Comunità di S.Egidio


 

25/10/2002

Chr�tiens
Le si�cle des pers�cutions
Jamais depuis l'�poque des catacombes les chr�tiens n'avaient �t� autant pers�cut�s que pendant le XXe si�cle.
C'est ce qu'�tablit une enqu�te command�e par Jean-Paul II, � Ils sont morts pour leur foi � (�d. Plon)

 

Un million, 2 millions, 10 millions : nul n'est en mesure de comptabiliser pr�cis�ment les chr�tiens pers�cut�s de par le monde durant le XXe si�cle, mais ce si�cle-l� est sans doute le pire qu'ait connu l'Eglise depuis l'�poque des catacombes. � Au terme du IIe mill�naire, l'Eglise est redevenue une Eglise de martyrs �, a affirm� Jean-Paul II pour stigmatiser l'ampleur de ces pers�cutions. Dans la perspective du jubil� de l'an 2000, le pape a donc voulu la cr�ation d'une Commission des nouveaux martyrs charg�e de dresser un inventaire des pers�cutions des chr�tiens. Un inventaire oecum�niquement ouvert � toutes les confessions chr�tiennes, mais riche d'un message destin� aux catholiques. Car, en recensant et glorifiant les martyrs, le souverain pontife indique clairement que l'Eglise se doit de s'engager aux c�t�s des opprim�s. L'Evangile l'avait d�j� dit, mais ce ne fut pas toujours le cas au cours du si�cle dernier. Et, dans la foul�e, il enr�le les pers�cut�s au nom de la d�fense des droits de l'homme dans la grande famille des martyrs chr�tiens.

Ce gigantesque travail de m�moire - des centaines de milliers de t�moignages en 15 langues et portant sur un si�cle d'histoire de toute l'humanit� - fut confi� � la communaut� de Sant'Egidio, congr�gation la�que ind�pendante du saint-si�ge, mais connue pour �tre le bras de la diplomatie secr�te du Vatican. Une ind�pendance relative, mais qui b�n�ficie de la caution d'Andrea Riccardi, fondateur et leader charismatique de Sant'Egidio et professeur d'histoire contemporaine � l'universit� de Rome. Ces travaux sont r�v�l�s aujourd'hui au grand public gr�ce � l'ouvrage d'Andrea Riccardi � Ils sont morts pour leur foi �, publi� en France aux �ditions Plon.

� Notre but �tait d'obtenir une vision globale des pers�cutions contre tous les chr�tiens, alors que jusqu'� pr�sent les informations n'�taient que fragmentaires, explique don Marco Gnavi, qui fut le secr�taire de la commission aujourd'hui dissoute. Mais nous n'avons jamais pr�tendu � l'exhaustivit�, cela e�t d'ailleurs �t� impossible. Les t�moignages ont �t� particuli�rement riches en Allemagne, o� 150 personnes travaillaient � temps plein sur ce projet et o� les archives nazies �taient abondantes. En revanche, les documents disponibles dans certains pays d'Afrique ou d'Am�rique latine �taient d'autant plus rares que ces pays n'ont jamais connu ni stabilit� ni v�ritable d�veloppement. En outre, les martyrs ont souvent �t� calomni�s par leurs bourreaux et, si leur souvenir n'a pas �t� l'objet d'un culte local, leur existence est oubli�e. �

Toutes les Eglises catholiques locales et 258 congr�gations et ordres religieux r�partis de par le monde, ainsi que les hi�rarchies des autres confessions chr�tiennes, ont �t� mis � contribution pour recueillir les t�moignages. Apr�s deux ans d'enqu�te, la commission avait rassembl� plus de 20 000 cas de � nouveaux martyrs �. Un premier �cr�mage a ramen� � 12 692 le nombre des martyrs officiellement recens�s. Pourquoi une telle chute ? Parce que, au-del� des cas de doublon de martyrs signal�s par plusieurs sources, les crit�res d'�valuation - �tre mort pour l'apologie de sa foi, mais aussi pour les valeurs qu'elle inspire : charit�, dialogue, paix, secours aux faibles - sont subjectifs. Une difficult� pour l'historien, d'autant plus que les congr�gations ou les Eglises locales sont parfois tent�es d'embellir le tableau dans l'espoir que la reconnaissance d'un martyr sera le premier pas pour une b�atification ou une canonisation qui honorera toute la communaut�.


