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Enjeux internationaux |
15/11/2004 |
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Voulant prouver que � l�Afrique n�est pas seulement un continent d�injustices et de mort �, la Communaut� Sant�Egidio � avec ses partenaires de la Commune de Rome, des grandes centrales syndicales et d�institutions internationales comme la FAO � a organis� pour la premi�re fois � la mi-avril, dans la capitale italienne, une grande manifestation baptis�e � Italie Afrique 2004 �. Dans un contexte d�anniversaires contrast�s � les dix ans du g�nocide au Rwanda, mais aussi de la lib�ration de Nelson Mandela en Afrique du Sud - , et sur fond de crises redoubl�es en C�te-d�Ivoire ou dans le Darfour soudanais, l�objectif �tait de montrer que � le destin de l�Afrique d�pend aussi de nous � et le n�tre aussi de l�Afrique �. � Pour la premi�re fois, explique Mario Giro, responsable des relations internationales de la Communaut�, l�Afrique �tait dans la rue � Rome �. Il s�agissait de f�d�rer des �nergies qui, � Rome comme ailleurs, dans le domaine de la solidarit�, sont �parpill�es - � Comme mille fleurs, mettre tout ensemble, afin d�en faire un jardin � - , mais aussi d�adresser un � message fort � en faveur de l�arr�t des ventes d�armes, de l�effacement de la dette des pays les plus pauvres, de l�acc�s gratuit aux m�dicaments et vaccins � A ceux qui s��tonnent de cette � passion africaine �, on fait valoir - au si�ge de cette ONG se voulant une � communaut� eccl�siale internationale �, install�e dans un ancien couvent du Trastevere, un quartier de Rome d�sormais tr�s � branch� � - que Sant�Egidio a tr�s largement essaim� sur le continent noir. Elle y est pr�sente dans 25 pays, avec - comme � Rome - des �coles de la paix, des soupes populaires, des visites aux prisonniers, un soutien aux personnes �g�es et, de plus en plus, une action dans le secteur de la sant�, notamment � travers le programme � Dream � , ax� sur la lutte contre le sida. � Nous ne sommes pas all�s en Afrique : c�est elle qui est venue nous chercher � Rome, raconte Marco Impagliazzo, le pr�sident de la Communaut�. Les pauvres de la capitale, surtout �trangers, avec qui nous avons travaill� pendant vingt ans, nous demandaient aussi ce que devenaient leurs parents et amis, dans leur pays �. Cette � africanisation � relative de Sant�Egidio ram�ne donc aux origines m�me de la communaut�. Dans l�effervescence de mai 1968 et sur la lanc�e de Vatican II, une poign�e d��tudiants catholiques des beaux quartiers romains, �taient partis � la d�couverte de la mis�re aux alentours de la capitale, plut�t que de se faire � maos � ou � cocos �. � S'immerger dans ces bidonvilles, avec leur vie violente, c��tait pour nous un traumatisme, explique Andrea Riccardi, un de ces �tudiants de l��poque, c'�tait comprendre que le Tiers-monde �tait dans Rome. La tromperie de la ville bourgeoise consiste � ne pas montrer les pauvres. On avait d�velopp� une lecture de la banlieue comme un grand d�sert, o� le peuple de Dieu �tait destin� � entendre l'appel, � marcher vers la terre promise. On commen�ait � b�tir des communaut�s dans la banlieue : libres, autonomes, �vang�liques, avec des femmes (sur lesquelles la marginalit� pesait encore plus), des travailleurs, des jeunes au ch�mage... �. Trente-cinq ans plus tard, Andrea Riccardi est un mentor de la communaut�, au profil inclassable : universitaire, mais port� aussi sur l�action ; vers� dans le social, sans �tre socialiste� � Ce th�ologien la�c a pris l�Evangile au s�rieux sans jouer au cur� �, estime un journal catholique . Les pauvres, la paix, la pri�re : tels sont toujours les fondements, aujourd�hui, d�une activit� qui consiste � servir deux mille repas par jour aux n�cessiteux de Rome, � prendre en charge six mille personnes �g�es, � �diter un guide de Rome pour les sans-abri, ou � enseigner l�italien � ces centaines d��trangers. Mais aussi � faire