Comunità di S.Egidio


 

23/12/2001


� La M�diterran�e ne peut �tre une nouvelle fronti�re �

 

La communaut� chr�tienne de Sant�Egidio s�est fait conna�tre du grand public au cours de la d�cennie pass�e par ses initiatives diplomatiques, notamment au Mozambique et en Alg�rie. Profitant de votre pr�sence cette semaine � Bruxelles lors d�une rencontre interreligieuse, nous avons saisi l�occasion d�en savoir plus sur une institution plut�t � hors norme �. Quelle est l�origine de votre communaut� ?
La communaut� de Sant�Egidio est n�e � Rome en 1968 dans la mouvance du concile Vatican II, sous l�impulsion de la�cs qui avaient d�cid� de vivre l�Evangile dans leur ville, dans une r�alit� marqu�e par la pauvret�. Depuis, la communaut� a essaim� : Sant�Egidio est pr�sente dans pr�s de soixante pays, notamment en Belgique. Mais la plus grande partie du travail de chaque communaut� locale reste le travail avec les pauvres, les d�munis, les � bless�s de la vie � dans sa r�gion. En Afrique, o� nous sommes pr�sents dans 20 pays, Sant�Egidio est une r�alit� africaine : les communaut�s n�ont pas �t� fond�es par des Italiens, des Belges,� des � missionnaires � en quelque sorte. Pas du tout ! Les communaut�s locales naissent au d�part d�initiatives locales.

Une organisation catholique comme l�Opus Dei a une politique de recrutement tr�s cibl�e. Comment recrute Sant�Egidio ?
Ce n�est pas tout � fait comme cela que �a marche chez nous. Il y a des gens qui viennent vers les communaut�s de Sant�Egidio pour participer � la pri�re ou pour travailler pour les pauvres. Ce sont des gens de tous les milieux, dont une composante tr�s importante issue des milieux populaires, comme c�est le cas de Rome depuis le d�but.

La communaut� de Sant�Egidio est plus connue pour son action en faveur de la paix. Comment et pourquoi cette seconde facette de vos activit�s ?
Quand on travaille pour les pauvres comme nous le faisons � et le faisons toujours � au Mozambique, on voit tr�s bien que la m�re de toutes les pauvret�s, c�est la guerre. C�est ainsi que la communaut� s�est impliqu�e dans la r�conciliation et la paix dans ce pays. Face � l��chec de la diplomatie des Etats, nous avons r�uni les deux parties, le gouvernement et la gu�rilla, � Rome. Les n�gociations ont dur� deux ans et demi. La paix a �t� sign�e en 1992.

Sant�Egidio serait-elle d�une certaine fa�on la diplomatie parall�le du Vatican ? Prendrait-elle des initiatives que le Vatican ne pourrait prendre ?
Ce n�est pas le cas. La diplomatie du Vatican a ses m�thodes, ses objectifs ; c�est tout autre chose. Nous sommes des gens de terrain ; nous n�avons d�autres armes que notre bonne volont�, notre capacit� de m�diation, de mettre ensemble des gens diff�rents. C�est notre force, mais aussi notre faiblesse.

En Alg�rie, la paix n�a pas �t� au rendez-vous...
Le pouvoir militaire dit � non �, mais la plate-forme de Sant�Egidio reste une r�f�rence (1).

Le fait que vous soyez une organisation chr�tienne n�a-t-il pas crisp� certains milieux ?
Quand on travaille pour la paix, on ne travaille pas en tant que catholique ou pour les catholiques. Au Mozambique, les catholiques sont minoritaires ; il y a une forte composante musulmane, des animistes, des protestants. Notre intervention en Alg�rie a suscit� beaucoup de sympathie pour la communaut� dans le monde musulman : les gens ont tr�s bien compris que nous n�avions d�autre but que promouvoir la paix.

