Comunità di S.Egidio


 

05/04/2005


Maraude Chr�tienne
Reconnue � travers le monde pour son action en faveur de la paix, la communaut� catholique de Sant�Egidio travaille � Bruxelles, Li�ge et Anvers avec les personnes �g�es, les SDF et les enfants issus de milieux d�favoris�s. Elle rassemble chaque semaine des jeunes la�cs qui revendiquent haut et fort leur appartenance � l��glise catholique

 

D�s la fermeture des commerces, la rue Neuve est une ville fant�me o� les passants sont rares. A cette heure, les gens pressent le pas pour quitter cette zone impersonnelle et sans vie. Devant l�imposante fa�ade de l��glise Notre-Dame du Finist�re, deux silhouettes patientes dans la pluie froide alors que la nuit est d�j� tomb�e. Christine Janssens et Fran�ois Delooz font partie de la communaut� religieuse de Sant�Egidio qui se retrouve ici tous les jeudis soirs pour prier.

Christine Janssens coordonne la section bruxelloise de Sant�Egidio et Fran�ois Delooz, celle de Li�ge. Ce sont des jeunes gens bien mis et affables qui font le pied de grue devant l��glise. Habill�s en tailleurs et costumes cravates, difficile d�imaginer ces jeunes gens en train de marauder dans les rues pluvieuses de Bruxelles, de la Bourse � la Gare centrale, � la recherche des sans-abri.

Pourtant, ce soir, comme chaque jeudi, la communaut� bruxelloise de Sant�Egidio se r�unit pour prier et distribuer des sandwichs aux clochards. Dans un des caf�s encore ouverts dans ce coin de la ville anonyme, Christine Janssens et Fran�ois Delooz nous explique leur engagement aupr�s de cette communaut� de la�cs qui �uvre depuis plus de trente ans, sous l��il bienveillant du Vatican.

Sant�Egidio a �t� fond� en 1968 par un groupe d��tudiants romains du lyc�e Virgile, fils et filles de bonne famille qui voulaient se mettre au service des pauvres. Depuis, les buts de la communaut� se sont pr�cis�s : l��vang�lisation, le service aupr�s des plus d�munis, l��cum�nisme et le travail pour la paix.

Aujourd�hui, Sant�Egidio a essaim� dans une soixantaine de pays, dont bon nombre de pays africains et rassemble plus de 40.000 personnes. L��cum�nisme et le dialogue interreligieux indiqu� par Vatican II demeure pour Sant�Egidio le mode d�emploi privil�gi� pour la r�conciliation dans les conflits. En 2004, l�Universit� Catholique de Louvain a remis � Andrea Riccardi, son fondateur, le titre de docteur honoris causa pour l�action de la communaut� Sant�Egidio en faveur de la paix.

Alors que les messes du dimanche ne rassemblent plus les foules de jeunes, Sant�Egidio est un des rares endroits � f�d�rer ceux-ci dans un projet qui revendique explicitement sa foi comme seul moteur de son action. A 32 ans, Christine Janssens est mari�e et � un enfant : � j�ai rencontr� la communaut� � l��ge de 15 ans. Je viens d�une famille catholique et j�allais donc � la messe mais sans beaucoup d�enthousiasme. C�est ma rencontre avec Sant�Egidio, lors d�une activit� organis�e � l��cole, qui a chang� ma foi. J�ai tout de suite �t� attir�e par le travail avec les pauvres. Ces derniers vivent l�Evangile sans le savoir et j�ai beaucoup appris � leur contact. Sant�Egidio croise la foi et l�engagement concret. Par cet engagement, j�ai compris combien l�Evangile est un guide pour notre vie. C�est le vivre et le partager avec d�autres qui m�a permis d��voluer dans cette direction. On peut faire beaucoup pour les autres mais si on n�a pas la foi, on reste fragile. Mon mari fait �galement partie de Sant�Egidio. C�est important de partager ensemble cet engagement fondamental dans notre vie. �

Christine Janssens dit regretter qu�aujourd�hui le monde chr�tien parle aux adolescents plus de questions de soci�t� comme la drogue et l�homosexualit�, mais reste parfois timide � �voquer la foi. � Craindrait-on de faire fuir les jeunes en invoquant directement l�Evangile ? �, s�interroge la jeune femme.