Un voyage hallucinant

Toutefois, l'ouvrage de Riccardi n'est pas un simple inventaire des martyrs chr�tiens. Les r�cits de grands sacrifices individuels, de pers�cutions de masse ou les t�moignages de vexations quotidiennes constituent un voyage hallucinant dans l'un des grands drames de ce si�cle.

De cette cohorte de fant�mes anonymes �mergent de loin en loin quelques supplici�s embl�matiques : Maximilien Kolbe, un franciscain d�port� � Auschwitz qui fit don de sa vie pour qu'un p�re de famille soit �pargn�, Mgr Oscar Romero, l'archev�que de San Salvador, assassin� en 1983 par les escadrons de la mort alors qu'il c�l�brait la messe, le pr�tre polonais Jerzy Popieluszko, jet� dans la Vistule l'ann�e suivante par des policiers, les moines trappistes de Tib�hirine enlev�s puis �limin�s par le GIA alg�rien, ou don Puglisi, un cur� de Palerme assassin� par la Mafia pour avoir voulu soustraire la jeunesse � son emprise.

Mais si l'Am�rique latine, avec l'instabilit� chronique de ses r�gimes, et l'Afrique ont largement aliment� ce martyrologe, c'est bien l'Europe qui s'y taille la part du lion pour avoir engendr� les deux syst�mes les plus r�pressifs de cette p�riode.

Au palmar�s de l'abjection, le national-socialisme l'emporte haut la main, mais, comme le souligne Riccardi, � l'holocauste juif en Allemagne et dans les territoires contr�l�s par les nazis fut infiniment plus tragique et radical que les pers�cutions subies par les catholiques �. Lesquels ne g�naient le r�gime que dans la mesure o� leurs convictions pouvaient les pousser � s'opposer.

Dans l'optique chr�tienne qui est celle de l'auteur, c'est donc bien le syst�me communiste qui s'impose sans contestation possible comme le plus nuisible. D'un bout � l'autre du si�cle et sous toutes les latitudes, les �mules de Staline se sont d�pens�s sans compter pour �craser les obstacles sur la voie triomphale qui m�ne � � l'homme nouveau �. Ils r�vaient d'abolir Dieu, ils y ont parfois r�ussi, au moins provisoirement.

� Le communisme est le syst�me qui a fait le plus de morts au sein de la communaut� chr�tienne, mais c'est aussi celui qui a laiss� le plus de traces �crites, reconna�t Andrea Riccardi. Comme les nazis avec la Shoah, les bureaucrates sovi�tiques consignaient tout, archivaient tout. � Tout, depuis la froide arithm�tique des planificateurs jusqu'aux t�moignages des agonisants. Le pr�sident de la Commission pour la r�habilitation des victimes de r�pressions politiques, Alexandre Iakovlev, estime � 200 000 le nombre des membres du clerg� orthodoxe condamn�s � mort entre la r�volution d'Octobre et 1980, dont plus de la moiti� pour les seules ann�es 1937 et 1938. Car la p�riode de l'entre-deux-guerre a �t� de loin la plus f�roce, au point de faire des ann�es 30 � la d�cennie de la Solution finale appliqu�e � toutes les religions �.

Quand les chr�tiens n'�taient pas poursuivis pour leurs seules convictions (Boukharine soutiendra ainsi, dans son � ABC du communisme �, que � la religion et le communisme sont incompatibles, aussi bien en th�orie qu'en pratique �), ils l'�taient en tant qu'ennemis de classe. L'ouverture des archives sovi�tiques � partir de 1991 a ainsi permis de d�couvrir que Staline, si z�l� f�t-il, n'avait rien invent�. Dans une lettre au Politburo dat�e de 1922, L�nine �crivait : � Plus nous r�ussirons � fusiller de repr�sentants de la bourgeoisie r�actionnaire et du clerg� r�actionnaire, et mieux ce sera �...

