Comunità di S.Egidio


 

Famille Chretienne

03/01/2003


Andrea Riccardi: �Notre c�ur redoute la paix�

 

Ce 1er janvier, la Journ�e mondiale de la paix ouvre aussi l'ann�e du 40e anniversaire de l'encyclique Pacem in Terris du bienheureux pape Jean XXIII. Prier pour la paix, une urgence? Alors qu'il vient de consacrer son dernier livre aux martyrs du XXe si�cle (lire p. 12-17), nous avons interrog� Andrea Riccardi, historien et fondateur de la Communaut� Sant'Egidio.

Alors que l'on redoute une nouvelle guerre en Irak, le Pape nous invite avec un empressement particulier � prier pour la paix. Mais le monde peut-il esp�rer �tre un jour en paix?

La paix est toujours � rechercher, bien s�r ! C'est un �engagement constant�, comme le rappelle le Saint-P�re. Apr�s la Seconde Guerre mondiale, tout le monde disait : �Plus jamais �a�. Je me souviens qu'en 1956, en Italie, il y avait encore des ruines de la guerre. La guerre �tait toute chaude dans les esprits, mais elle appartenait au pass�.

Puis, la guerre froide a coup� le monde en deux, nous cachant tout ce qui se passait � l'Est. L'optimisme qui a ensuite succ�d� � la chute du mur de Berlin a �t� de courte dur�e. La guerre s'est r�veill�e dans les Balkans, au Moyen-Orient et dans beaucoup de pays d'Afrique. Vous citiez la menace d'une guerre en Irak, mais on pourrait aussi �voquer le conflit qui ensanglante la Terre sainte, les violences en Indon�sie, au Pakistan, la Tch�tch�nie, la C�te d'Ivoire, de nombreux pays en plein chaos... La liste est longue. On ne peut pas dire que la situation internationale soit brillante !

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'humanit� a pris conscience de la vuln�rabilit� de chacun. Si nos pays occidentaux ne sont pas aujourd'hui directement concern�s par la guerre, au sens traditionnel du terme, l'id�e de la guerre est dans tous les esprits. Nous vivons dans un climat de peur et de tension permanent. Je parlerais de guerre diffuse. Et je crains que nous n'acceptions la guerre comme une compagne naturelle. Certains appellent cela du r�alisme, pour moi c'est du pessimisme.

Qu'entendez-vous exactement par �guerre diffuse� ?

Disons �guerre int�rioris�e� si" vous pr�f�rez. C'est-�-dire que l'on l�gitime plus facilement la violence et l'agression. On accepte que la guerre soit un moyen d'arriver � son but, d'affirmer ses raisons, et qu'apr�s tout, la passion belliqueuse ne soit pas si condamnable.

Le refrain n'est pas nouveau, ce sont de vieilles histoires qui reviennent - je pense aux fondamentalismes ethniques en Afrique, ou aux fondamentalismes nationalistes, au Pays basque ou dans les Balkans. Il y a aussi un fondamentalisme �thique - mais il est tabou - : celui qui prend pour cible le plus faible, l'enfant, le vieillard, la personne handicap�e. Les guerres arm�es font des ravages, mais le d�mon de la guerre peut aussi d�truire int�rieurement.

Votre communaut� a particip� � plusieurs n�gociations de paix, notamment en 1992, au Mozambique.

Comment n�gocie-t-on la paix au niveau politique?

Nous ne s�parons jamais le politique du spirituel. Certains d�mons ne se chassent qu'avec le je�ne et la pri�re, dit le Christ. Et il y a des passions nationales tellement fortes qu'elles en deviennent d�moniaques.

D'un point de vue politique, je ne connais pas de recette miracle. Il n'y a pas de dogme de la paix. Pour n�gocier la paix, il faut comprendre l'Histoire de chaque peuple, l'Histoire des hommes, et si j'ose dire, les aimer. Il y a toujours un d�ficit d'amour � l'origine de la passion de la guerre.

A travers les n�gociations que nous menons ici, � Rome. dans le quartier du Trastevere, o� nous avons re�u de nombreuses d�l�gations politiques, nous essayons d'abord de montrer que la guerre et la violence sont g�n�ralement sans issue. Il faut du temps pour s'en convaincre !

On peut invoquer les nationalismes, toutes sortes de fanatismes religieux, mais au bout du compte, la mis�re n'est-elle pas le principal facteur d�clenchant de la guerre, en parti culier en Afrique ?