A Sant�Egidio, c�est rempli des certitudes de cette foi que l�on entend changer le monde. Ni plus, ni moins. L�Ancien et le Nouveau Testament remplacent ici le Capital dans une r�volution traditionaliste pour un monde sans guerre ni pauvret�. Programme ambitieux ! Mais ne dit-on pas que la foi vient � bout des montagnes ? Fran�ois Delooz et Christine Janssens en sont eux, plus que persuad�s.

� Je crois que les jeunes sont en recherche de sens, surtout maintenant dans un monde complexe et sans rep�re �, insiste Fran�ois Delooz. � Il faut leur montrer que l�Evangile offre des r�ponses dans un monde individualiste et mondialis� �. Fran�ois Delooz, 30 ans, est juriste et travaille pour une association de coop�ration au d�veloppement. Il est mari� et sera bient�t papa.

� J�ai d�couvert le livre d�Andrea Riccardi, Sant�Egidio, Rome et le monde, quand j��tais � l�universit� ; Depuis l�adolescence, j��tais le seul � continuer � aller � l��glise et cela me posait question. En rencontrant la communaut� de Sant�Egidio en Belgique, j�ai trouv� d�autres jeunes chr�tiens qui vivaient leur foi sans �tre repli�s sur eux-m�mes. La rencontre et l�amiti� des plus pauvres m�ont permis de vivre ma foi concr�tement. Il s�agit d�un engagement � long terme et non pas d�une � bonne action � de temps en temps. Pour moi, cette fid�lit� est un signe d�esp�rance dans noter soci�t�. Je suis persuad� que cette � spirale du bien � est essentielle pour changer les choses dans notre monde et inverser ce sentiment d�impuissance face aux guerres et � la pauvret�. �

Les membres de Sant�Egidio m�nent � Li�ge comme � Bruxelles (mais aussi � Anvers qui accueille la plus grande communaut� de Belgique) des actions � caract�re social et �vang�lique : l�Ecole de la paix accueille les enfants d�favoris�s pour faire leurs devoirs dans le quartier Saint-L�onard � Li�ge, et � Bruxelles, les membre de la communaut� rencontrent les sans-abri une fois par semaine.

Par ailleurs, les deux communaut�s visitent r�guli�rement des personnes �g�es � leur domicile et en maisons de repos.

� Il s�agit aussi de toucher ceux qui sont en apparence plus �loign�s de l�Evangile, c�est donc essentiel de t�moigner � poursuit la jeune femme.

Aux huit coups de cloche, le c�ur baroque de l��glise est rempli d�une vingtaine de personnes, jeunes gens � l�allure tr�s sage et fonctionnaires europ�ens pour l�essentiel. Sant�Egidio est d�abord une communaut� de la�cs. � Quand on parle de l�Eglise, on raisonne trop en terme institutionnel, mais l�Eglise ce n�est pas que �a. Chaque croyant a la responsabilit� de t�moigner par sa vie quotidienne �, explique Fran�ois Delooz.

Ainsi, aucun pr�tre n�officie mais la pri�re est pr�par�e par les plus engag�s. On chante ensemble. On chante juste. A la fin de la pri�re, apr�s quelques bavardages, la moiti� de l�assistance se retrouve sac plastique � la main pour la deuxi�me moiti� de la soir�e.

� La plupart d�entre nous, venons ici directement du travail, donc nous n�avons pas le temps de pr�parer des sandwichs nous-m�mes. Chacun apporte ce qu�il veut. Il n�y a aucune obligation. Tout ce que nous demandons, c�est que chacun essaie d��tre r�gulier. Si on commence, il faut continuer par respect pour les personnes que nous rencontrons dans la rue �, souligne Christine Janssens.

Pascal, 39 ans, a rejoint Sant�Egidio depuis quelques moi seulement. Et chaque jeudi, il rejoint l��glise du Finist�re pour prier avec ses nouveaux amis et rencontrer les personnes qui vivent dans la rue. � Ah bon ? Je ne savais pas que votre journal s�int�ressait aux catholiques !�

C�est avec ce commentaire acide que Pascal accueille notre curiosit� pour son engagement. Pascal a la nostalgie de la presse partisane. � Au moins avant, on savait ce que l�on avait en main !, poursuit-il, je trouve cela un peu facile de vivre sa religion seulement dans les livres. Ici, il y a un engagement concret. On va dans la ville � la rencontre des pauvres. C�est ce qui me pla�t. J�ai �t� longtemps b�n�vole pour une association qui emmenait des handicap�s en vacances. Mais une fois les vacances termin�es, il n�y a avait pas de suivi et cela me manquait. J�appr�cie �norm�ment l�engagement r�gulier que permettent Sant�Egidio et l�amiti� qui nous r�unit chaque semaine. Vivre l�Evangile de cette mani�re est une chose formidable �, nous explique-t-il dans l�air frais qui traverse la rue Neuve. Maintenant, le groupe s�est divis� en deux : une demi-douzaine de personnes se dirigent vers la gare centrale et l�Albertine et l�autre moiti� remonte le Boulevard Anspach vers la Bourse. � Il pleut, il fait froid, certains ont pr�f�r� rentrer �, s�excuse Christine Janssens en remontant le boulevard d�un pas rapide. Face � une vitrine color�e d��lectrom�nager, une jeune femme, son ami et leur chien rient sur une couverture d�pos�e sur le trottoir. Ils ne semblent pas vraiment faire la manche, ils causent tranquillement. � As-tu de quoi manger ce soir ? � demande Christine Janssens. � Veux-tu un sandwich ? � poursuit la jeune femme. Les deux amis se retournent : � non merci, �a ira � ; La petite �quipe de Sant�Egidio poursuit son chemin et descend dans la station de m�tro de la Bourse o� tout un groupe de sans-abri bavarde. La plupart d�entre eux connaissent de vue les personnes qui viennent distribuer des casses cro�tes. � Bon, moi j�en pense pas grand-chose �, nous explique Ben qui n�a plus de logement depuis trois ans. � Ils sont les bienvenus, surtout quand on a un petit creux � plaisante-t-il. � S�rieusement, cela fait plaisir de recevoir un sandwich. La plupart du temps, on reste ici entre copains. On souffre beaucoup de la solitude, alors on se d�brouille pour rester ensemble ; Evidemment, l�hiver, c�est plus dur ! Manger un truc, �a fait toujours du bien. �

� Ces gens nous remettent en question. Ils nous permettent de ne jamais �tre satisfaits de nous-m�mes �

� J�ai des sandwichs au fromage ou au saumon, qu�est-ce que tu pr�f�res ? � demande une des participantes. � Ah oui ! Saumon, s�il vous pla�t. Tu n�aurais pas une cigarette ? � lui r�pond son interlocuteur. � Non, mais j�ai du jus d�orange. Le jus d�orange, c�est bon pour la sant�. Tu vois, je pense � te donner quelque chose qui te fasse du bien �. Pour Uska, qui est � la rue depuis plus de deux ans, � �a fait du bien de les voir. D�abord, ils donnent un sandwich et �a fait plaisir. Mais, surtout, ils ne sont pas agressifs comme les autres gens qui passent souvent � c�t� de nous sans nous voir. Ici, ils discutent, ils sont cool ; �a fait vraiment plaisir qu�on vous regarde comme un �tre humain. , explique le jeune homme.

En moins d�une heure, les sachets plastiques sont vides. Il n�y a plus ni berlingots, ni jus d�orange, ni sandwichs au saumon. Alors, le groupe se retrouve pour prendre un pot, se r�chauffer et discuter. Au-del� de la distribution proprement dite, la communaut� tente par des contacts � long terme d�aider les uns et les autres, en les orientant vers les services comp�tents et offre � chacun pour son anniversaire un cadeau personnalis�. Sant�Egidio organise aussi un r�veillon de No�l pour les sans-abri. � Ces gens nous remettent en question. Ils sont un appel � notre c�ur. Ils nous permettent de ne jamais �tre satisfaits de nous-m�me. Souvent, on les consid�re comme des � autres absolus �. En les fr�quentant, on se rend compte qu�ils sont tr�s proches. Il y a une vraie amiti� qui nous lie, ces gens n�ont rien � perdre donc, ils sont particuli�rement sinc�res. Quand on fait �a chaque semaine, ce n�est pas comme � la t�l�vision, on ne peut pas zapper pour qu�ils disparaissent �. A la question de savoir si tout cela a un sens, Christine Janssens r�pond : � je ne doute jamais quand je repense � la joie et � la reconnaissance, je sais que cela a un sens m�me si on ne r�ussit pas � changer les choses, ils savent qu�ils ne sont pas seuls, qu�on pense � eux. Et puis, cela nous apporte tellement de joie de faire quelque choses d�utile pour les autres, d�avoir une vie qui a un sens. � Nuit de semaine. Humide et solitaire, l�obscurit� a infus� dans chaque recoin de la ville. Et l�imposante devanture de l��glise du Finist�re attend parmi les vitrines, un autre lev� du jour.

Francois Raes