Il est un peu le porte-voix des fidèles engagés au sein de l'Eglise catholique. Médiatique, omniprésent dans les manifestations spirituelles, politiques ou culturelles où est attendue une voix chrétienne, l'Italien Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant'Egidio, promène sa silhouette de professore bientôt sexagénaire dans le monde entier.

Paradoxe, cet universitaire - historien des religions et du christianisme - "lent et amateur de rencontres", ainsi qu'il se décrit lui-même, passe une partie de sa vie dans les avions. Dernière étape en date, Aix-la-Chapelle (Allemagne), où lui a été remis, jeudi 21 mai, le prix européen Charlemagne. Andrea Riccardi a l'habitude des honneurs ; en quarante et un ans d'action auprès des pauvres, pour la paix et en faveur du dialogue interreligieux, les trois axes de travail de sa communauté, le pape des laïcs a côtoyé les grands de ce monde. Avec un slogan en bandoulière : "Dans la prière et dans l'action."

Andrea Riccardi est avec Frère Roger, le fondateur de la communauté de Taizé, récompensé en 1989, l'un des rares représentants de la société civile à recevoir ce prix, remis depuis 1950 au gratin politique européen engagé dans la construction de l'Europe, de Robert Schumann à Winston Churchill en passant par Vaclav Havel ou Valéry Giscard d'Estaing. "La communauté Sant'Egidio méritait ce prix, car elle représente les valeurs de solidarité et de paix dont l'Europe a besoin", défend Jurgen Linden, maire d'Aix-la-Chapelle et membre du jury.

La saga de la communauté a débuté au coeur du Trastevere, le vieux quartier de Rome aux ruelles étroites et aux places ombragées. Nichée derrière les murs d'un ancien carmel ouvert sur un patio verdoyant, attenant à une église, Sant'Egidio y a pris ses quartiers dans la paroisse éponyme en 1968. "Nous étions prométhéens, nous voulions changer le monde", sourit Andrea Riccardi. Alors étudiant en histoire, le jeune croyant, issu d'un milieu bourgeois, est à l'époque tout autant imprégné de l'esprit de Mai 68 que du souffle porté sur l'Eglise catholique par le concile Vatican II, qui s'était achevé en 1965. "Portés par l'espérance évangélique et la découverte de Jésus, nous étions un petit groupe de jeunes déterminés à travailler auprès des pauvres de Rome."

L'histoire et le charisme du jeune fondateur qui, au fil des ans, va s'entourer d'intellectuels, de syndicalistes ou de diplomates, vont infléchir le destin de cette communauté de laïcs, qui compte aujourd'hui 50 000 membres, mariés ou non, dans 70 pays. "La providence aussi a aidé", ajoute Andrea Riccardi ; célibataire, il a choisi de se consacrer à sa communauté, malgré les appels du monde politique italien, notamment du Parti démocrate de centre gauche.

Spirituel et, à sa manière, politique, Sant'Egidio demeure un mouvement sans équivalent. "Andrea incarne le laïc engagé dans le monde, qui avec une intelligence politique, a perçu les enjeux de ce temps, tout en étant dans l'Eglise", juge Gérard Testard, l'un des responsables de Fondacio, un mouvement de laïcs qui, avec ses 3 500 membres, revendique Sant'Egidio comme modèle. Il continue à être proche des gens : quand il est à Rome, il mène la prière du soir au Trastevere. "Son côté un peu star colle aussi au monde actuel, qui a besoin de visages pour incarner une cause", ajoute un vaticaniste italien.

L'élection de Jean Paul II, en 1978, va également jouer un rôle central dans le devenir de Sant'Egidio et la vie de son fondateur. Il l'a connu quand il avait 28 ans. "Il a accepté de perdre beaucoup de temps avec moi", confie avec un rien de coquetterie Andrea Riccardi. "Nous avions un rapport personnel, pour moi c'était un peu une amitié paternelle." Ce privilège irritera nombre de visiteurs du Vatican, jaloux de l'influence réelle ou supposée de la communauté sur le pape. "Riccardi pouvait donner des conseils à Jean Paul II sur la nomi²nation de tel ou tel évêque, par exemple", assure le vaticaniste italien.

Mais le point d'orgue de cette proximité fut l'organisation, en 1986, des rencontres d'Assise, au cours desquelles pour la première fois de l'histoire, un pape conviait 200 représentants de différentes confessions à prier, chacun à sa manière, pour la paix. Chargée d'organiser l'événement, Sant'Egidio perpétue depuis "l'esprit d'Assise".

Convaincu de vivre dans un monde où "le cadre de la globalisation est vide et où règne la culture de la peur", le fondateur de Sant'Egidio défend en effet l'idée que "les religions sont sources de dialogue et non pas de conflits". La prochaine rencontre interreligieuse se tiendra en septembre à Cracovie, hommage au pape polonais ; les quelque 400 dignitaires religieux attendus se rendront également au camp d'Auschwitz.

Soucieux de combiner prière et action, c'est aussi en diplomate que le fondateur de Sant'Egidio a tenté de contribuer à la paix. Baptisée "l'ONU du Trastevere", la communauté a mis à profit sa connaissance de l'Afrique, par son travail auprès des immigrés et par sa présence sur place auprès des pauvres et des malades du sida, pour se lancer dans la médiation entre des parties en guerre. "Nous sommes avant tout une "internationale des pauvres" et la guerre est mère de toutes les pauvretés. La diplomatie de la paix est née de ce constat", explique Andrea Riccardi.

"Sant'Egidio est un peu à la diplomatie vaticane ce que les French doctors furent à la politique étrangère de la France, avec cette volonté de faire bouger les choses à leur manière", avance Jean-François Colosimo, théologien orthodoxe, interlocuteur régulier d'Andrea Riccardi.

La médiation la plus notoire de Sant'Egidio fut la signature, en 1992, des accords de paix entre la guérilla et le gouvernement du Mozambique. La communauté jouera encore les bons offices au Guatemala ou au Kosovo, mais subira un revers en Algérie, en 1995, où sa volonté d'impliquer le Front islamique du salut (FIS) dans les discussions fut considérée, selon les cas, comme de l'ingérence ou de l'angélisme.

Depuis 2005 et l'élection de Benoît XVI, la cote de Sant'Egidio au Vatican semblait avoir plongé, chacun connaissant le peu d'appétence du nouveau pape pour le dialogue interreligieux. "Un cardinal m'a dit : "Pour vous c'est fini"", se souvient Andrea Riccardi. "Mais en Afrique, Benoît XVI nous a félicités pour notre travail auprès des malades du sida."

Il se plaît aussi à faire savoir qu'il a accompagné le pape dans sa récente étape en Israël, où il fut justement beaucoup question de dialogue interreligieux et de paix. Un possible retour en grâce qui n'empêche pas le professore de juger que l'Eglise actuelle "parle trop de la soutane des prêtres" et devrait davantage "mettre les pauvres au centre", son leitmotiv.

Parcours

1950 Naissance à Rome.

1968 Fonde la communauté catholique de Sant'Egidio.

1981 Professeur des universités.

1992 La médiation de Sant'Egidio permet la conclusion d'un accord de paix au Mozambique.

1999 Prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix, remis par l'Unesco.

2009 Reçoit le prix Charlemagne qui, depuis 1950, salue chaque année l'engagement d'une personnalité en faveur de la cause européenne.