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septembre 2000 |
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UNE COMMUNAUT� RELIGIEUSE DANS LA M�DIATION DES CONFLITS |
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ils ont r�dig� la plate-forme de Rome sur la paix en Alg�rie. Ils ont contribu� � l'ouverture de n�gociations entre la gu�rilla et le pouvoir au Guatemala. Ils avaient � accouch� � la paix au Mozambique et esp�rent en faire autant au Burundi. Les membres de la communaut� Sant'Egidio, n�e dans les banlieues pauvres de Rome, mettent ainsi en uvre une � diplomatie parall�le � qui �tonne par son efficacit�. Pour r�ussir, ils lient engagements religieux, caritatif et international. Du 24 au 26 septembre, � Lisbonne, ils organisent une Pri�re internationale pour la paix, � laquelle participent des centaines de personnalit�s de toutes les religions. Relook�e en l'honneur du Jubil�, parcourue de fid�les qui ont d�clin� leur foi tout au long de l'ann�e - par professions, couches sociales, pays, et avec force rassemblements, processions, hom�lies, b�n�dictions, r�v�lations (1) -, Rome, la capitale du catholicisme, continue de s'�tourdir dans les festivit�s du mill�naire, pr�f�rant oublier qu'elle vit aussi un pontificat finissant (2). L'habituelle invasion touristique estivale mais aussi la retentissante Gay Pride - organis�e d�but juillet, malgr� le retrait de la municipalit� et l'opposition virulente du Vatican - ont contribu� � " mondialiser " l'antique cit�. C'est sur ce terreau provincial, mais anim� d'un souffle universel, qu'est n�e la communaut� Sant'Egidio, � l'initiative de M. Andrea Riccardi, un jeune bourgeois - son p�re pr�sidait une banque - qui, bien qu'�lev� dans un climat familial tol�rant, �tranger � la D�mocratie chr�tienne, s'�tait passionn� pour l'Evangile et les th�ologiens du concile Vatican II (3) plut�t que pour Le Capital. Il consid�rait les odes soixante-huitardes enflamm�es comme " abstraites " ou " d�pass�es ", mais ne se satisfaisait pas non plus d'une Eglise jug�e " lointaine ". Au lieu de " s'�tablir " en usine, comme le pr�conisaient les " maos ", M. Andrea Riccardi partait en Vespa � la d�couverte des borgate, les baraques de la banlieue pauvre : " C'�tait trauma tisant, se souvient-il. S'immerger dans ces bidonvilles, avec leur vie violente, c'�tait comprendre que le tiers-monde �tait dans Rome. La tromperie de la ville bourgeoise consiste � ne pas montrer les pauvres. On avait d�velopp� une lecture de la banlieue comme un grand d�sert o� le peuple de Dieu �tait destin� � entendre l'appel, � marcher vers la terre promise. On commen�ait � b�tir des communaut�s dans la banlieue : libres, autonomes, �vang�liques, avec des femmes (sur lesquelles la marginalit� pesait encore plus), des travailleurs, des jeunes au ch�mage... " Trente ans plus tard, la communaut� rassemble une trentaine de milliers de membres. Elle a essaim� dans vingt-cinq points de Rome, mais aussi dans une trentaine de pays, o� trois cents groupes de base se r�clament de l'esprit de Sant'Egidio. L'amiti� avec les pauvres, rest�e un des fondements de la communaut�, a conduit Sant'Egidio - du nom de l'ancien monast�re romain qui lui sert de quartier g�n�ral - � " mieux comprendre que la guerre est la m�re de toutes les pauvret�s ". Et, pour �viter que ses projets d'aide humanitaire soient ruin�s par les combats, � jouer un r�le de " facilitateur " ou m�diateur dans les conflits fratricides au Mozambique, au Guatemala, en Alg�rie, dans les Balkans... Ces diplomates �clair�s de Sant'Egidio, ces crois�s de l'an 2000, pour qui tous les conflits m�nent � Rome ; ces diplomates sans fronti�res, inventeurs de paix ou ambassadeurs sans titres, ont s�duit de nombreux m�dias (4), et acquis une