Comunità di S.Egidio


 

20/12/2005


Le chevalier de la paix

 

Au milieu des haines et violences d'une guerre religieuse sans merci, entre d'impitoyables combattants de la Croix et du Croissant, Fran�ois d'Assise osait une incroyable et audacieuse mission proph�tique pour le dialogue.

Chroniqueur

No�l n'en finit pas de livrer ses secrets et d'en susciter d'autres � petite et grande �chelle. Ainsi, ce �Joyeux No�l�, un film qui met en sc�ne des fraternisations entre soldats ennemis la nuit du 24 d�cembre 1914. Une oeuvre de paix. Il est vrai que l'�v�nement de No�l est pr�cis�ment la naissance du �Prince de la Paix� dont pourraient se r�clamer consciemment ou non tant de �fauteurs de paix�, �brigades de la paix� et �soldats de l'Onu�, qui refusent les croisades arm�es au profit d'actions pacifiantes, si modestes soient-elles. De m�me, une soeur Marie Keyrouz et ses dix musiciens du Liban et du Maghreb, qui interpr�tent des �Hymnes � la paix et � l'esp�rance� de toutes les traditions religieuses de l'Orient... Et je songe � Fran�ois d'Assise, t�moin d'affrontements haineux entre le maire et l'�v�que du lieu, qui ajouta un couplet � son Cantique des cr�atures: �Lou� sois-tu mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent pour l'amour de toi et supportent douleurs et tribulations. Bienheureux ceux qui les supporteront en paix...�

No�l, c'est aussi la cr�che. Une tradition fort ancienne qui, au Moyen Age, fera l'objet de drames liturgiques, mis en sc�ne et en musique, sur les places publiques et les parvis des �glises. En 1207, Innocent III en interdit toute repr�sentation dans les lieux de culte. Seize ans plus tard, le Poverello sollicite et obtient l'autorisation de son successeur, Honorius III, de renouveler l'ancienne tradition d'une mise en sc�ne de la Nativit�, en lien avec l'eucharistie (1). Soumis � l'institution, Fran�ois n'en �tait pas moins libre et charismatique. Le Pape lutte contre les h�r�sies, soutient les jeunes Ordres mendiants, mais relance les exp�ditions guerri�res en Terre sainte. Il faut savoir que l'islam a d�j� conquis une partie de l'Espagne, esp�rant aller jusqu'� Rome �y purifier l'Eglise dans un bain de sang�.

Comme ses pr�d�cesseurs, Innocent III a condamn� le �Grand Satan�, consid�r� comme l'ennemi irr�conciliable de la chr�tient�... Seule peut l'abattre l'�p�e des crois�s portant le Tau de la Croix du Christ. Une p�riode d'extr�me brutalit� et d'une ignorance tout aussi grande concernant Mohamed et l'islam. Les id�es sont confuses, traduites par un vocabulaire calomnieux et offensant, que l'on retrouve jusque dans les documents pontificaux. La croisade deviendra ainsi la �guerre sainte� du peuple chr�tien, en r�plique � la �guerre sainte� musulmane...

Or, le fils Bernardone, n� en 1181 (82), avait 20 ans quand d�buta la quatri�me exp�dition qui vit les crois�s prendre Constantinople. J'imagine ais�ment ce jeune et riche bourgeois, enthousiasm� par l'h�ro�sme des soldats du Christ, occup�s � combattre et � vaincre �l'ennemi de la Croix�. Et je comprends son d�sir juv�nile de s'engager dans les troupes chr�tiennes, pour conqu�rir la gloire et devenir chevalier. Le r�ve fou d'un fils de marchand de draps d'acc�der � la noblesse! Il r�pondra donc �pr�sent� � la mobilisation pontificale. Pour rejoindre les arm�es en formation, il fait �tape � Spol�te. Durant son sommeil, il entend une voix myst�rieuse lui murmurer: �Pourquoi suivre le serviteur au lieu du ma�tre dont il d�pend?�. Autrement dit: �Vaut-il mieux ob�ir au pape qui a exig� la croisade, ou au Seigneur qui a un autre projet?� Surpris, boulevers�, il fera demi-tour..., d�cid� � ob�ir � Dieu et au Christ des B�atitudes plut�t qu'au pontife guerrier. L'ann�e suivante, semble-t-il, le jeune converti se rend � Rome pour expliquer sa nouvelle orientation. Le pape, indign�, l'aurait renvoy�, ne pouvant admettre �la th�se de cet inconnu, selon laquelle J�sus-Christ ne voulait pas de la croisade�! Le pacifique Assisiate pr�f�rait manifestement l'amour des ennemis � la violence des guerriers, qui s'engageaient � les tuer �au nom du Christ�.

En 1219, accompagn� de l'un de ses premiers �fr�res mineurs�, Fran�ois rejoint les crois�s qui assi�geaient Damiette. C'est l� qu'il quittera le camp chr�tien pour se rendre dans le camp ennemi, afin d'y convertir le sultan � l'Evangile ou, dans l'esprit du temps, recevoir la gr�ce du martyre. Il n'obtint ni l'un ni l'autre. Par contre, il accomplit une incroyable �mission proph�tique pour le dialogue�. Il ne fut gu�re suivi. Comme l'�crivait, en 1959, un expert en la mati�re: �Les historiens de l'Eglise et les biographes du Petit Pauvre d'Assise n'ont pas toujours saisi la signification profonde de ce fait, dont les r�percussions ont grandi au rythme des si�cles.� (2) D'ailleurs, ses premiers missionnaires au Maroc ont continu� � r�ver du martyre en insultant l'islam et son proph�te. Une sorte de �suicide pour Dieu�.

Il faudra pratiquement attendre Vatican II pour que l'Eglise exhorte chr�tiens et musulmans � oublier le pass� et � s'efforcer sinc�rement � la compr�hension mutuelle. C'est ensemble qu'ils ont � prot�ger et promouvoir la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la libert� (3). A chacun de s'en pr�occuper et de l'incarner sur le terrain de la vie quotidienne. Reste que l'ignorance reste un immense obstacle, et trop faible la volont� de saisir tant d'occasions d'information, de dialogue, de services communs et de respect mutuel, qui peuvent �dresser de vraies digues contre la violence�.

La communaut� Sant'Egidio l'a bien compris, en relevant le d�fi du Poverello, comme nul ne l'avait fait jusque-l�. Depuis 1968, elle s'est fait l'avocate de toutes les pauvret�s, et a multipli� les initiatives de paix dans diverses parties du monde. Tout en favorisant le dialogue oecum�nique et interreligieux, jusqu'� prendre une rel�ve dynamique de la c�l�bre initiative de Jean Paul II, du 27 octobre 1986 � Assise, qui t�moignait de la n�cessit� �vang�lique d'une rencontre pacifique avec les religions du monde.

(1) �Biblia - La Parole de Dieu livre apr�s livre�, Cerf, n� 44, d�cembre 2005, pp. 33-37, 7

(2) Giulio Basetti-Sani, ofm, �Mohamed et saint Fran�ois�, 1959, Commissariat de Terre Sainte, Ottawa 2, Ont., Canada.

(3) �Nostra Aetate�, n� 3

� La Libre Belgique 2005

P. Fabien Deleclos