Comunità di S.Egidio


 

03/02/2007


En finir avec la peine de mort
La peine capitale est r�guli�rement appliqu�e dans 54 pays, il faut les convaincre d'y renoncer

 

Penthotal, curare, chlorure de sodium. Je te fais asseoir, je te paralyse, je te cong�le. Une mort sans douleur. Sans douleur ? La guillotine aussi devait o humaniser a la mort. Rapidit�, pr�cision. L'injection l�tale devait procurer, enfin, une mort propre. Indolore. Pas comme le cyanure des chambres � gaz, avec sa mort lente par �touffement. Pas comme la lapidation, si archa�que et barbare, ou le peloton d'ex�cution, si impr�cis. Pas comme la pendaison : la t�te peut �tre arrach�e, ou la mort plus lente. Tout cela para�t trop barbare, peu fiable. Pas comme la chaise �lectrique, qui fait parfois br�ler la t�te, ce qui n'est pas agr�able � regarder. Les ex�cutions o s'humanisent a aussi pour ceux qui y assistent et pour ceux qui administrent la mort.

La premi�re ex�cution par injection l�tale s'est d�roul�e au Texas en 1982. Carroll Pickett, un pasteur m�thodiste, a accompagn� les 95 premiers condamn�s � mort. Il m'a racont� qu'on a fait des essais pendant un mois, qu'ils ont d�cid� de fixer le brancard au sol, s'�tant aper�us que si le condamn� se d�bat, il s'en va dans tous les sens. Et quelquefois l'aiguille sort de la veine : c'est la raison pour laquelle on utilise les deux bras. L'un des deux est en r�serve. Puis, tout s'arr�te. Il n'y a pas de r�action, parfois un demisourire, la respiration cesse. La r�alit� est tout autre. Une substance � base de curare paralyse les muscles, tandis qu'une autre cong�le et d�truit Mais la sensibilit� ne dispara�t pas, seulement la possibilit� de hurler et de se rebeller contre l'horreur. On a la sensation d'exploser de l'int�rieur et on ne peut pas m�me crier. C'est ce qu'a expliqu� le British Medical Journa.

John Paul Stevens, juge � la Cour supr�me des Etats-Unis, a d�clar� qu'il est interdit de tuer de cette .sen les chiens ou les chats. En Floride, un condamn� a mis trente minutes � mourir. En 2001, ils avaient renonc� � utiliser la chaise �lectrique, parce qu'un condamn� avait �t� carbonis�. Si ce proc�d� est le meilleur que le monde ait pu inventer pour donner une mort � propre a, il y a quelque chose qui ne va pas. Et qu'il faut faire cesser imm�diatement. Un moratoire universel des ex�cutions doit �tre introduit au plus vite. Vers l'abolition totale. Tel est le sens de la campagne men�e par l'Italie, la France et l'Allemagne en faveur d'une r�solution des Nations unies.

La majeure partie des ex�cutions dans le monde ont lieu en Chine, le reste �tant r�parti entre l'Irak, l'Arabie saoudite, Singapour, les Etats-Unis, le Japon et l'Inde. Mais d�sormais, 54 pays � seulement a continuent � l'appliquer r�guli�rement. Les abolitionnistes sont au nombre de 90, dont 40 le sont devenus dans les quinze derni�res ann�es, ce qui t�moigne d'un changement culturel au niveau plan�taire. Parmi eux, 54 pays sont abolitionnistes de fait ou ont proclam� un moratoire des ex�cutions, m�me si la peine de mort y est encore en vigueur.

Dans aucun pays o� elle est appliqu�e la peine de mort n'a fait baisser le nombre de crimes graves, et aucune statistique n'indique qu'elle puisse avoir un effet dissuasif. On peut m�me citer le cas inverse, celui du Canada, o� le taux de criminalit� a baiss� de plus de 20 % depuis que la peine de mort a �t� abolie en 1976. Presque toujours, la peine de mort est une solution de type militaire pour r�gler des questions sociales qu'on est incapable d'affronter. Elle parle toujours aux instincts les plus bas de l'homme. Fonder son rejet ou sa n�cessit� sur des sondages d'opinion s'inscrit dans le droitfil des pogroms et lynchages du pass� : cela r�duit les �lus � un r�le d'enregistreurs et fait tomber le leadership, l'humanisme et la d�mocratie dans un populisme pl�biscitaire.

La peine capitale entend lutter contre la mort, mais en r�alit� elle l�gitime au niveau le plus �lev�, celui de l'Etat, et au nom de tous, le fait que la vie puisse �tre �t�e. Ainsi s'�tend une culture de mort. Utilis�e contre les opposants politiques ou religieux, les minorit�s sociales ou culturelles comme une solution de facilit� pour l'opinion publique dans les pays autoritaires, elle n'est pas exempte de racisme et de discriminations dans les grandes d�mocraties : aux Etats-Unis, les gens de couleur et les Latinos ont neuf fois plus de probabilit�s d'�tre ex�cut�s qu'un Blanc issu d'un milieu ais� convaincu du m�me d�lit.