r�putation de magiciens aupr�s de chefs d'Etat, seigneurs de guerre et responsables politiques du monde entier. " On trouve dans le monde des gens qui prient. D'autres qui font la charit�. D'autres encore qui sont engag�s sur le terrain diplomatique. Mais les trois activit�s intrins�quement li�es, c'est unique, et cela les aide � garder les pieds sur terre lorsqu'ils s'occupent d'international ", juge M.Jean-Dominique Durand, conseiller culturel � l'ambassade de France aupr�s du Saint-Si�ge (5). Leur quartier g�n�ral : un ancien carmel sur la place Sant'Egidio, dans l'ex-quartier populaire - devenu plut�t bourgeois et " branch� " - du Trastevere. Ils font visiter avec gourmandise les salles, chapitres, r�fectoires et caves. Ou l'ancienne �glise des carm�lites, transform�e en salle de banquet pour les pauvres � No�l. Et surtout la sympathique petite cour ombr�e par des bananiers, qui a servi � tant de conciliabules, et qu'ont fr�quent�e r�cemment le Congolais Laurent-D�sir� Kabila, le Rwandais Paul Kagame, l'Ougandais Museweni, le Brazzavillois Denis Sassou Nguesso, la secr�taire d'Etat am�ricaine Madeleine Albright et son homologue fran�ais Hubert Vedrine, le Kosovar mod�r� Ibrahim Rugova, l'ex-pr�sident sovi�tique Mikha�l Gorbatchev, et bien d'autres. Autre lieu qui fait leur fiert�, et reste leur raison d'�tre, insistent-ils : la mensa, via Dandolo - une " soupe populaire " qui sert chaque jour 1 800 repas gratuits. Les exclus de la capitale romaine, SDF (6) ou immigr�s souvent sans papiers, peuvent �galement y suivre des cours, emprunter des livres, b�n�ficier d'une aide administrative et de bo�tes postales. Non loin de Sant'Egidio, les membres de la communaut� se retrouvent chaque soir � la paroisse Santa Maria du Trastevere, pour une pri�re collective, publique, souvent chant�e � la fa�on des chr�tiens d'Orient, avec une assistance toujours nombreuse. " Nous �tions les extr�mistes de l'Eglise - des extraeccl�siaux, comme il y a les extraparlementaires, raconte M. Riccardi � propos des d�buts de la communaut�. Nous pensions que, si nous �tions vraiment des chr�tiens, le monde serait chang�, et que l'Eglise serait r�form�e. " Ils en sont toujours l�... Mais c'est � leur entregent diplomatique que les b�n�voles de Sant'Egidio - chacun exerce par ailleurs un m�tier - doivent leur aura : un carnet d'adresses et un savoir-faire enrichis au fil d'une trentaine d'ann�es de militantisme social ; un g�nie du dialogue et de la m�diation qui leur a fait accomplir un " miracle " au Mozambique, et remporter bien des demi-succ�s ailleurs dans le monde (voir encadr� page 17). D�sormais tr�s courtis�s, ces experts �s diplomatie se d�fendent d'appliquer des recettes toutes faites. Plut�t un savoir-faire, ou une sorte de " grammaire " (7). D'abord, savoir utiliser comme une force la faiblesse de la communaut� elle-m�me : " Elle ne peut ni mobiliser une arm�e ni signer des ch�ques mirobolants, explique M. Mario Giro, permanent � la Conf�d�ration internationale des syndicats libres (CISL), un des piliers tout-terrain de l'�quipe. Elle n'a pas d'autre int�r�t que celui de la paix, pas d'autres armes que sa sinc�rit�, sa culture de l'amiti�, ou la confiance qu'elle peut inspirer gr�ce � la connaissance acquise aupr�s des bellig�rants. " Ensuite, tenter d'obtenir des acteurs, dans un premier temps, qu'ils admettent au moins qu'ils sont fils du m�me pays. Une reconnaissance mutuelle indispensable : il faut �tre au moins deux pour commencer � se parler. En outre, l'isolement ou la solitude d'un groupe, d'un parti, d'un homme peut les rendre fous et d�clencher ou prolonger la guerre, comme au Mozambique, o� la R�sistance nationale du Mozambique (Renamo), d'Alfonso Dlakhama, s'enfermait dans ses fiefs ethniques, recourait