nazisme mais aussi des missionnaires tels qu'Andr� Jarlan abattu le 4 septembre 1984, � Santiago du Chili, lors de la r�pression d'une manifestation contre la dictature du g�n�ral Pinochet, ou encore Alice Domon et L�onie Duquet ces deux religieuses victimes des militaires argentins: l'Ukraine: 600 noms; l'Allemagne: 800 noms; la Pologne : 900 noms, victimes du nazisme et du communisme, et surtout, l'Espagne, 5 000 noms, soit pr�s de la moiti� du nombre pr�vu au catalogue! Un chiffre qui soul�ve deux objections. La premi�re, c'est que le nombre des victimes de la guerre civile refl�te certes la cruaut� des combats, mais ne peut occulter et encore moins justifier la d�sastreuse osmose entre l'Eglise de ce pays et le franquisme. La deuxi�me est que les Eglises riches ont envoy�, en moyenne, bien plus de noms que les Eglises pauvres, qui n'ont pas les m�mes capacit�s de r�action et de recherche.