Cet �t� aura �t� douloureux, sans piti� pourrait-on dire, pour notre pays : des milliers de personnes n�ont pas support� des temp�ratures exceptionnellement �lev�es. Parmi elles, beaucoup de personnes �g�es vivant seules ou en tout cas loin de leur famille. La plus grande douleur est certainement l� : aujourd�hui des personnes dans notre pays meurent seules, abandonn�es de leurs proches ou sans famille, ignor�es de leur voisinage, dissimul�es dans une soci�t� individualiste.
Des gestes de solidarit�, il y en a eu mais ils n�auront pas suffi pour emp�cher la mort de centaines de personnes seules, ni pour �viter que 57 d�entre elles se retrouvent sur une liste de � personnes indigentes � dont le corps n�a �t� r�clam� par personne. Nous parlons de douleur mais, avant tout, il s�agit d�une injustice. Des personnes, parce qu��g�es et sans famille, sont laiss�es seules jusqu�� leur ensevelissement, sans amour ni amiti�. Pourtant, ce sont des hommes ou des femmes qui ont v�cu, travaill�, consomm� ; des hommes ou des femmes sans doute bless�s par la vie et la solitude des derni�res ann�es mais aussi avec chacun avec son histoire. Et aujourd�hui ? Ce sont des hommes ou des femmes � qui on a enlev� toute dignit� : la dignit� de quitter ce monde en laissant une trace de leur histoire, et en �tant accompagn�s.
Ce n�est pas un ph�nom�ne jusque l� inconnu dans notre pays. Il n�est pas nouveau que des personnes �g�es meurent dans la solitude, peut-�tre de la solitude elle-m�me. Mais jusque l�, personne ne voulait v�ritablement en parler. Si nous n�y prenons garde, la solitude et l�abandon des personnes �g�es vont redevenir un tabou dont on ne parlera plus jusqu�� la prochaine catastrophe.
Il y a mieux � faire, pour les personnes �g�es en premier lieu, et pour chacun de nous car un jour nous serons �g�s. N�y aurait-il pas moyen de changer le regard de notre soci�t� vis � vis de nos a�n�s, de leur redonner une dignit� ? Ne serait-ce pas juste de leur redonner un espace d�amour et d�amiti�, un espace de vie ?
Des r�flexions sont engag�es dans notre pays pour financer le soutien aux personnes �g�es et pr�venir de nouvelles catastrophes : on parle d�une journ�e de travail d�di�e aux personnes �g�es. Pourquoi pas ? Ces r�flexions sont utiles et elles doivent se poursuivre. Toutefois, aucune mesure �conomique, financi�re, technique ou m�me m�dicale, ne suffira � arr�ter la souffrance dont sont victimes les personnes �g�es. Surtout, ne r�duisons pas le vieillissement croissant � une approche exclusivement institutionnelle, comme si le probl�me n�aurait pas eu lieu si les personnes �g�es avaient pass� les derni�res ann�es de leur vie dans des maisons de repos plut�t que chez elles. Comme l�a dit Bernard Kouchner, il s�agit d�une responsabilit� citoyenne.
Nous voyons � travers nos amis �g�s que leur solitude est une douleur profonde quand il suffit de peu pour l�apaiser. Nous ne voulons pas accepter cette douleur. Nous voulons faire entendre la voix de personnes qui n�ont plus droit � la parole dans une soci�t� g�n�e par la vieillesse : une visite, une promenade, quelques paroles et davantage d�estime ne co�tent rien, mais cela peut gu�rir la souffrance d��tre seul et redonner de la dignit� � notre soci�t�. Ne serait-ce pas la meilleure des pr�ventions que d��tre proches de ceux qui sont vuln�rables ? L�amour n�est pas une valeur marchande, l�amour peut aussi �tre une culture pour notre monde riche et g�t� qui aujourd�hui cultive trop l�indiff�rence.
Nous avons tous notre part de responsabilit� dans le drame de cet �t�, que nous soyons hommes ou femmes politiques, journalistes, enfants, neveux, voisins, simples citoyens. N�avons-nous pas oubli� notre responsabilit� ? N�avons-nous pas laiss� grandir l�indiff�rence et le m�pris vis-�-vis des personnes �g�es ? N�avons-nous pas abus� du sentiment d�impuissance ? Pourtant, tous nous pouvons avoir un geste de solidarit� ou d�amiti� pour les personnes �g�es qui nous entourent, et nous pr�occuper de leur bien-�tre. Ce sont nos a�n�s : il serait juste et digne de ne plus ignorer ou cacher leur existence. Dans ce � continent des personnes �g�es �, comme l�appelle le fondateur de Sant�Egidio, Andrea Riccardi, on pourra alors d�couvrir un charisme de temps disponible et de d�sir de compagnie et d�amiti�, qui sont si rares et pr�cieux dans notre soci�t�.
N�attendons pas la prochaine canicule pour aller frapper � la porte d�un plus vieux ou d�une plus vieille, n�attendons pas qu�ils soient trop seuls pour visiter nos a�n�s. C�est un appel � la solidarit� et � l�amiti� que nous lan�ons. Notre soci�t� est trop triste et trop coupable au point de faire de la vieillesse une mal�diction quand il devrait s�agir d�une richesse in�dite pour le monde.
Val�rie R�gnier
Karine Guillaume
Communaut� Sant�Egidio � Paris
|