Vous dialoguez depuis longtemps avec l�islam (comme avec le monde la�c et le monde juif). Avez-vous accentu� ce dialogue depuis le 11 septembre ?
Oui. Nous sommes convaincus que cette guerre n�est pas une guerre de religions, ni une guerre de civilisations. Nous avons organis� en septembre une rencontre de dialogue, � laquelle ont particip� les plus grandes autorit�s du monde musulman.

L�Occident a souvent peur de l�islam...
Il y a, dans notre monde, beaucoup de peurs. Surtout la peur du futur. L�islam est un des fant�mes sur le panorama du futur. Le monde est complexe, il est difficile de saisir les nuances ; alors on simplifie : � L�islam, c�est l�ennemi �. Mais tout est bien plus compliqu� que cela. Nous n�ignorons pas qu�il y a des probl�mes avec l�islam : nous le savons, puisque nous sommes en contact avec des chr�tiens au Soudan et au Liban. Il y a des milieux fondamentalistes. Mais un milliard de musulmans n�ont pas la m�me attitude fondamentaliste. En ce moment, Ben Laden jouit d�une certaine popularit�, comme s�il �tait le � Che Guevara � de l�islam. Mais il y a aussi, surtout dans les milieux intellectuels, une r�flexion nouvelle sur l�islam, la recherche de nouveaux mod�les. Pour cela, Ben Laden ne peut pas repr�senter l�islam. Une autre chose est importante � dire : pour m�rir, le monde musulman a besoin de libert� : on devient plus facilement fondamentaliste en l�absence de libert�. Mais d�un autre c�t�, le fondamentalisme mange la libert�. C�est une situation tr�s difficile. Quand les plumes se brisent, c�est le temps des couteaux, dit tr�s justement Mohamed Talbi, le grand intellectuel tunisien.

Mais que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose finalement...
Cela, c�est l�attitude europ�enne : � on ne peut pas faire grand-chose. � C�est faux. L�Europe peut faire beaucoup, � condition qu�elle red�couvre l�id�e d�une responsabilit� universelle. Apr�s la guerre, l�Europe �tait universaliste et � imp�rialiste �. Aujourd�hui, elle est plus riche, mais plus provinciale. Nous n�avons pas l�ouverture internationale qui correspondrait � notre niveau de richesses. Voil� le risque pour nos pays : �tre riches mais impuissants. C�est pourquoi je pense que cette crise nous interroge sur le futur de l�Europe. Alors que faire ? Avancer sur le chemin de l�Europe, mais aussi d�velopper une vision et une politique internationales. Mais pour cela, nous devons oublier nos particularismes et avoir le courage d��tre Europ�ens aussi en politique. Nous devons �galement retrouver la croyance que l�on peut imprimer sa marque sur l�histoire.

Vous d�noncez r�guli�rement un � nouveau Yalta �. Que voulez-vous dire ?
Le grand risque, c�est de voir le monde divis� en deux : d�un c�te l�Occident, de l�autre le monde pauvre. Et de voir lever la haine de la part des pauvres, des d�munis de la terre. Contre cela, il ne faut pas seulement des discours, il ne faut pas seulement encourager le dialogue avec l�islam. Il faut une politique de d�veloppement pour faire grandir le sud. L�Europe, pour sa part, doit s�ouvrir � l�est et au sud : la M�diterran�e ne peut pas devenir une nouvelle fronti�re. Et notre action doit s��tendre � l�Afrique subsaharienne, cette grande Afrique de la mis�re et du sida, qui est notre grande p�riph�rie.

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(1) � Plate-forme pour une solution politique et pacifique de la crise alg�rienne �, adopt�e par les partis d�oppostion � Rome en janvier 1995.

A lire : Andrea Riccardi, � Sant�Egidio, Rome et le monde �, entretiens avec J.-D. Durand et R. Ladous, Beauchesne Editeur, Paris, 1996. Site Web : www.santegidio.org

Dominique Berns