Comunità di S.Egidio


 

03/02/2003


Marcoussis est un accord ivoirien
A Marcoussis, les Ivoiriens ont �t� appel�s � discuter et � trouver � leurs � solutions. Ils ont su s'entendre pour pr�server l'unit� de leur pays. Mario Giro, responsable des relations internationales de la Communaut� de Sant'Egidio

 

Les �v�nements en C�te d'Ivoire montrent le point de rupture auquel est arriv�e la crise dans ce pays. L'accord obtenu � Marcoussis, apr�s neuf jours de n�gociations difficiles, semble remis en discussion. Malgr� les pol�miques, il faut garder le sang froid et regarder la r�alit� en face. La France est intervenue tr�s vite apr�s l'�clatement de la r�bellion du 19 septembre. Le d�ploiement des troupes fran�aises a permis le refroidissement des combats, �vit� une d�rive meurtri�re et un conflit civil g�n�ralis�. De plus, elle a sauv� un gouvernement ivoirien pris au d�pourvu, sans moyens militaires fiables et incapable de r�agir instantan�ment � l'attaque.

Ce constat ne peut �tre remis en cause, malgr� les critiques �mises d�j� � l'�poque de part et d'autre, les uns reprochant aux Fran�ais de ne pas les aider assez � repousser les rebelles, les autres de ne pas leur permettre de poursuivre vers Abidjan. Sans cette imm�diate intervention de la France, on serait aujourd'hui en train de parler des �v�nements ivoiriens de tout autre mani�re...

Ensuite, la Cedeao a mis en place une tentative de m�diation � Lom�, sous la responsabilit� du pr�sident Eyadema, qui a r�ussi � obtenir un cessez-le-feu. Le pr�sident Wade l'a bien dit � Paris, au sommet des chefs d'Etat : la Cedeao ne pouvait pas faire plus. Le temps joue en faveur du pourrissement et de la � libanisation � du pays : pendant que les pourparlers de Lom� s'enlisaient, d'autres groupes se manifestaient � l'ouest, provoquant l'entr�e de combattants lib�riens dans le conflit avec toute leur � exp�rience � de guerre civile sans merci.

Fin d�cembre, il �tait clair qu'il fallait donner un nouvel �lan aux tractations. Le gouvernement fran�ais a propos� alors � toutes les parties de se rassembler � Paris, ce qu'elles ont accept� rapidement. Dominique de Villepin s'est m�me d�plac� � Bouak� apr�s avoir visit� Abidjan. Cette d�marche politique repose sur une conception �vidente : pour aboutir, un dialogue a besoin de garants qui mettent en confiance les acteurs et r�tablissent les conditions minimales pour se parler.

Se r�unir rapidement en France �tait la seule voie pour les Ivoiriens. Cela a pu �tonner : apr�s des ann�es de d�sengagement silencieux mais progressif des pays occidentaux de l'Afrique et de ses trag�dies, on a parl� de retour du pass� colonial, de substitution. J'y vois plut�t la recherche d'une direction nouvelle malgr� les difficult�s et le manque de temps. Il s'agit de reprendre une politique d'engagement dans un pays o� vivent des milliers de citoyens fran�ais (sans parler des autres expatri�s) _ ce qui pouvait conseiller au contraire un immobilisme circonspect.

Il s'agissait aussi, pour la communaut� internationale, de donner aux Africains les m�mes moyens qu'� d'autres pays en crise. Pourquoi les Africains seraient-ils moins dignes de recevoir toute l'attention de l'Occident, et notamment de l'Europe, par rapport � d'autres zones du globe ? La formule � african solutions for african problems � cacherait-elle un � d�brouillez-vous � ? La m�me th�orie n'est pas de mise lorsqu'il s'agit de donner des le�ons dans le domaine financier...

J'�tais � Marcoussis comme observateur. Cette rencontre a repos� sur le choix de l'impartialit� : les Ivoiriens ont �t� appel�s � discuter et � trouver � leurs � solutions. Il serait na�f de croire qu'il suffisait d'un � conclave � pour leur imposer quoi que ce soit ou leur offrir des solutions de compromis sans qu'ils en soient convaincus. Marcoussis est un accord ivoirien, et les Ivoiriens en portent la responsabilit�. Pour arriver � sa conclusion, il a fallu beaucoup de patience et de palabres. En ce sens, c'est un accord africain o� la France (et, on esp�re, l'Europe) se porte garante. Un garant s'implique, mais n'est pas partie prenante.

La crise ivoirienne est ancienne. Elle plonge ses racines dans un pass� lointain, d�s l'ind�pendance, dans la structure �conomique du pays, la crise des mati�res premi�res agricoles, la composition ethnique et sociale, la division du travail, la mauvaise gouvernance, les contradictions de la d�mocratisation et de la politique d'exclusion. A Marcoussis, j'ai vu qu'il �tait possible que les Ivoiriens s'entendent pour pr�server l'unit� de leur pays et reconstruire une cohabitation civile, fractur�e par d'innombrables erreurs politiques cumul�es.

Le choix de Marcoussis a �t� de ne donner raison � personne, mais d'�couter les raisons de tous, afin de faciliter une solution honorable et consensuelle. Pour cela, tous les tabous _ de l'histoire, du pr�sent, de la violence, des lois, de la Constitution, de l'ivoirit�, etc. _ ont �t� bris�s. L'accord n'a d�laiss� aucune question : on y trouve des solutions meilleures et d'autres plus fragiles, mais tout a �t� abord�. C'est pourquoi, quoi qu'il advienne, le contenu et l'esprit des accords de Marcoussis restera incontournable. Mais, pour arriver � la paix, il faut partager le pouvoir. C'est une autre responsabilit� enti�rement ivoirienne. Et c'est � ce stade que des difficult�s se posent maintenant, avec le partage des portefeuilles minist�riels _ d�cid� non � Marcoussis, mais au sommet des chefs d'Etat. A Abidjan, d'aucuns refusent aux rebelles les minist�res de la d�fense et de l'int�rieur. Or, cette d�cision a �t� prise par les Ivoiriens, avec le soutien des autres chefs d'Etat pr�sents � Paris. Tout remettre en discussion maintenant am�nerait la dissolution des efforts accomplis et la reprise de la guerre. Ce serait la fin de la C�te d'Ivoire que nous avons connue et que nous aimons.

Un compromis est toujours difficile � accepter ; le partage du pouvoir aussi. Mais c'est la seule voie pour �viter une guerre qui, � m�re de toutes les pauvret�s �, ferait perdre tout � tout le monde. Et qui repasserait forc�ment un jour ou l'autre par une autre n�gociation, encore plus difficile et moins avantageuse pour tous

Mario Giro