Isaac avait quitt� Aix-la-Chapelle pour Bagdad, avec Lantfried et Sigismund, deux messagers de Charlemagne. Ils allaient � la rencontre du calife Haroun Al-Rachid, pour s'en assurer les bonnes gr�ces. C'�tait en 797. Le marchand juif revint seul, cinq ans plus tard, avec un cadeau pour l'empereur, gage des faveurs du souverain musulman : un �l�phant blanc.
Au tournant d'un autre si�cle, c'est l'ancienne capitale franque qui vient d'accueillir trois h�tes venus de Bagdad en qu�te, � leur tour, d'une concorde entre les familles d'Abraham. Et c'est une foule debout qui, mardi soir, a applaudi cheikh Aldin le chiite, Ahmed Mohammed le sunnite, et Ishlemon Warduni l'�v�que chald�en, venus conjurer l'Occident de r�tablir une relation aussi pacifique qu'il y a 1 200 ans - en aidant l'Irak et ses croyants, plut�t qu'en asservissant l'Orient... En signe de leur propre engagement de religieux � faire oeuvre de paix, pas d'�l�phant, mais une minuscule veilleuse, si fragile dans le vent, si pr�cieuse dans la nuit. Ils ont �t� plusieurs centaines � poser le m�me geste, humble et proph�tique, que les p�lerins irakiens.
Venus du monde entier, ils repr�sentaient toutes les spiritualit�s de l'humanit� � la rencontre � Hommes et religions �, le rendez-vous annuel - et si essentiel - de la communaut� Sant'Egidio (La Croix du 9 septembre). Th�me de cette ann�e : � Entre guerre et paix, religions et cultures se rencontrent. � Avec, d'embl�e, cette question lancinante : pourquoi la foi est-elle si souvent associ�e � la violence ?
Une premi�re cl� a �t� fournie par �mile Poulat, mettant en garde contre l'amalgame entre trois niveaux d'interpr�tation : d'abord, ce qu'enseignent les livres sacr�s de chaque tradition (appellent-ils vraiment � l'intol�rance ? Si oui, comment l'entendre ?) ; ensuite, les motivations religieuses que les hommes peuvent donner � des actes qui ne le sont gu�re (il est facile de tuer � au nom de Dieu � quand aucune r�v�lation n'y est pour rien...) ; enfin, tout croyant engag� dans un conflit y porte la marque de ses croyances sans que celles-ci puissent y �tre m�l�es. Or, c'est souvent ce dernier registre qui fait accuser les religions d'engendrer la guerre !
L'homme n'est pas la mesure ultime de lui-m�me et la paix ne peut venir que de Dieu
Comment �chapper � une telle fatalit� ? En dialoguant, bien s�r, a rappel� Mgr Michael Fitzgerald, qui en assume la charge au Vatican - mais en commen�ant par �noncer le primat de Dieu : � Notre t�che est de rappeler au monde que l'�tre humain ne peut pas �tre la mesure ultime de lui-m�me. � L'archev�que britannique re�ut en �cho la haute voix de Ren�-Samuel Sirat, r�volt� tout autant par un imam devenu kamikaze et par un juif massacrant des Palestiniens : � L'homme serait-il devenu ma�tre de sa destin�e au point de vouloir d�truire sa vie pour tuer ? � Le grand rabbin fran�ais craint le jugement terrible, demain, envers les hommes de religion d'aujourd'hui qui r�agissent si peu partout o� la mort est sem�e au nom de Dieu.
Il y eut donc une belle convergence, � Aix-la-Chapelle, sur une cause fondamentale de la confusion entre conflits et religions : l'oubli par l'homme de sa condition de cr�ature divine. Ainsi l'historien tunisien Mohamed Talbi : � L'amour peut se faire viol quand l'homme se prend pour le centre de gravit� de l'univers cr�� - perversion supr�me qui ne peut �tre l'oeuvre de Dieu ! � Et le cardinal Godfried Danneels, archev�que de Malines-Bruxelles : � Les religions portent en elles le secret de la paix, non parce qu'elles poss�dent une force humaine pour l'instaurer, mais parce qu'elles ont �t� dot�es par Dieu de la juste conception de l'�tre humain comme fils de Dieu. � Les religions ne doivent donc pas seulement refuser de se laisser manipuler, mais reconna�tre que la paix ne peut venir que de Dieu.
L'appel final d'Aix-la-Chapelle, proclam� mardi sur la place du Katschhof au terme d'une grande marche convergente des confessions pr�sentes, y a insist� : � � ceux qui croient que le nom de Dieu peut �tre utilis� pour ha�r et faire la guerre, pour humilier et supprimer la vie d'autrui, nous disons : le nom de Dieu est paix. Les religions ne justifient jamais la haine et la violence. � Et de mettre en garde contre � le fondamentalisme, maladie infantile de toutes les religions �.
Soucieux lui aussi d'harmonie, l'archev�que de Malines-Bruxelles avait compar� l'oeuvre de paix � un jeu de piano : � Elle se joue � deux mains. Notre contribution humaine, c'est la partie de la main gauche, l'accompagnement. Mais il appartient � Dieu de jouer la partie de la main droite : c'est � lui de jouer la m�lodie. �
Michel Kubler
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