de plus en plus aux exp�dients, et reculait r�guli�rement les bornes de l'horreur, � la mani�re des r�cents rebelles lib�riens ou sierra-l�onais (8). Il avait fallu quelque courage pour oser associer � un r�glement politique celui qui, aux yeux de la communaut� internationale, faisait figure de pestif�r�... D�marche difficile de reconnaissance mutuelle aussi dans le cas alg�rien - pour la r�daction de ce qui allait devenir la " plate-forme de Rome " (9) -, o� les divergences identitaires �taient profondes entre " �radicateurs ", accus�s d'�tre " du parti de la France ", et islamistes, trait�s de " fils de l'Iran ou de l'Afghanistan " ; entre traditionalistes et modernes, francophones et arabophones, etc. Tentative tout aussi p�rilleuse au Burundi ou au Rwanda, o� les Hutus - pour cause de survie des minorit�s tutsies - ne sont plus consid�r�s comme des citoyens � part enti�re. Et dans les Balkans, o� l'histoire p�se si lourd : la bataille du Champ des Merles, invoqu�e par les Serbes pour justifier leur attachement � la province " sacr�e " du Kosovo, ne remonte-t-elle pas � 1386... ? Dans les restaurants du Trastevere Autre r�gle d'or : la patience, la dur�e : " Une organisation non gouvernementale a tout son temps, explique M. Giro. Elle sait qu'elle ne peut r�gler en trois jours un conflit qui a mis des d�cennies � se nouer. Alors que les diplomates officiels, agissant sous la pression des m�dias, des �lections, de l'opinion publique, doivent obtenir des r�sultats, et ne s'engagent que s'ils pensent en avoir. " Il aura fallu onze sessions de rencontres, �tal�es sur vingt-sept mois, pour verrouiller la paix au Mozambique, chef-d'oeuvre de Sant'Egidio : " La presse titrait : "Mozambique : les n�gociations pi�tinent". Mais tout se passait dans les restaurants du Trastevere. Et on ne laissait rien tra�ner derri�re - aucun d�tail, aucun acteur -, ce qui est capital lorsqu'il s'agit d'obtenir un d�sarmement g�n�ral avant une �lection. Alors qu'en Angola, trois mois apr�s les accords de Bicesse, la guerre avait repris... " Enfin, le souci de ne pas agir en solitaire. Pas question d'�carter la diplomatie officielle : " Il faut l'impliquer, au contraire, pour l'emp�cher de se d�sint�resser du dossier : c'est d'ailleurs le seul moyen de l'influencer ", commente M. Giro. Dans le cas du Mozambique, la communaut� s'�tait assur�e du soutien moral du Vatican et de l'appui financier et diplomatique du gouvernement italien. Pour le Kosovo avant la guerre avec l'OTAN, contre laquelle la communaut� s'�tait �lev�e, les navettes avaient �t� multipli�es avec le Groupe de contact, et la secr�taire du d�partement d'Etat am�ricain, Mme Albright, re�ue dans l'ancien carmel. Une synergie d'autant plus n�cessaire que des n�gociations de paix ne se r�duisent pas � l'�laboration et � la signature d'un document, quand elle y aboutit. La suite, extr�mement complexe, met en jeu aussi bien le d�veloppement que la d�mocratie, la r�conciliation que le travail de m�moire, et s'appuie sur un �chafaudage de garanties, cr�dits, etc., auxquels les Etats et la communaut� internationale doivent �tre associ�s, et pas seulement les " peacemakers ". Don Matteo Zuppi, cur� de Santa Maria del Trastevere, responsable des questions africaines, a pr�sid�, ces derniers mois, la commission " pour le changement de l'arm�e et la cessation des hostilit�s " � Arusha, le cadre de la n�gociation sur le retour de la paix au Burundi, coordonn�e par les ex-pr�sidents Julius Nyerere puis Nelson Mandela. Il se m�fie du " mythe qui voudrait qu'une ONG puisse, � elle seule, ramener un certain ordre ". C'est ce " travail en r�seau " qui fait �galement l'originalit� de Sant'Egidio : utiliser tous les canaux, actionner tous les leviers, puiser dans les ressources