Comunità di S.Egidio


 

06/03/2007


Pourquoi l�accord de Ouagadougou est r�volutionnaire

 

Le texte est long � plus de trente mille caract�res dactylographi�s, lorsqu�on compte l�annexe. Il est �galement technique, tr�s technique. Il �voque plus ou moins des questions d�j� �voqu�es dans les pr�c�dents accords, et son originalit� peut ne pas sauter aux yeux � la premi�re lecture. Pourtant, l�accord de Ouagadougou, qui sanctionne le �dialogue direct� entre la Pr�sidence et la r�bellion, est r�volutionnaire � plus d�un titre. Retour sur un texte qui a de tr�s fortes chances de se transformer en viatique pour la paix.

L�accord de Ouaga r�gle les probl�mes de fond avec mesure

L�identification �lectorale a toujours �t� au c�ur d�un certain nombre de controverses bloquant la r�solution de la crise ivoirienne.

D�une part, l�opposition politico-militaire �tait agripp�e � ses exigences de reprise totale de l�identification, comme si la C�te d�Ivoire n�avait jamais fait de recensement ou entretenu un �tat-civil. Elle souhaitait des audiences foraines sans contr�le aucun, durant lesquelles des magistrats coopt�s par le Premier ministre d�livreraient des certificats de nationalit� au tout-venant pour peu qu�il ait deux t�moins disant la m�me chose que lui � ses c�t�s. Elle voulait �carter l�Institut national de la statistique, m�moire �lectorale de la C�te d�Ivoire, du processus. Bref, elle entendait mener une identification en catimini, loin des yeux du pr�sident de la R�publique.

D�autre part, le camp pr�sidentiel, intrigu� par une approche aussi peu claire, d�non�ait � l�avance une volont� de fraude et de bradage de la nationalit� ivoirienne pour des raisons �lectoralistes � le ministre de la Justice n��voquait-il pas, sans enqu�te pr�alable, plus de 3,5 millions d�Ivoiriens de plus de treize ans n�ayant jamais eu d�acte de naissance ?

A Ouagadougou, l�art de la conciliation a triomph�. Les audiences foraines auront lieu, mais elles d�livreront �uniquement des jugements suppl�tifs tenant lieu d�actes de naissance aux personnes n�es en C�te d�Ivoire qui n�ont jamais �t� d�clar�es � l��tat-civil�. Les registres d��tat-civil d�truits par les rebelles seront reconstitu�s selon des dispositions qui seront d�taill�es par un d�cret d�application sign� par le pr�sident de la R�publique.

Mieux : la liste �lectorale de 2000, honnie � pour des raisons myst�rieuses � par le RDR et le PDCI, sera centrale dans le processus �lectoral. C�est elle qui servira de base au recensement �lectoral. La liste �lectorale de 2000 sera l�, l�INS aussi. Combattue pendant des ann�es par l�opposition, cet institut travaillera avec un op�rateur technique choisi de mani�re consensuelle par la partie pr�sidentielle et la partie rebelle. Les modalit�s d�inscription sur les listes �lectorales sont assujetties aux dispositions du Code �lectoral, et elles seront pr�cis�es par un d�cret pris en Conseil des ministres, sous la houlette du chef de l�Etat. Le grand r�ve de confiner Gbagbo dans un r�le de spectateur assistant passivement � la pr�paration des op�rations �lectorales est mort de sa belle mort !

La question du d�sarmement �tait �galement �pineuse et semblait impossible � r�soudre. Plusieurs fois renvoy� aux calendes grecques, le DDR �tait devenu l�Arl�sienne. L�accord de Ouaga innove en ce sens qu�il se pr�occupe � la fois du d�sarmement et du destin des combattants de la r�bellion. Les �petits soldats� de Soro sans qualification n�auront plus de crainte. Bon nombre d�entre eux seront pris en compte dans le service civique. Quant aux rebelles issus des FDS, ils pourront y retourner et r�apprendre la fraternit� d�armes avec leurs anciens coll�gues, notamment � travers un Centre de commandement int�gr�. Certes, cet �tat-major int�gr� qui ne dit pas son nom est une couleuvre pour le camp r�publicain. Mais il est pour ainsi dire une formule consacr�e dans le r�glement des conflits et la meilleure mani�re d�engager, par l�inclusion, les rebelles � respecter leur parole. Mieux : les patriotes et tous ceux qui ont v�cu douloureusement la partition de la C�te d�Ivoire peuvent se r�jouir de la disparition de la zone de confiance, vraie fracture dans la g�ographie d�une Nation. Si les rebelles acceptent de se d�lester du bouclier (Licorne, ONUCI) qui les prot�geait, c�est bien parce qu�ils ont compris que la guerre ne pouvait plus durer.

L�accord de Ouaga signe la mise � la retraite politique des �h�ritiers d�Houphou�t-Boigny�

La crise ivoirienne a souvent �t� analys�e sous le prisme de la �guerre des h�ritiers� d�Houphou�t-Boigny, Henri Konan B�di� et Alassane Dramane Ouattara, qui ont ouvert la bo�te de Pandore de la division psychologique et g�ographique du pays. Marginalis�s au profit de Laurent Gbagbo, ils ont contribu� � alimenter la tension en instrumentalisant la r�bellion et en bloquant toute sortie de crise tant qu�ils n�avaient pas eux-m�mes l�impression d��tre sortis de leur impasse politique.