campagne contre la peine de mort , � convoquer chaque ann�e des centaines de leaders religieux catholiques, orthodoxes ou musulmans, ou encore � animer une Commission des nouveaux martyrs � Cette d�marche �vang�lique en direction des pauvres, rest�e un des fondements de la communaut�, a conduit Sant'Egidio � prendre conscience que � la guerre est la m�re de toutes les pauvret�s �. Et, pour �viter que ses projets d'aide humanitaire soient ruin�s par les combats, � endosser un r�le de � facilitateur � ou m�diateur dans les conflits fratricides au Mozambique, au Guatemala, en Alg�rie, au Burundi, dans les Balkans... Nombre de ministres, pr�lats, ou gu�rilleros ont d�fil� ainsi dans la petite cour du si�ge de la communaut�, plant�e de quelques bananiers, et dans la chapelle attenante o� voisinent - au milieu d�une for�t de croix et d�ex-voto - une brique du camp d�Auschwitz avec un bloc de lave de Goma (Congo) ou un morceau du Mur de Berlin... Ces � diplomates �clair�s �, ces � crois�s de l'an 2000 �, pour qui � tous les conflits m�nent � Rome � ; ces � diplomates sans fronti�res �, � inventeurs de paix � ou � ambassadeurs sans titres � , dans cette � ONU du Trastevere � - pour reprendre quelques-uns des qualificatifs imagin�s par les nombreux m�dias qu�il ont s�duits - ont acquis une r�putation de magiciens aupr�s de chefs d'Etat, seigneurs de guerre et responsables politiques du monde entier. Sant�Egidio r�fute cependant la comparaison avec une ONG de type � professionnel �, appuy�e sur une hi�rarchie pyramidale, avec un si�ge en Occident � comme les organisations initi�es par les � French Doctors �. La � communaut� eccl�siale internationale � - elle tient � l�appellation � se veut un r�seau, une constellation de groupes locaux, sans liens organiques, toujours anim�s par des nationaux, au surplus b�n�voles, qui m�nent de concert la pri�re, l�action sociale et, dans certains cas, ce travail de m�diation qui a fait la r�putation du mouvement. � On trouve dans le monde des gens qui prient, constate le conseiller culturel d�une ambassade aupr�s du Saint-Si�ge. D'autres qui font la charit�. D'autres encore qui sont engag�s sur le terrain diplomatique. Mais les trois activit�s intrins�quement li�es, c'est unique. Et cet enracinement spirituel et social les aide � garder les pieds sur terre lorsqu'ils s'occupent d'international �. Le principal titre de gloire de Sant�Egidio avait �t� la conclusion d�une paix au Mozambique en 1992, apr�s quatorze ans de guerre civile. Suite � ce � miracle � - obtenu apr�s plusieurs ann�es de patients conciliabules et la mobilisation des r�seaux chr�tiens et communistes internationaux, dans une dialectique tr�s italienne � la � don Camillo-Peppone � - de nombreuses gu�rillas, des mouvements d�opposition ou des gouvernants africains ont cherch� � obtenir le concours des m�diateurs-sorciers de Rome. Mais l�exploit n�a pu �tre r��dit� dans les m�mes termes : la tentative, en 1995, de faire adopter une plate-forme de paix pour l�Alg�rie, en y incluant le Front islamique du Salut, a �chou� ; au Burundi, au bout de six ans de n�gociations, un accord a �t� atteint, mais il reste � chaque fois tout ou partie d�une organisation arm�e pour refuser de se joindre au processus de transition ; au Congo, bien que sollicit�e par le d�funt pr�sident Laurent-D�sir� Kabila, la communaut� n�avait pu jouer un r�le dans le r�tablissement de la paix, pas plus qu�en C�te-d�Ivoire plus r�cemment � m�me si, rappelle Mario Giro, � on a quand m�me pu �viter une d�rive islamo-chr�tienne, en soudant les leaders religieux autour d�un d�sir de paix �. En revanche, la m�diation Sant�Egidio avait �t� positive au Guatemala en 1996. Elle a �t� centrale dans le conflit du Liberia, en parvenant � convaincre le Lurd, un mouvement rebelle, de signer l�accord qui a permis l��viction de l�ancien chef de guerre Charles Taylor. Elle a �t� significative au Kosovo, pour maintenir le dialogue