Tout � fait. La lutte contre la mis�re doit �tre notre principal souci pour le si�cle � venir. Pensez qu'au Mozambique l'esp�rance de vie a �t� r�duite de dix ans � cause du sida ! Le fl�au du sida et la violence �conomique se propagent comme l'�clair sur le continent africain. Ce sont de v�ritables poudri�res qui poussent au d�sespoir, et bien s�r � la guerre. Par ailleurs, les images de t�l�vision faisant �talage d'un tas de richesses inaccessibles g�n�rent une incroyable frustration.

Nous ne pouvons pas abandonner l'Afrique � son sort. A la fois pour des raisons morales et politiques. Les destins de l'Europe et de l'Afrique noire sont �troitement li�s, pensait le s�n�galais L�opold S�dar Senghor. L'Europe ne peut pas �tre en paix si l'Afrique br�le.

Quel est le r�le des chr�tiens dans la recherche de la paix?

Les chr�tiens poss�dent le tr�sor de l'Evangile, dans lequel est contenu un message de paix. On dirait une �vidence. Mais nous n'avons pas fini d'explorer ce lien entre paix et Evangile. Pour nous chr�tiens, cela veut dire que la paix n'est pas un fait social, ni m�me l'absence de conflit. Elle ne r�sulte pas seulement de questions �conomiques, sociales, politiques.

Le m�canisme est le m�me au niveau personnel. Certes, la paix est le fruit d'une �ducation et d'une certaine sagesse. Mais plus profond�ment, la paix rel�ve du c�ur. Dans la Bible, le c�ur est le lieu d'habitation de Dieu. C'est aussi l'espace du sentiment, de la m�ditation, do la vie int�rieure. La paix est un don de Dieu. Si les mots nous manquent pour prier et invoquer le Tr�s-Haut, il suffit de se plonger dans la Bible, formidable ab�c�daire du langage chr�tien.

Souvenons-nous de saint Gr�goire le Grand : alors que l'Empire romain �tait en train de s'�crouler, il pr�chait la Bible � la main. Cherchons donc la pr�sence de Dieu, et on trouvera la paix.

Facile � dire, moins facile � pratiquer!

Pourquoi? Parce que dans le fond, une part de nous-m�mes aime vivre dans l'angoisse et la tristesse. Notre c�ur redoute la libert� et la paix. Il redoute d'abandonner tout un tas d'idoles, de besoins inutiles, de faux bonheurs. Cinquante ans de soci�t� de consommation ont fait de nous des enfants g�t�s, gav�s de biens mat�riels et pourtant insatisfaits et craintifs.

Spirituellement �galement, nous vivons en consommateurs, avec des angoisses profondes. C'est l'ambigu�t� de l'homme. Il r�clame la paix mais il la refuse. En fait, il pr�f�re la tranquillit� � la v�ritable paix. Ou il bricole celle-ci dans son coin, ce qui conduit souvent � l'�chec, n'est-ce pas?

Encore une fois, la paix n'est pas une conqu�te de haute lutte, mais un don qui nous d�passe. Le premier pas est d'accepter ce don. Le deuxi�me est de communiquer la paix aux autres. Comment? A travers un sourire, un geste de courtoisie, mille et une petites attentions aux autres. Saint Fran�ois d'Assise disait : �Dieu est courtoisie�. C'est aussi tout cela qui est � red�couvrir : la qualit� d'attention, d'�coute, de bienveillance...

Tous nos contemporains reconnaissent que le Pape est un homme de paix, un mod�le pour notre �poque.

Qu'est-ce qui vous frappe chez Jean-Paul Il, vous qui le connaissez personnellement?

Jean-Paul II a connu la Seconde Guerre mondiale, la Shoah, et le communisme aussi bien que le nazisme. Sa spiritualit� comme son magist�re sont profond�ment marqu�s par ces exp�riences.

C'est un homme de paix au double sens du terme. D'abord parce qu'il a contribu� � faire grandir la paix dans le monde : que ce soit en contribuant � d�stabiliser le bloc sovi�tique, ou en luttant contre toutes les formes d'injustice. En ce sens, il a pris la suite de Jean XXIII, qui disait : �La guerre est une aventure sans retour�. Ensuite, parce qu'il prie sans cesse au fond de son c�ur.