de la soci�t� civile, m�me si, affirme M. Giro, charg� �galement des questions africaines, " on y trouve de tout ". Ainsi, pour d�crocher la paix au Mozambique, la communaut� avait multipli� les rencontres entre le secr�taire g�n�ral du PCI, Enrico Berlinguer, et l'archev�que de Beira, Mgr Jaime Gon�alves, venu expliquer comment chez lui tous les s�minaires catholiques avaient �t� ferm�s et les cloches des �glises emp�ch�es de sonner du fait des dirigeants du Front de lib�ration du Mozambique (Frelimo), les amis " naturels " du leader communiste italien. Un dialogue qui ramenait � la vieille dialectique italienne de Peppone et de Don Camillo... " Apr�s le succ�s du Mozambique, beaucoup de gu�rillas, de mouvements d'opposition des pays africains nous ont cherch�s ", reconna�t M. Marco Impagliazatto, charg� des pays arabes. Pour lui, Sant'Egidio comble un vide : " L'Italie n'a plus de grande politique �trang�re. Il fut un temps o� son Parti communiste �tait le principal d'Europe, sa D�mocratie chr�tienne la premi�re du monde, o� son gouvernement regardait vers les anciennes colonies de M�diterran�e et de la Corne de l'Afrique, et o� le Vatican, emmen� par un pape voyageur, multipliait les initiatives spectaculaires... " " Nous ne sommes pas all�s en Afrique : c'est celle-ci qui est venue nous chercher � Rome, affirme M. Impagliazatto. Pendant dix-huit ans, Sant'Egidio a surtout travaill� avec les pauvres de Rome, notamment les �trangers, qui r�clamaient assistance, mais se demandaient aussi ce que devenaient leurs parents et amis, dans leur pays. Aujourd'hui, dans vingt-quatre pays africains, il y a des communaut�s qui partagent notre spiritualit�, mais jouissent de leur compl�te libert� d'action. On parle de Sant'Egidio comme d'une machine diplomatique, mais j'y vois plut�t une r�alit� de base, des hommes et femmes qui travaillent sur le terrain. " Cet enracinement sur le continent donne " une perception intime des soci�t�s en guerre ", rench�rit M. Giro. " Quand un chef africain vient � Rome, ajoute M. Impagliazatto, qui dirige aussi le programme Jubil� � la RAI, la radio-t�l�vision publique, ce n'est pas nous que nous mettons en avant, d�sormais, mais ces communaut�s africaines sur le terrain, par exemple les deux mille jeunes qui se reconnaissent dans celle du Mozambique, d'autres en Afrique occidentale : ils ont des id�es, des propositions pour leur pays. " Au Mozambique, la communaut� s'est impliqu�e dans la reconstruction du pays, avec l'ouverture d'ici � la fin de cette ann�e d'un h�pital pour les malades de la tuberculose et du sida. Sant'Egidio a cependant eu maille � partir avec l'Organisation de l'unit� africaine (OUA) depuis le demi-�chec de sa tentative alg�rienne (voir en encadr� : " Travaux pratiques congolais "). On s'y m�fie du " bloc de la renaissance ", de " l'Afrique aux Africains " et autres slogans du nouveau politiquement correct continental : " Une bonne partie de ces pays de la "nouvelle Afrique" se sont engag�s dans les guerres, notamment au Congo ", affirme M. Zuppi. Quand les dirigeants de ces pays viennent du militantisme de gauche, ils ont perdu le plus souvent tout ancrage id�ologique : ils ont fait table rase, mais n'ont rien pu mettre � la place. Tout comme ces nouveaux dirigeants de l'ex-URSS, � qui on avait dit que Dieu n'existe pas mais qui ont perdu aussi leur morale sovi�tique : ils n'ont pas grandi dans une culture, bonne ou mauvaise, et n'ont pu combler ce vide qu'en faisant assaut d'orthodoxie et de nationalisme aveugle, comme en ex-Yougoslavie. " Un Mandela a une �thique, estime M. Giro, mais Chissano, Kagam�, Afeworki (10), qui sont pr�ts � jouer le sort de leurs peuples sur une impulsion ? Ce vieux malin d'Houphou�t avait tout de m�me quelques principes : sa g�n�ration �tait plus form�e, il n'agonisait pas la religion... " Pour M. Zuppi aussi, " ils pr�f�rent acheter des armes, acceptent avec un certain cynisme la mis�re, s'enrichissent comme des fous ". Sant'Egidio regrette l'absence d'une formation politique, d'une vraie classe dirigeante africaine. Et on trouve des vertus inattendues � l'exp�rience franco-africaine : " Une grande aventure, certes ambigu�, estime M. Riccardi, mais une id�e imp�riale, un dessein, une �ducation, des cultures m�l�es. A Abidjan, on voyait les Burkinab�s m�l�s aux Ivoiriens : c'�tait plus humain que le mouvement de globalisation actuel, o� l'absence de culture politique d�bouche sur un dangereux ethnicisme. " L'espoir, sur le continent noir, viendrait-il des Eglises chr�tiennes ? Mais elles sont tr�s cl�ricales, institutionnelles, fonctionnant surtout comme un instrument de promotion. " L'acculturation, l'africanisation des liturgies : � quoi bon, si c'est pour faire l'impasse sur le social ? ", interroge M. Giro, pour qui cette grande force est peu canalis�e et souffre d'un manque de vision. Pendant qu'en avril-mai 1994, � Rome, le pape r�unissait pour la premi�re fois un synode o� les Africains d�battaient, sans ligne dict�e par la Curie romaine, de la question des ethnies et des droits de l'homme, se d�roulait au Rwanda un g�nocide : " Entre chr�tiens. Quel terrible symbole ! " Beaucoup, � Sant'Egidio, se m�fient aussi de certaines ONG, b�ties selon les canons de la Banque mondiale, �quip�es pour capter les cr�dits internationaux. Et qui servent de plus en plus de caution au d�sengagement des pays riches, tent�s par " l'approche de l'ambulance " : on fait beaucoup de bruit, on sauve des vies, on repart. Les grandes nations se sont pr�cipit�es sur cette " invention " : elle g�n�re un meilleur retour d'image que la coop�ration pour le d�velop pement � l'ancienne, " certes d�valu�e, paternaliste, source de g�chis et de corruption, mais dans laquelle il y avait une id�e de partenariat sur une longue p�riode ", affirme M. Giro, pour qui les exp�riences en Albanie, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, au Soudan invitent � la prudence : " Oui, les talibans sont des fous ; mais � diaboliser, que gagne-t-on ? Des embargos partout, des lignes Maginot, cela ne r�sout pas les probl�mes des gens, et cela risque de pr�parer de nouvelles guerres ! " S'il y a un charisme de Sant'Egidio, affirme-t-il, ce serait celui de la relati visation : " Aujourd'hui, personne n'a la recette : ni la vieille realpolitik, ni l'application automatique du principe juste d'ing�rence, qui devient un alibi du d�sengagement. Pas de paix sans justice, disent-ils ; mais pas de justice sans paix, non plus. L'important, c'est d'accepter la contradiction, qui est la r�gle aujourd'hui, d'entrer dans les probl�mes, de se donner le temps de convaincre. Sinon, c'est le clash of civilisation de Samuel Huntington, notamment la guerre culturelle avec l'islam. " Un sous-marin du Vatican ? A Sant'Egidio, on se d�fend d'ailleurs d'�tre des professionnels de la paix ou de la diplomatie parall�le, et on se m�fie de la sp�cialisation. Les quatre cinqui�mes de l'activit� de la communaut� � Rome sont consacr�s aux pauvres, au social : le restaurant populaire, les foyers de personnes �g�es, l'aide aux malades du sida, le soutien aux handicap�s et aux malades mentaux. Il n'y a pas de mur entre l'int�rieur et l'ext�rieur, et les amis comptent autant que les membres pour certaines d�cisions. Tout repose sur un esprit d'assembl�e et la recherche du consensus, sur l'harmonie du conseil de pr�sidence (dont les membres sont coopt�s au sein des coordinations), le tout fonctionnant " comme un r�seau, selon un ordre d�sordonn� ", assure le fondateur de la Communaut�. Et