Comunità di S.Egidio


 

02/05/2003


La lumi�re du Trastevere
Face aux conflits internationaux ou � la marginalisation sociale, la communaut� Sant'Egidio ne propose pas d'autre rem�de que l'usage de la "force faible". Ce jeu de mot �voque le myst�re m�me de la Croix. N�e dans les ann�es 60 de la rencontre de quelques �tudiants ais�s avec les bidonvilles de Rome, la communaut� d�bute son aventure avec le Concile et 68. Le d�sir d'Andr�a Riccardi est d'�vang�liser les pauvres. Aujourd'hui pr�sente dans une soixantaine de pays, Sant'Egidio s'est taill�e une solide r�putation en mati�re de diplomatie et de m�diation, d'abord au Mozambique et ensuite dans plusieurs coins chauds de la plan�te comme la C�te d'Ivoire. Depuis son si�ge romain - le quartier du Trastevere -, Andr�a Riccardi s'adresse � la France et lance un nouvel appel pour la paix. Nous ferons en sorte qu'il soit entendu.

 

Un vent de Sib�rie souffle sur le Trastevere, ce territoire "au-de-l� du Tibre" jadis incorpor� � Rome par Auguste. Aujourd�hui, les passants frigorifi�s arborent une panoplie hivernale. Pr�coces, des drapeaux aux couleurs de l�arc-en-ciel ont fleuri aux balcons avec l�inscription pace. "Paix, paix, paix" murmurent les fanions multicolores qui font la ronde autour de la v�n�rable basilique Santa Maria in Trastevere. Mais � quelques milliers de kilom�tres, plus � l�est, Bagdad est en flammes.

Il y a des Smart en pagaille dans ce quartier populaire dont le d�dale est redout�, m�me par les taxis les plus exp�riment�s. Piazza Sant�Egidio. Depuis 1973, la communaut� du m�me nom a �lu domicile au num�ro 3A, dans un ancien couvent de clarisses qui jouxte la basilique romaine. Une douceur surnaturelle se d�gage de l�int�rieur des b�timents conventuels enroul�s autour du sanctuaire comme un chapelet de bois et de briques. Dans les recoins, quelques lucarnes offrent � l�oeil curieux une vue sur l��glise Saint-Gilles. L�atmosph�re est simple et conviviale, � l�image du petit salon o� le professeur Riccardi re�oit ses h�tes.

Rien de tape-�-l�oeil, sinon un escalier en colima�on de 1600 et quelques bananiers �panouis dans le clo�tre. L�air est un peu oriental gr�ce � toutes les ic�nes, dont un magnifique Christ ukrainien (la reproduction est utilis�e dans toutes les autres communaut�s). Dernier d�tail nich� au milieu des fleurs, une plaque comm�morative en l�honneur de la troisi�me visite de Jean-Paul II.

Mario Giro, responsable des relations internationales de la Communaut�, nous accueille. C�est dans la chapelle Sant�Egidio que l�aventure a commenc�. Dans une chapelle lat�rale, un morceau du mur de Berlin, un bloc de lave de Goma, une brique du camp d�Auschwitz, le tout au milieu d�une for�t de croix de tous calibres. On est en communion avec un monde tragique. Sant�Egidio ne r�clame pas le paradis sur la terre mais un monde moins insupportable.

Mario d�signe un crucifix : "C�est un Christ sans bras que nous avons trouv� � Rome dans une brocante. Il est baptis� le �Christ de l'impuissance�. En le regardant, nous comprenons que le Christ nous invite � nous retrousser les manches !" Le secret de Sant�Egidio est dans la "force faible". Andr�a Riccardi la cultive avec patience depuis 1968. El�ve au coll�ge Virgile, il d�rogeait aux pratiques bourgeoises en incitant d�autres lyc�ens de son �ge � visiter les marginaux de la banlieue. Le tiers-monde �tait aux portes de Rome. Andr�a avait 15 ans et fr�quentait les bidonvilles.

Mardi d�avril comme les autres, ou presque, � Santa Maria in Trastevere. 20h30. La basilique confi�e � Sant�Egidio est pleine � craquer. Beaucoup de personnes ont l�air de sortir du bureau, cravate au col et ordinateur portable sous le bras. Il y a aussi quelques mamans accompagn�es de jeunes enfants qui balancent leurs jambes en souriant. Les Romains sont-ils venus plus nombreux � cause de l�Irak ?

Les psaumes des v�pres d�filent en bon ordre, sur des m�lodies gr�goriennes. Un encensoir en forme d�arche de No� va et vient devant l�autel illumin�. Le regard est saisi par la beaut� des mosa�ques du choeur. Sur fond d�or, les personnages hi�ratiques semblent surgir tout droit de Byzance. Au centre, un Christ Pantocrator passe le bras autour de la Vierge Marie. "Regardez bien, commente Mario Giro, il y a un seul tr�ne pour les deux ! R�volutionnaire, non ?" Le Trastevere, dans l�histoire, a toujours �t� un foyer de R�volution. Est-ce pour cela que le professeur Riccardi s�est fait Trast�v�rin ?

