Comunità di S.Egidio


 

Jeune Afrique

17/03/2007

C�te d'Ivoire Nouveau facilitateur, nouvelles m�thodes et �ni�me accord dans le r�glement de la crise ivoirienne. Un espoir de paix est n� � Ouagadougou le 4 mars. Reste � le r�aliser.
Faut-il y croire?

 

C'est fait, les deux principaux acteurs de la crise ivoirienne ont risqu� le pari de la paix. Apr�s plus de quatre ans d'affrontements de tous ordres, le pr�sident Laurent Gbagbo et le chef de file des Forces nouvelles (FN, ex-r�bellion) Guillaume Soro ont sign�, le 4 mars, dans la capitale burkinab�, un accord. Le document, appel� � Accord politique de Ouagadougou �, soumis d'abord � l'Union africaine, devait �tre ent�rin� le 12 mars par le Conseil de s�curit� des Nations unies. Une longue partie de poker menteur s'ach�ve, un nouvel espoir pointe � l'horizon.

C'est ainsi en tout cas que l'ont compris les deux parties, qui, cette fois, n'ont subi aucune pression pour parapher ce plan de sortie de crise. Laurent Gbagbo, d�monstratif comme � son habitude, l'a sugg�r� � ses compatriotes d�s son retour de Ouagadougou. Tout sourires, il a lev� les poings en signe de victoire. Et, outre la poign�e de main entre le chef de l'�tat ivoirien, son homologue burkinab� Blaise Compaor�, facilitateur de ces retrouvailles, et le leader des FN, s'il fallait garder une image immortalisant l'issue d'un mois de n�gociations, ce serait bien celle-l�. Celle d'un Gbagbo qui, � l'entendre, aurait fini par imposer sa solution � ses adversaires politiques ainsi qu'� la communaut� internationale qu'il a toujours accus�e de chercher � lui tordre le bras. Cette bataille, il l'a gagn�e conjointement avec son adversaire d'hier, Guillaume Soro. Mais, du coup, a-t-il vraiment vaincu? En tout cas, il s'est r�joui en ces termes: � C'est la paix en Afrique et par l'Afrique. Tous les probl�mes qui naissent en Afrique peuvent trouver des solutions en Afrique. � L'issue n'�tait pas �vidente. Que de tractations secr�tes, de rencontres nocturnes, de conversations t�l�phoniques anim�es avec certains de ses pairs du continent et de relations mises � contribution pour aboutir. Il y a fallu du savoir-faire politique, du cou-rage et cette dose de pers�v�rance qui frise l'ent�tement. Laurent Gbagbo n'en manque pas. C'est fin novembre, d�but d�cembre 2006, apr�s la consultation g�n�rale qu'il a lanc�e au lendemain du sommet du Conseil paix et s�curit� de l'Union africaine (UA), le 17 octobre, � Addis-Abeba, que son projet de � dialogue direct � avec l'ex-r�bellion qui occupe le nord du pays, en gestation depuis plusieurs semaines, prend forme. Il s'est rendu compte que le tandem avec le Premier ministre Charles Konan Banny ne fonctionne plus, malgr� des d�buts prometteurs. A ses yeux, le chef du gouvernement est entr� dans une logique d'affrontement depuis l'adoption, le 1er novembre 2006, de la r�solution 1721 du Conseil de s�curit� de l'ONU, qui lui octroie de larges pouvoirs. Et se comporte en pr�sident bis.

C'en est trop. Il ne veut plus entendre parler de Banny � la primature (voir p 58). Il sait surtout que certains de ses pairs du continent, dont les anglophones d'Afrique australe et d'autres de la sous-r�gion, comme le Malien Amadou Toumani Tour� et le Cap-Verdien Pedro Pires, sont de plus en plus offusqu�s par la diabolisation qui le frappe, et le soutiennent ouvertement ou discr�tement dans sa contreoffensive. Le 19 d�cembre, il pr�cise sa pens�e dans un discours � la nation, en discute avec son homologue sud-africain Thabo Mbeki. Ce dernier lui sugg�re de prendre langue avec le chef de l'�tat burkinab� Blaise Compaor� pour convaincre Guillaume Soro de n�gocier en dehors du dispositif du G-7, le groupe de sept des dix parties signataires des accords de Marcoussis de la fin janvier 2003, dont le PDCI de l'ex-pr�sident Henri Konan B�di� et le RDR de l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara.