avec une douzaine seulement de permanents administratifs, et le support d'un budget annuel limit� : une vingtaine de millions de francs, chaque nouveau projet obligeant � la recherche d'un nouveau financement. Certains reprochent � la communaut� d'�tre " un Opus Dei de gauche ", un sous-marin du Vatican. Elle n'a pourtant �t� reconnue par le Saint-Si�ge qu'en 1986, apr�s dix-huit ans d'existence, et se dit tr�s jalouse de son autonomie. Les rapports avec le Vatican sont informels - " tr�s italiens ", explique Jean-Dominique Durand. Mais un lien direct, et fort, existe avec le pape, " en tant qu'�v�que de Rome " : la communaut� lui avait fait d�couvrir les pauvres de la capitale, aux d�buts de son pontificat. Jean Paul II " a toujours �t� tr�s affectueux avec nous ", explique M. Andrea Riccardi, qui �tait assis pr�s du pape, lors du " banquet des pauvres " organis� le 15 juin 2000, au Vatican. A sa demande, il vient aussi d'�crire un ouvrage sur le " si�cle des martyrs " - des catholiques clandestins de l'ex-Union sovi�tique ou d'Asie aux victimes de la r�pression en Am�rique latine ou... de la Mafia italienne (11). Le pape a charg� �galement la communaut� d'organiser, chaque ann�e, la " pri�re pour la paix ", un rendez-vous international pour l'oecum�nisme et le dialogue inter-religieux, devenu une des marques de fabrique de Sant'Egidio : la quatorzi�me Rencontre d'Assise se d�roulera � Lisbonne, du 24 au 26 septembre. De plus, Don Vincenzo Paglia, un des plus anciens pr�tres de la communaut�, a �t� nomm� �v�que en mars dernier : il s'�tait battu pour la b�atification de Mgr Oscar Romero, l'archev�que salvadorien assassin� par les militaires en 1980. Il avait �t� le premier repr�sentant de Rome � p�n�trer en Albanie, en 1991, lors de l'effondrement du r�gime communiste, pour y pr�parer discr�tement le r�tablissement d'une hi�rarchie catholique. L'an dernier, en pleine guerre du Kosovo, Don Paglia s'�tait rendu en Yougoslavie : quelques semaines plus tard, M. Ibrahim Rugova, jusque-l� assign� � r�sidence par les Serbes, arrivait � Rome et �tait re�u par le pape. " On peut les traiter de r�veurs, assure le cardinal Roger Etchegaray, un des principaux soutiens de Sant'Egidio � la Curie, qui a pr�sid� pendant quatorze ans la Commission pontificale Justice et paix. Mais j'ai toujours admir� leur obstination et soutenu leur volont� de r�soudre l'insoluble. " Un des monsignori de la secr�tairerie d'Etat - le minist�re des affaires �trang�res de l'Eglise catholique, qui entretient des relations diplomatiques avec cent soixante-douze Etats - estime que, sans en d�pendre, Sant'Egidio agit le plus souvent " en consensus " avec le Saint-Si�ge, parfois en concurrence. Mais on avait peu go�t�, dans les �tages de la Curie, les contacts �tablis avec M. Hassan El Tourabi, � l'�poque id�ologue du r�gime islamiste soudanais, �cart� du pouvoir depuis quelques mois. Certains critiquent le parcours politique sinueux de la communaut� (12). Certes, " elle n'est pas, en tant que telle, un lieu de pouvoir ", reconna�t-on au Vatican, o� l'on signale en revanche ses liens �troits avec de nombreux membres du gouvernement italien. Mais, gr�ce notamment � des r�seaux eccl�siastiques renforc�s chaque ann�e lors des Rencontres d'Assise, elle est un efficace groupe de pression aupr�s du Vatican, et pourrait aider, lors du conclave qui d�signera le successeur du pape Jean Paul II, � faire �lire un cardinal qui aurait ses faveurs. Pour l'heure, l'�quipe de " l'ONU du Trastevere " ne s'en soucie gu�re : son nouveau cheval de bataille est l'adoption d'un moratoire mondial sur les ex�cutions capitales � partir de cette ann�e, auquel vient de se rallier le pr�sident indon�sien, chef de la principale communaut� islamique du monde...