Les accords de Linas-Marcoussis et de Pretoria les maintenaient au c�ur des n�gociations et leur donnaient l�occasion de montrer leur capacit� de nuisance � travers une arme : camper sur des positions inacceptables pour maintenir le statu quo jusqu�� un �ventuel renversement de Gbagbo, par la �communaut� internationale� ou par un coup d�Etat militaire. Aujourd�hui, les choses ont chang�. Ils n�ont pas �t� associ�s aux n�gociations, ils ont �t� inform�s. Ils ne seront pas associ�s dans la formation du gouvernement, ils seront coopt�s.

En coulisses, les rebelles ne cachent pas leur volont� de prendre acte du renouvellement g�n�rationnel, qui est une loi de la nature. Ils ont soutenu Alassane Ouattara, mais commencent � comprendre qu�il est d�pass�, et qu�il a pris bien moins de risques qu�eux et est souvent tent� de les traiter par le m�pris. Ils commencent � avoir l�ambition de compter eux aussi, notamment dans la perspective des �lections de 2013. Quant � Henri Konan B�di�, ils ne l�ont jamais vraiment port� dans leur c�ur, et doivent bien admettre qu�il n�arrive m�me pas � tenir la maison PDCI. Ils veulent exister, et ils savent que cela passe par la liquidation politique des dinosaures de l�houphou�tisme plus accroch�s au pass� que soucieux de l�avenir.

Tr�s � l�aise sur le champ politique, Laurent Gbagbo compte s�engager, avec une gourmandise avou�e, dans la derni�re bataille �lectorale de sa vie. Qui passe �galement par la mise � la retraite politique de B�di� et Ouattara, qu�il est d�sormais de bon ton de consoler avec des statuts de pr�sidents d�institution sans portefeuille.

L�accord de Ouaga sort la C�te d�Ivoire des griffes de la France et de son arm�e

�Si Marcoussis avait �t� sign� en terre africaine, son contenu aurait �t� diff�rent�, a souvent fulmin� le pr�sident Laurent Gbagbo. De fait, la France s�est impos�e, fin 2002, comme l�alpha et l�om�ga du processus de paix en C�te d�Ivoire. Convoquant toute la classe politique dans la banlieue parisienne. Intriguant aupr�s des chefs d�Etat africains pour continuer l�op�ration �tordre le bras � Gbagbo� au sein de la CEDEAO et de l�Union africaine. Instrumentalisant le Conseil de s�curit� de l�ONU pour aller jusqu�� tenter de rectifier les recommandations du Conseil de paix et de s�curit� de l�Union africaine.

Ouaga est la preuve que la France n��tait pas la solution, mais le probl�me de la C�te d�Ivoire. C�est l�accord n�goci� le plus sereinement. C�est le texte le moins conflig�ne et le moins polys�mique.

Surtout, cet accord indique que les deux parties bellig�rantes ne veulent plus de la pr�sence envahissante de la Licorne et des Casques bleus. La suppression de la zone de confiance, dans les meilleurs d�lais, vise en effet � les rendre inutiles. En ce sens, les signataires de l�accord de Ouaga ont fait �uvre patriotique, en donnant � la C�te d�Ivoire l�opportunit� historique de retrouver une souverainet� mise � mal par la pr�sence de 10 000 soldats ayant la pr�tention de faire la police, de rendre la justice, de r�gler les conflits fonciers, dans une grosse partie de son territoire.

L�accord de Ouaga dessine un nouvel ordre g�opolitique en Afrique

Qui l�e�t cru ? Blaise Compaor�, compagnon de route de Charles Taylor dans la d�stabilisation de l�Afrique de l�Ouest, faiseur de paix ? L�Histoire est souvent d�une ironie surprenante. L�image du pr�sident du Faso tenant les mains de Guillaume Soro et de Laurent Gbagbo et posant devant les flashs des photographes peut �tre vue avec un sentiment d�ind�cence. Elle peut aussi signifier que les choses ont chang�.

Cam�l�on politique, le pr�sident Compaor� a �t� un r�volutionnaire exalt� lors du sankarisme triomphant, puis a r�ussi le tour de bras de se faire le prot�g� de Kadhafi et le pion de la Fran�afrique, apr�s avoir pris le pouvoir dans les conditions que l�on sait. Travaill� au corps notamment par Thabo Mbeki, ces derni�res ann�es, il a sans doute compris � avec le d�part annonc� de son protecteur, Jacques Chirac � que son jeune �ge et sa volont� de durer au pouvoir l�engageaient � se mettre � jour et � prendre acte de la nouvelle distribution des cartes, des nouveaux r�seaux, des nouveaux pouvoirs� de l�Afrique des Africains !

Blaise Compaor� converti ? C�est un pari. De nombreux strat�ges ont toujours relev� un certain isolement du pr�sident Gbagbo en Afrique de l�Ouest, soutenu par l�Angola, l�Afrique du Sud, le Rwanda notamment, mais regard� avec hostilit� par ses voisins. Aurait-il �t� possible de faire la paix en C�te d�Ivoire contre l�Afrique de l�Ouest ? La formule de Ouaga, d�cid�e par Laurent Gbagbo qui a b�n�fici� de l�appui discret de Thabo Mbeki et de la Communaut� de Sant�Egidio, est un bon compromis. Personne ne se sent humili�, tout le monde est valoris�. Rien de mieux pour esp�rer engager une nouvelle �re dans les rapports entre nations en Afrique de l�Ouest au moment de la mort annonc�e de la Fran�afrique !

Th�ophile Kouamouo