entre les communaut�s serbe et albanaise. Mais inop�rante dans le conflit isra�lo-palestinien, � m�re de toutes les batailles �, bien que, depuis dix-huit ans, la communaut� - qui a l�exp�rience des fractures du monde comme des brisures des religions - ait pris soin de cultiver le dialogue entre chr�tiens et musulmans, et d�y associer le plus possible des personnalit�s isra�lites. Sur la piazza Sant�Egidio � qui a donn� son nom � la communaut�, install�e dans un ancien carmel � on se refuse � comptabiliser ainsi � succ�s � et � �checs � et on se d�fend d'appliquer des recettes toutes faites. On se reconna�t au mieux un savoir-faire, une sorte de � grammaire �. D'abord, savoir utiliser comme une force la faiblesse de la communaut� elle-m�me, qui ne peut � ni mobiliser une arm�e, ni signer des ch�ques mirobolants �, explique Mario Giro, permanent � la Conf�d�ration internationale des syndicats libres (CISL), un des piliers tout-terrain de l'�quipe. Dans ce combat � � mains nues �, Sant�Egidio n'a � pas d'autres armes que la perception intime des soci�t�s en conflit, gr�ce � ses groupes locaux, et la confiance qu'elle peut inspirer en raison de la connaissance acquise aupr�s des bellig�rants.� Dans la pratique, il convient au pr�alable d�obtenir une reconnaissance mutuelle des parties en pr�sence, sans laisser personne de c�t� - � m�chant � ou pas. C�est la phase la plus laborieuse : � Un des principaux atouts de Sant�Egidio est d�aborder les conflits sans prendre en consid�ration le sch�ma en vigueur, qui fixe le statut de chaque partie en pr�sence et d�termine son r�le : victime/bourreau, agresseur/agress�, terroriste/d�fenseur de l�ordre public �, explique une journaliste alg�rienne. Autre r�gle d�or : la patience et le temps � dont disposent rarement les institutions. Ne pas h�siter � raisonner en termes de mois, et d�ann�es. Eviter aussi d�agir en solitaire et notamment d��carter la diplomatie officielle, qu�il faut au contraire � int�resser au dossier �, dans la perspective d�un r�glement futur et de la n�cessaire mobilisation des moyens militaires ou financiers. Travailler donc en synergie et m�me en r�seau � une des sp�cialit�s de Sant�Egidio. Et assurer le suivi, rien n��tant acquis d�finitivement� Le tout dans un climat de discr�tion plus propice � la confiance et � la s�r�nit�, mais peu spectaculaire, ce qui explique sans doute que les grandes ONG de l�urgence humanitaire - y compris un organisme aussi prestigieux que le Centre Carter pour les droits de l�Homme - aient sembl� d�serter le terrain de la m�diation. Ce champ de la paix est en revanche de plus en plus investi par les organisations inter ou sous-r�gionales, qui peuvent mettre en �uvre - �ventuellement avec le mandat de l�ONU ou de l�Union africaine - des processus de m�diation, ainsi que des forces d�interposition. La mont�e en puissance de Sant�Egidio - 300 groupes, 60 000 membres, dans une soixantaine de pays - va de pair avec la vague de privatisations qui accompagne la mondialisation, et touche jusqu�� la diplomatie, � l�initiative de grandes soci�t�s multinationales, ou d�institutions comme l�Eglise catholique. Les chefs de la curie romaine ou les nonces apostoliques qui les repr�sentent dans les capitales jouent un r�le plus limit� que par le pass� : l�actuel � pape-voyageur � a d�ailleurs parcouru le monde en � pasteur �, d�sireux de remuer les foules, bien plus qu�en chef d�un Etat. Une part des relations internationales de l�Eglise catholique a �t� d�l�gu�e � des institutions semi-la�ques comme le Conseil pontifical Justice et Paix ou la Congr�gation des Eglises orientales ... ou abandonn�es de fait � certaines grandes ONG chr�tiennes, comme Sant�Egidio, qui craint parfois un trop grand vide dans ce domaine, et a le souci de r�-impliquer les Etats dans le r�glement des conflits. Tout en se d�fendant d��tre un � sous-marin du Vatican �, cette communaut� de la�cs a �t� reconnue par le Saint-Si�ge, et