Soudain, il monte en chaire. C�est le moment de la "pr�dication". D�une voix assur�e, il m�dite ce soir sur la figure de Notre-Dame de la Paix. Un th�me de circonstance alors que le monde entier est riv� � ses postes de t�l�vision, dans l�attente de l�assaut final des marines. La pri�re continue. Une longue intercession monte de l�assembl�e tandis que chaque intention est symbolis�e par un cierge. Kyrie eleison ! Prions pour la paix en Irak, Prions pour la paix en Afghanistan. Tch�tch�nie, RDC, Rwanda, Burundi, Sierra Leone, Sri Lanka, Soudan, Somalie, etc. ; la litanie para�t interminable.

Dans ce d�cor majestueux o� le catholicisme s�est transmis de g�n�ration en g�n�ration depuis l��poque de San Callisto (le pape Calliste au d�but du IIIe si�cle), Andr�a Riccardi ressemble � un P�re de l�Eglise. Certains voudraient qu�il soit le prochain maire de Rome ! Mais il fait la sourde oreille. Telle n�est pas sa vocation. Universitaire distingu� et Robin des bois du Trastevere, th�ologien la�c et diplomate sans mandat officiel, c�libataire au charme m�r, le professeur est un inclassable. Fils de 68 et de Vatican II, il est un la�c d�un genre nouveau. Il s�est lanc� dans le social sans verser dans le socialisme, il a pris au s�rieux l�Evangile sans jouer au cur�.

Paolo a connu Sant�Egidio par le lyc�e. Il avait 14 ans au d�but des ann�es 80 quand il s�est lanc� dans les "mauvais quartiers" de la banlieue ouest de Rome, � Trullo, pour faire de l�alphab�tisation. "Je venais d�une famille de petits bourgeois. La pauvret� �tait quelque chose de compl�tement ignor� chez nous."

Il nous conduit � deux pas de Santa Maria in Trastevere, au 6 de la via Anicia. Le centre est ouvert depuis 15 heures et d�j� des files se forment devant la porte qui s�est transform�e en goulot d��tranglement. 1350 personnes ont �t� enregistr�es. Et la journ�e est loin d��tre finie. En ces lieux, Sant�Egidio distribue des repas, des v�tements et m�me des conseils juridiques � une population en voie de marginalisation. Un peu plus loin, � la Mensa, pr�s de 1500 repas gratuits sont servis tous les jours.

Toutes les nationalit�s se bousculent via Anicia. Une jeune femme du Nigeria arrive du Nord de l�Italie. Son permis de s�jour vient d�expirer. Elle a perdu son job dans un abattoir de porcs. Elle attend de voir le patron. Daniella pour les intimes ! Yeux clairs et innocents, cheveux en bataille, elle re�oit sans interruption dans un bureau pas plus grand qu�un confessionnal.

"La plupart de nos 'clients' viennent des pays de l�Est, explique-t-elle. Ils ont un niveau d�instruction assez �lev�. Ils sont arriv�s en Italie en passant par l�Autriche et l�Allemagne (accords de Schengen). Le gouvernement vient de r�gulariser 700 000 d�entre eux. Rome d�tient le record avec pr�s de 110 000 r�gularisations." Contrairement � une id�e re�ue, ces migrants ne sont pas des parasites, commente Daniella : " Environ 70% de ces �trangers travaillent dans les familles italiennes. Ils gardent les

enfants et les personnes �g�es. La famille italienne aurait de gros probl�mes en absence des travailleurs immigr�s !" Pourquoi un gouvernement de "droite" s�est-il lanc� dans une politique de r�gularisation ?

Sant�Egidio a mis son grain de sel dans cette affaire, suscitant avec tact et humour des manifestations de grande amplitude dans tous le pays. Sur le th�me "Ho bisogno di te" (j�ai besoin de toi), des milliers d�Italiens sont descendus dans la rue, dont plusieurs cohortes de mamas de plus de 80 ans. Tous r�clamaient le droit d�employer des travailleurs immigr�s � la maison.

Daniella n�est pas une agitatrice politique, encore moins une assistante sociale : "Notre travail est un travail d��vang�lisation. Nous aidons les immigr�s. Parmi eux, beaucoup sont musulmans et sont surpris de d�couvrir le christianisme de l�int�rieur. Ils nous posent des questions sur nos motivations. Ils finissent par comprendre que l�amour du prochain est un commandement de J�sus. Notre aide, bien entendu, n�est pas un marchandage. Les services rendus ne sont pas proportionnels aux demandes de bapt�mes !"

Les pauvres, la paix et la pri�re ; des charismes ins�parables � Sant�Egidio. Pacificateurs et non pacifistes, dans la lign�e de l�encyclique Pacem in terris dont les cardinaux romains f�tent le 40e anniversaire. Le professeur Riccardi ne cultive pas l�ambigu�t�. Il s�agit de comprendre que dans un monde bless� et d�boussol�, la paix est un cadeau du ciel. Pas un ph�nom�ne naturel ou la derni�re ligne d�un compromis politique bancal.

Elle est � l�image de la croissance de la communaut� Sant�Egidio, qui mise plus sur le "bouche � oreille" et la conversion du coeur que sur des campagnes marketing. Sant�Egidio est � l�image des Isra�lites martyris�s par Nabuchodonosor et qui prient de plus belle dans les flammes alors que le roi ordonne de chauffer la fournaise � blanc... Leur d�termination pacifique a quelque chose d�irr�sistible. C'est le sujet du dernier ouvrage de l'historien Andr�a Riccardi : "Ils sont morts pour leur foi". Au XXe si�cle, martyrs et artisans de paix sont devenus des mots synonymes.

Samuel Pruvot