Oui, il y a l� quelque chose d'exemplaire: l'humble pri�re fait avancer la paix. C'�tait tout le sens du rassemblement des grands chefs religieux � Assise, en 1986, trois ans avant la chute du mur de Berlin. Je suis convaincu que nous n'avons pas pri� en vain. De m�me que nous ne soup�onnons pas la force de la pri�re communautaire.

Continuons � demander le don de la paix, et � invoquer Marie, reine de la paix.

Propos recueillis par

B�n�dicte Drouin et Diane Gautret

Diplomate charismatique

Portrait d'un homme devant lequel s'ouvrent toutes les portes, m�me les mieux verrouill�es.

Par Sophie de Ravinel

Si vous venez prier un soir avec nous, alors vous comprendrez ce que veut �tre la communaut� Sant'Egidio. Un lieu de pri�re, d'annonce de l'Evangile, de rencontre et d'aide aux plus pauvres.� Dans un fran�ais teint� d'accent italien, Andrea Riccardi pourrait parler des heures de cette communaut� de la�cs qu'il a fond�e en 1968. A 53 ans, il est dans la force de l'�ge. Son visage rond entour� d'une courte barbe blanche communique chaleur et d�termination. Ses mains s'agitent et son regard brille derri�re ses lunettes lorsqu'il �voque les grandes �tapes du chemin parcouru en vingt-quatre ans. Une route intimement li�e � sa vie personnelle.

En 1968, alors que d'autres s'enferrent dans les id�ologies, Andrea est touch� par l'Evangile, et s'enfonce avec quelques amis dans les bidonvilles qui encerclent Rome. Ag�s de moins do 20 ans, ils d�cident de refaire le monde � leur mani�re, encourag� par le tout jeune concile Vatican II. Rien ne d�tournera Riccardi de la route qu'il a alors trac�e, du contrat nou� avec le Christ qui est venu chercher les plus pauvres, ceux qui �taient perdus.

Peu � peu, la communaut� grandit, se fortifie, et d�fie une soci�t� trop bien install�e. Ses membres deviennent des emp�cheurs de penser en rond et entra�nent du monde dans leur sillage. Jamais Riccardi ne se laissera r�cup�rer politiquement. Il n'en est pas moins un homme politique, au sens noble du terme. A la suite de Jean-Paul II, il croit fermement � la puissance de la r�volution des consciences, aux cons�quences sociales et politiques des valeurs spirituelles.

�Je me suis promen� dans la vie, dit-il, en cherchant � lire les signes des temps et ses requ�tes.� Pour

ce professeur d'Histoire �rudit qui se repose en se plongeant dans ses livres, 1986 est une date charni�re. Cette ann�e-l�, le Pape convie les grands responsables religieux � Assise pour une rencontre en faveur de la paix et du dialogue. Piqu� au vif et passionn� par ce d�fi, il professore lancera � son tour une s�rie de rencontres oecum�niques et interreligieuses, qui se d�roulent d�sormais chaque ann�e en septembre dans une grande ville d'Europe. Des journ�es guid�es par l'amiti� - cette amiti� qui permet d'�couter l'autre, m�me quand toutes les portes semblent closes. C'est gr�ce � ces liens finement tiss�s que la communaut� peut, par exemple, organiser au pied lev� � Rome, quelques jours apr�s le 11 septembre 2001, une rencontre de haut niveau entre chr�tiens et musulmans. En plus de sa d�termination, Andrea Riccardi poss�de aussi un profond sens de l'ind�pendance. Il n'a pas vraiment le profil d'un diplomate du Vatican, ce qui g�n�re parfois de la houle dans la vaste mer de l'Eglise. Cela importe peu � cet Italien qui a d�couvert un jour, avec sa communaut�, que �la pire des mis�res, c'est la guerre�, et qui a ainsi d�cid� de s'engager dans le champ - parfois min� - de la diplomatie. Comme s'il ne lui suffisait pas de s'attaquer au mal de l'�migration, du d�ficit d'�ducation, de la solitude, de la faim ou de la maladie, il a d�cid� de s'en prendre directement � la racine de ces maux. �L humilit� signifie �tre petit�, explique dans un sourire cet infatigable p�lerin de la paix, alors que des personnalit�s des hautes sph�res de la politique passent r�guli�rement au QG de Sant'Egidio � Rome. �Je pense aussi, ajoute-t-il, que l'humilit� n'est pas seulement une attitude o� l'on se consid�re comme moindre. Elle exige surtout de reconna�tre la v�rit� sur soi-m�me.