Mbeki s'emploie aussi � obtenir de Compaor� qu'il joue le r�le de facilitateur des discussions Gbagbo-Soro.

Pendant que Soro se concerte avec ses camarades des FN � Bouak�, leur fief, et ne donnera son accord pour le dialogue direct que le 1er janvier, Gbagbo confie une mission sp�ciale � son conseiller et porte-parole, D�sir� Tagro. En l'espace d'un mois, ce dernier se rend une dizaine de fois � Ouagadougou. Il y croise par-fois Guillaume Soro et Alain Lobognon, le � monsieur Communication � de l'ex-r�bellion, sans qu'il y ait de contacts formels. Mais il sera re�u par Compaor�, apr�s l'audience que ce dernier a accord�e, le 10 janvier, � Michel de Bonnecorse, le conseiller Afrique du pr�sident Jacques Chirac.

Les 19 et 20 janvier, en marge du sommet de la Communaut� �conomique des �tats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et de celui de l'Union �conomique et mon�taire ouest-africaine (UEMOA), tous deux r�unis � Ouagadougou, les choses s'acc�l�rent. Dans leur huis clos, les chefs d'�tat de la Cedeao s'alignent sur le projet de � dialogue direct � et demandent � Compaor�, �lu pr�sident en exercice de l'organisation sous-r�gionale, d'en �tre le facilitateur.

Ce dernier ne se fait pas prier. Il voit tout le b�n�fice qu'il peut tirer d'une solution � la crise ivoirienne: c'est bon pour sa propre image et celle de son pays, pour ses quelque trois millions de compatriotes install�s en C�te d'Ivoire, pour l'�conomie burkinab� qui souffre de la situation qui pr�vaut � Abidjan. Quelques jours plus t�t, en accord avec ses partenaires du G-7, Soro accepte le dialogue direct. A condition toute-fois qu'il se d�roule dans le cadre de la r�solution 1721, qui d�finit la feuille de route du Premier ministre Charles Konan Banny, qu'il a �galement rencontr�. Mais c'est le long t�te-�-t�te nocturne du 19 janvier, � Ouaga, entre Compaor� et Gbagbo qui sera d�cisif. Les deux hommes, qui se retrouvent le 24 janvier � Bobo-Dioulasso, dessinent dans le moindre d�tail les contours des n�gociations. � Nous allons faire aboutir le dialogue direct �, d�clare le chef de l'�tat burkinab� � l'issue de la rencontre qui a dur� trois heures. Il �voquera la question, le lendemain � Tripoli, avec son homologue ivoirien en marge du sommet de la Communaut� des �tats sah�lo-sahariens (Cen-Sad). Ils se verront encore au sommet de l'Union africaine (29-30 janvier � Addis-Abeba), o� Gbagbo rencontre Ban Ki-moon et l'informe officiellement de son projet de dialogue direct, que le patron de l'ONU encourage.

La date du 5 f�vrier est arr�t�e pour le d�but des discussions, juste apr�s que Djibrill Bassol�, ministre burkinab� de la S�curit�, et D�sir� Tagro ont rencontr� Soro � Bouak� pour les derniers r�glages et les modalit�s pratiques. Chacune des deux parties est invit�e � pr�senter un m�morandum � Bassol�. Pass� la c�r�monie d'ouverture, Louis-Andr� Dacoury Tabley, Mamadou Kon�, Sidiki Konat� et Alain Lobognon pour les FN, D�sir� Tagro, Alcide Dj�dj� et Navigu� Konat� pour le camp pr�sidentiel, le ne se rencontrent plus directement et communiquent tr�s peu avec l'ex-t�rieur. Au grand dam de la quinzaine de journalistes ivoiriens pr�sents � Ouagadougou. Bassol�, second� par Vincent Zakan�, le conseiller juridique du pr�sident burkinab�, a am�nag� un bureau dans l'h�tel o� s�journent et travaillent ses h�tes. Cette m�thode lui a r�ussi dans le dialogue intertogolais qu'il a men� � bien au nom de son patron. Et, un mois durant, il en sera ainsi.