(1) Comme celle, tr�s controvers�e, des fameux � secrets de Fatima �.
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La Communaut� de Sant'Egidio est intervenue dans les conflits suivants : Liban (1982) : lev�e du si�ge du village de Deir El Khamar, par les druzes, et accord sur la protection des chr�tiens dans le Chouf. Albanie (1987) : accord pour des �lections sous contr�le international. Irak : sauvetage r�ussi de 800 r�fugi�s chald�ens chr�tiens irakiens et kurdes. Mozambique (1992) : conclusion d'un accord de paix, apr�s vingt-sept mois de n�gociations. Alg�rie (1995) : r�daction de la � plate-forme de Rome �, avec l'ensemble des formations politiques, y compris le Front islamique du salut (sauf le gouvernement). Guatemala (1996) : contribution au r�tablissement de relations entre la gu�rilla et le pr�sident de la R�publique. Kosovo (1996-1998) : n�gociation avec le pouvoir serbe, pour la r�ouverture des �coles et facult�s. Congo (1999) : Sant'Egidio pressentie pour l'organisation du � dialogue national �. Burundi (1997-2000) : participation aux n�gociations de paix d'Arusha. Ces actions - et d'autres - ont valu � Sant'Egidio le prix Unesco pour la recherche de la paix F�lix Houphou�t-Boigny 1999.
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Fort de son succ�s mozambicain - une gu�rilla de � bandits � coupant oreilles et nez devenue un parti politique, et acceptant sa d�faite �lectorale -, Sant'Egidio s'est attir� la sympathie partout en Afrique. En 1999, M. Laurent-D�sir� Kabila, le num�ro un du r�gime de Kinshasa, lui demande de s'investir dans le processus de recherche de la paix : au pire moment, celui d'une � chasse aux Tutsis � dans la capitale. Tous les groupes congolais sont pass�s par Sant'Egidio, mais la m�diation de la communaut� a �chou�. Contrairement au cas du Mozambique, o� on avait pu agir sur les causes internes du conflit, il y a de multiples ing�rences des voisins dans la guerre civile congolaise. Le pr�sident congolais, � la recherche d'un � d�bat national �, voulait convoquer tout le monde � Rome, venir avec deux cent cinquante personnes, d�finir lui-m�me les r�gles du jeu. � Nous avons dit non : pas question d'un simple th��tre pour vous, qui permettrait d'acheter n'importe qui... � Il y eut ensuite le rendez-vous avort� de Nairobi, puis les accords de Lusaka : les combats n'ont pas cess� pour autant. Cette ann�e, soldats ougandais et rwandais - suppos�s alli�s - se sont m�me battus � Kisangani... L'OUA s'en est m�l�e, sur le th�me de � L'Afrique aux Africains �. Il fallait un � facilitateur � originaire du continent, qu'on a perdu des mois � chercher : M. Quet Masire, l'ancien pr�sident du Botswana, a fini par accepter en d�cembre 1999, et demand� � nouveau � Sant'Egidio de s'investir. Mais on doute, � Rome, de ses chances de r�ussite : il n'a ni l'argent, ni la langue, ni m�me la connaissance du sujet !
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