sollicit�e � plusieurs reprises par le pape Jean-Paul II. Un des monsignori de la secr�tairerie d'Etat - le minist�re des Affaires �trang�res de l'Eglise catholique, qui entretient des relations diplomatiques avec 172 Etats - estime que, � sans en d�pendre, Sant'Egidio agit le plus souvent en consensus avec le Saint-Si�ge, mais parfois en concurrence � - � On peut les traiter de r�veurs, mais j'ai toujours admir� leur obstination et soutenu leur volont� de r�soudre l'insoluble �, nous affirmait le cardinal Roger Etchegaray, qui a pr�sid� pendant quatorze ans la Commission pontificale Justice et Paix et se r�v�le un des principaux soutiens de Sant�Egidio � la curie. Le dialogue interreligieux est, avec la m�diation, une autre marque de fabrique de la communaut� du Trastevere. Elle se pr�occupe du poids croissant des n�o-protestants et des pentec�tistes aux Etats-Unis, en Am�rique latine et en Afrique, ce qui � repose la question des rapports avec le catholicisme historique et davantage encore avec l�islam �, analyse Andrea Riccardi � lequel ajoute � cette � feuille de route � la question des rapports entre le catholicisme et l�orthodoxie, rendue plus aigu� par l��largissement de l�Union vers l�Est europ�en ; la question de l�islam, � dont il est banal de dire qu�il peut �tre dangereux, mais qui est trop consid�r� comme une entit�, alors qu�il recouvre des r�alit�s tr�s diff�rentes � ; ou encore celle des liens avec le juda�sme et de la lutte contre l�antis�mitisme, � sans tout ramener � la question isra�lo-palestinienne �. Ce qui fait dire au professeur que, � dans un monde de plus en plus globalis�, il faut globaliser aussi le dialogue. A fortiori depuis le 11 septembre 2001 � �. Philippe LEYMARIE Philippe LEYMARIE est journaliste � Radio France internationale, o� il assure des revues de presse et chroniques. Il est sp�cialis� dans les questions africaines, maritimes, et de d�fense. Il collabore �galement au Monde diplomatique. www.santegidio.org Le DREAM Program (Drug Resource Enhancement against Aids and Malnutrition), lanc� par Sant�Egidio dans trois r�gions du Mozambique, a permis de bloquer � 97% la transmission du virus de la m�re � l�enfant. Dans une seconde phase, le programme va s��tendre en Angola, en Afrique du Sud, en Tanzanie, en Guin�e-Bissau, en Guin�e-Conacry, au Malawi et au Swaziland. PRUVOT Samuel, �La lumi�re du Trastevere�, La France catholique, 2 mai 2003. A l�initiative de Sant�Egidio, une centaine de villes dans le monde � parmi lesquelles Paris, Vienne, Rome Stockholm, Madrid, Bogota, Tokyo - ont illumin� leur monument le plus embl�matique, le 30 novembre dernier, � pour la vie et contre la peine de mort �. En Belgique, Anvers a illumin� sa cath�drale, Courtrai son beffroi, Bruxelles son atomium Une liste de 12 700 noms, consid�r�s comme autant de � soldats inconnus de la grande cause de Dieu � a �t� �tablie par cette commission et remise au Pape Jean Paul II, � l�occasion du Jubil� de l�an 2000. Andrea Riccardi, qui avait re�u cette mission du Souverain pontife en a tir� un livre : Ils sont morts pour leur foi � La pers�cution des chr�tiens au XXe si�cle �, Pion-Mame Ed., 455 pages. Du nom d�un cur� de paroisse et du maire communiste d�une commune italienne, dont une s�rie de films, dans les ann�es 50, ont immortalis� les disputes hom�riques. HAMADOUCHE Louisa A�t, � Conflits apparents et n�gociations discr�tes : l�implication diplomatique des ONG s�accro�t �, La Tribune, Alger, 2 juillet 2002. Le Soir, 4 f�vrier 2004. Pour Andrea Riccardi, la Belgique est � un laboratoire int�ressant, avec la reconnaissance de ses diversit�s r�gionales, mais aussi des grandes communaut�s venues de l�ext�rieur �, alors que � l�heure n�est plus au mod�le libanais, communautariste, mais � une reconnaissance du pluralisme communautaire �. Sant�Egidio est notamment repr�sent�e � Bruxelles, Anvers et Li�ge.
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