Le premier flic burkinab� fait la navette entre les n�gociateurs. Il s'agit d'obtenir des deux parties la m�me position sur chaque point. Quand surgit une difficult�, notamment sur la question de l'identification des populations ou le processus DDR (D�sarmement, D�mobilisation et R�insertion) ou l'int�gration de l'arm�e, c'est Compaor� qui monte au cr�neau, appelle au t�l�phone Gbagbo ou Soro. Pour trouver une solution, il n'h�site pas � inviter � Ouaga le repr�sentant de l'ONU en C�te d'Ivoire (Onuci), les commandants en chef des Casques bleus ainsi que le � monsieur �lection � de l'organisation internationale, qui ont plusieurs fois fait le d�placement de la capitale burkinab�. Certains de ses pairs du continent ne sont pas en reste.

Quand Soro menace de se retirer, faute, entre autres, d'accord sur l'identification des populations, c'est le chef de l'�tat gabonais Omar Bongo Ondimba, qu'il tient r�guli�rement inform� de l'�volution des n�gociations, qui l'en dissuade. Tandis que Mbeki ne m�nage pas ses efforts aupr�s de son ami Gbagbo. L'organisation catholique Sant'Egidio, non plus, qui a �t� d�sign�e par les deux parties pour aider les Burkinab� et dont Mario Giro, le repr�sentant, fut le seul intervenant ext�rieur � participer aux dix derniers jours des discussions. Jacques Chirac, qui a abord� le dossier ivoirien avec Compaor� en marge du sommet Afrique-France (15 et 16 f�vrier � Cannes), n'est pas directement intervenu. Bonnecorse suivait les n�gociations, il s'�tait encore entretenu au t�l�phone, le 19 f�vrier, avec le facilitateur, qui consulte aussi l'opposition politique dont les t�nors Alassane Ouattara et Alphonse Dj�dj� Mady, le secr�taire g�n�ral du PDCI, ont s�journ� � Ouagadougou pendant la derni�re semaine de f�vrier.

Les blocages sont ainsi lev�s les uns apr�s les autres. Sauf peut-�tre celui de la primature. Gbagbo l'a propos�e � Soro. Lequel r�serve d'abord sa r�ponse. Il a profit� de son passage � Paris, � la fin de f�vrier, pour recueillir, aussi bien sur cette proposition pr�cise que sur le projet d'accord, l'avis de l'ancien pr�sident de la Cour constitutionnelle Pierre Mazeaud, facilitateur de la table ronde de Marcoussis (janvier 2003) avec lequel il entretient de bonnes relations. Et, le 3 mars, la veille de la signature de l'accord, il a rencontr� ses partenaires du G-7 ainsi que Charles Konan Banny pour en parler avec eux. Avant de regagner Ouagadougou pour signer le plan de sortie de crise. Sur seize pages d�taill�es, le document qui scelle les retrouvailles des fr�res ennemis semble plus pr�cis et plus ambitieux que les pr�c�dents (voir encadr� p. 56).

Conclu par les deux ex-bellig�rants eux-m�mes et dot� d'un calendrier pour sa mise en application, ce nouveau plan de paix se propose, entre autres, de conduire � la r�unification du pays, coup� en deux depuis septembre 2002, d'acc�l�rer le processus d'identification des personnes en vue des �lections g�n�rales d'ici � la fin de l'ann�e. Il pr�voit la suppression progressive de la � zone de confiance � remplac�e par une simple � ligne verte � jalonn�e de postes d'observation, le retrait progressif des forces impartiales (celles de l'ONU et de la France, qui seront r�duites de moiti� tous les deux mois). Il pr�cise les modalit�s du d�sarmement et de l'int�gration des rebelles dans les troupes loyalistes avec la mise en place d'un centre de commandement int�gr� dont la direction sera assur�e conjointement par l'�tat-major des Forces arm�es nationales de C�te d'Ivoire et celui des Forces nouvelles. Sans oublier la formation d'un nouveau gouvernement de � transition � d'ici � � cinq semaines �, sans doute le premier test auquel seront confront�s les signataires�

Elimane Fall et Cheikh Y�rim Seck