Ceux qui n'�taient pas promis au peloton d'ex�cution risquaient de conna�tre la mort lente des camps. Premier �lot de l'archipel du goulag, le sanctuaire de Solovki, sur la mer Blanche, fut transform� en centre de d�tention et vit d�filer d�s le d�but des ann�es 20 des milliers de religieux victimes d'une r�pression parfaitement oecum�nique. � Les croyants appartenaient � toutes les confessions religieuses : le mufti de la mosqu�e de Moscou, le primat de l'Eglise orthodoxe de G�orgie, l'exarque catholique de rite byzantin Fedorov, des m�tropolites et des �v�ques orthodoxes. �


La qu�te de � l'homme nouveau �

Ironie de l'Histoire, c'est la Seconde Guerre mondiale qui a contribu� au salut d'une Eglise orthodoxe pratiquement an�antie. Staline, qui avait besoin de mobiliser toutes les �nergies pour contrer l'offensive allemande, autorisa la r�ouverture d'�glises et l'�lection d'un nouveau patriarche orthodoxe. Apr�s guerre, le petit p�re des peuples et ses successeurs se contenteront de les neutraliser en favorisant la cr�ation d'Eglises nationales inf�od�es au pouvoir et en poursuivant une politique de r�pression cibl�e contre ceux qui refusaient de se couler dans le moule.

La m�me recette fut �videmment appliqu�e dans les pays du pacte de Varsovie.

Certains disciples de Staline parvinrent n�anmoins � mener � terme son projet de soci�t� sans Dieu. Dans l'Albanie d'Enver Hoxha et le Cambodge de Pol Pot, notamment. D�s les premi�res ann�es d'un r�gime qui se caract�risera par un autisme de plus en plus prononc�, le pays des Aigles vit son Eglise catholique d�capit�e, ses lieux de culte transform�s en gymnases ou en caf�s et ses biens vendus � l'encan. Quand les Albanais �mergent de ce long cauchemar, quatre d�cennies plus tard, le bilan est �loquent : � Des 6 �v�ques et 156 pr�tres avant l'arriv�e du communisme, au moins 65 moururent ex�cut�s ou sous les tortures, et 64 moururent dans les camps ou les prisons. A la fin du communisme ne survivaient qu'une trentaine de pr�tres qui avaient tous connu la d�tention. �

Quant au Cambodge, o� les Khmers rouges pouss�rent � son paroxysme cette qu�te de � l'homme nouveau �, les chr�tiens y subirent le sort de tous ceux qui n'�taient pas format�s selon les crit�res de l'Angkar (l'Organisation), qu'ils soient bouddhistes, musulmans, opposants, intellectuels : en 1977, soit deux ans seulement apr�s l'entr�e des hommes en noir dans Phnom Penh, � il n'y avait plus au Cambodge d'�v�que, de pr�tre ni de religieux �.

Durant la guerre d'Espagne, certains, dans le camp r�publicain, ont d�ploy� la m�me ardeur. Le ministre anarchiste Juan Peiro ayant d�cr�t� que � tuer Dieu, s'il existe, est une mesure tr�s naturelle et tr�s humaine �, il se trouva quelques bonnes volont�s pour appliquer � la lettre son pr�cepte. Le ministre Manuel de Irujo brossait ainsi en 1937 le tableau de la situation dans les r�gions contr�l�es par les r�publicains : � Tous les autels, images et objets de culte, � quelques rares exceptions pr�s, ont �t� d�truits [...] toutes les �glises ont �t� ferm�es au culte [...] une grande partie des temples ont �t� livr�s aux flammes [...] les pr�tres et les religieux ont �t� arr�t�s, jet�s en prison et fusill�s par milliers sans aucun proc�s [...] on en est arriv� � l'interdiction absolue de conserver en priv� toute image ou objet de culte. �

La pers�cution des chr�tiens fut l'une des choses les mieux partag�es du si�cle �coul�, mais elle a toujours abouti au m�me r�sultat : le renouveau des Eglises � la chute des r�gimes oppresseurs. � On peut annihiler une Eglise, mais pas le sentiment religieux d'un peuple �, r�sume Andrea Riccardi, rappelant au passage qu'en 1937, soit vingt ans exactement apr�s le d�but des pers�cutions, un recensement r�v�lait que 50 % de la population russe se d�clarait croyante. Il arrive m�me que ce sentiment religieux se r�v�le sur le tard. Communiste bon teint dans sa jeunesse, fossoyeur de l'Union sovi�tique malgr� lui, Mikha�l Gorbatchev a sugg�r� il y a quelques mois que L�nine re�oive des fun�railles chr�tiennes