C'est une dr�le de justice, dans laquelle les droits humains d�pendent de la g�ographie. Aux Etats-Unis, la moiti� des ex�cutions sont concentr�es au Texas, et la moiti� de cellesci dans le comt� de Harris (Houston). La Bible Belt du Sud (ceinture biblique) comptabilise � elle seule presque toutes les ex�cutions capitales des Etats-Unis. Et le taux de criminalit� y est, lui aussi, trois fois plus �lev� que dans les autres Etats d'Am�rique. Le nombre d'erreurs judiciaires est bien plus �lev� que les 124 d�tenus innocents remis en libert� apr�s avoir pass� trois ans dans le couloir de la mort.

Mes recherches personnelles et la correspondance avec plus de 2 000 d�tenus dans les couloirs de la mort m'ont amen� � la conclusion que 13 % � 15 % des condamn�s � mort am�ricains sont innocents. Au Japon, la date de l'ex�cution n'est jamais communiqu�e aux familles, ni au condamn�. Celleci peut avoir lieu apr�s des mois, voire des ann�es : chaque fois que la porte s'ouvre, cela peut �tre pour recevoir de la nourriture, du courrier, une punition, ou la mort. Aucune l�gitime d�fense de la soci�t� vis-�-vis des violents ne peut �tre invoqu�e lorsqu'on tue � froid, apr�s des ann�es, quelqu'un qui n'est plus en �tat de nuire.

Il y a une part de torture mentale qui est in�liminable dans toute condamnation � mort, parce qu'on meurt mentalement dix, cent, mille fois. Esclavage et torture sont consid�r�s aujourd'hui comme des pratiques barbares, m�me si elles ont �t� jug�es normales, et m�me n�cessaires, durant des si�cles. Une grande partie du monde consid�re aujourd'hui la peine de mort comme une pratique barbare. Le Tribunal p�nal international ne l'applique plus, m�me pour les crimes contre l'humanit�, et le troisi�me mill�naire a besoin, au plus vite, d'un droit plus humain.

L'Europe est le premier continent au monde sans peine de mon. Certains soutiennent que c'est parce que c'est un continent s�cularis�, d�sesp�r�, qui ne croit plus � la vie apr�s la mort. C'est une observation qui n'a pas de sens. Apr�s avoir vu trop de morts sur son sol, deux guerres mondiales, la Shoah, l'Europe s'est repens�e, sans guerres offensives et sans peine de mort. Culture la�que et racines jud�o chr�tiennes se sont rencontr�es en une synth�se qui conna�t la r�habilitation comme dimension fondamentale de la justice. C'est une diff�rence de taille vis-�-vis des Etats-Unis et de son appel � une justice distributive � autant invoqu�e qu'inhumaine. Aucune ex�cution n'a jamais rendu la vie aux victimes ; au contraire, elle en a cr�� de nouvelles (y compris les familles des condamn�s � mort, totalement ignor�es). Loin de gu�rir les blessures des familles de ceux qui sont ex�cut�s, on les cong�le dans l'attente d'une gu�rison qui n'arrive jamais, fig�es dans la haine.

Les nations modernes doivent renoncer � la peine capitale pour ne pas rabaisser l'Etat au rang de ceux qui donnent la mort, jamais. Pour faire mieux que tous les Saddam Hussein, toujours. Une d�mocratie m�re d�couvre que la peine capitale humilie ceux qui la subissent, mais aussi ceux qui l'administrent. Elle r�cuse � la racine le principe sur lequel se fonde l'Etat moderne, le L�viathan de Hobbes, qui s'�l�ve pour d�fendre la vie et emp�cher la vengeance, la violence g�n�ralis�e.

C'est le parcours biblique qui repr�sente l'�volution de l'histoire humaine : il va de la vengeance disproportionn�e � la vengeance �galitaire, et enfin � la protection de la vie de Ca�n, � la d�couverte, dans le Livre de Job, que le souffle de la vie est entre les mains de Dieu, et pas de l'homme, et cela, d�s avant le Nouveau Testament et l'amour chr�tien pour les ennemis et les violents. C'est le parcours de l'illuministe Cesare Beccaria, qui conteste pour la premi�re fois la peine de mort en 1764, ouvrant ainsi la voie � la premi�re abolition de l'histoire de la part d'un Etat, le grandduch� de Toscane, le 30 novembre 1786. C'est pour toutes ces raisons qu'a �t� lanc�e l'initiative des Journ�es internationales des villes contre la peine de mort, partie de Rome et de Toscane, et devenue un mouvement mondial qui regroupe d�j� six cents villes du monde.

L'engagement diplomatique et culturel de ces prochains mois, en premier lieu pour l'Italie et la France, est de se donner pour objectif une r�solution des Nations unies coparrain�e par PUE et par des payscl�s du Sud, tels que l'Afrique du Sud, le Mozambique, le S�n�gal, le Liberia, le Br�sil, le Mexique, le Chili, le Cambodge, les Philippines..., et pouvant inclure peut�tre aussi la Tunisie, le Maroc, l'Alg�rie, et Taiwan, pays abolitionnistes o de fait �. Il faut �viter qu'un sentiment antieurop�en et anticolonialiste puisse �tre utilis� de mani�re biais�e et paralysante. Avec de telles pr�misses, on peut vraiment gagner.

Mario Marazziti