Le lundi 24 mars 1980, � 18 heures, Mgr Oscar Romero, archev�que de San Salvador, commen�ait � c�l�brer la messe dans la chapelle attenante � un petit h�pital de la capitale salvadorienne tenu par des religieuses, l�hospitalito de la Divine Providence. � 18 h 25, au moment de l�Offertoire, un homme se pr�senta � l�entr�e de la petite �glise, dont les portes restaient ouvertes en raison de la chaleur, et tira. Une seule balle explosive, en plein coeur.
L�archev�que s�affaissa foudroy� sur l�autel. Mgr Romero payait non pas un engagement politique dans le contexte d�une v�ritable guerre civile, mais sa d�fense des droits humains et sa d�nonciation de la mis�re, un choix �minemment religieux parce qu��vang�lique. Il s�est heurt� � des forces plus puissantes que lui, se trouvant doublement � contre-courant, entre un pouvoir militaire qui entendait utiliser la religion comme moyen de contr�le social pour pr�server les int�r�ts d�une caste de poss�dants, et une gu�rilla d�inspiration marxiste qui cherchait elle aussi � r�cup�rer l��glise � son profit. Il a �t� broy�, comme le parti d�mocrate-chr�tien, comme tant d�autres pr�tres, religieux et religieuses, et la�cs engag�s, entre ces deux blocs antagonistes.
Aujourd�hui, la paix est revenue au Salvador. Des accords de paix ont �t� sign�s en 1992 sous l��gide de l�ONU, qui ont permis de restaurer une vraie vie politique fond�e sur des �lections libres et sinc�res. En ce sens, m�me si
le pays reste meurtri par des probl�mes sociaux consid�rables (extr�me pauvret�, violence, impunit� de nombreux d�lits.), ce petit pays d�Am�rique centrale peut, dans une certaine mesure, �tre consid�r� comme un mod�le de retour �
la paix civile et de transformation de la structure �conomique permettant le d�but de l��mergence d�une classe moyenne. Mgr Romero n�en est pas pour autant
oubli�: des statues, des inscriptions, des affiches rappellent son souvenir un peu partout dans la capitale, il est extraordinairement pr�sent dans les coeurs et dans les m�moires, il laisse m�me l�impression de participer au d�bat
politique. Un exemple seulement : alors que le pays est agit� par un vaste d�bat sur la privatisation du syst�me de sant�, on le voit appara�tre, le long d�une avenue passante, sur une vaste fresque murale qui place la d�nonciation de la politique gouvernementale sous son �gide. Du reste, c�est bien cette
> r�cup�ration politique qui pose probl�me pour une b�atification. Celle-ci a d�j� �t� r�alis�e par la vox populi, comme en t�moignent les ex-voto qui
se multiplient sur les lieux de sa modeste habitation transform�e en mini-mus�e.
Une telle b�atification ne ferait-elle pas elle aussi l�objet d�une r�cup�ration politique par des groupes hostiles � l��glise catholique et au christianisme ? Cela est �vident. Circulent d�j� bien des documents sur lesquels le portrait de l��v�que assassin� figure aux c�t�s de Che Guevara et de Salvador Allende et, pour cette raison, certains milieux de l��glise
latino-am�ricaine s�opposent � une b�atification. Mais l��glise catholique n�est-elle pas assez forte pour surmonter cet inconv�nient et affirmer haut et fort, � travers la b�atification de Mgr Romero, la force de l��vangile et particuli�rement la force de l�amour des B�atitudes ? Car Mgr Romero ne
fut pas un �v�que politique. Grand spirituel et peu habile en politique, comme l�a montr� un r�cent colloque historique qui lui a �t� consacr� en Italie et dont les Actes viennent d��tre publi�s � Milan, l�archev�que de San Salvador �tait un contemplatif qui n�avait pas vocation au martyre, mais qui est all� simplement jusqu�au bout de l�acte de charit�, c�est-�-dire de l�amour de son prochain, tout comme le P. Maximilien Kolbe, avec lequel il y a bien des analogies, malgr� la diff�rence des contextes : comme le franciscain polonais, l��v�que salvadorien a vaincu spirituellement le mal par la charit� v�cue.
Le cas de Mgr Romero est particuli�rement important, car on ne peut pas le consid�rer comme un martyr de la foi, tu� en haine de la foi. Il a �t� tu�, comme tant d�autres pr�tres et la�cs en Am�rique latine, par des personnes certainement baptis�es, nourries d�une certaine culture catholique, mais
ignorantes du message �vang�lique. C�est pourquoi sa b�atification, comme martyr de la charit�, tout comme le P. Kolbe, aurait la vertu insigne de rappeler qu�un catholicisme de forme, qui ne prend pas au s�rieux l��vangile, qu�un catholicisme non chr�tien qui ne s�appuie pas clairement sur le
message de J�sus Christ, n�a pas de sens. Cette b�atification-l� aurait une port�e remarquable.
Jean Dominique Durand
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