Comunità di Sant

Les fronti�res du dialogue:
Religions et civilisations dans le nouveau si�cle

Barcelone, 2-3-4 septembre 2001


 Lundi 3 septembre 2001
Ajuntament de Barcelona, Sal� de Cent
Dialogue interreligieux : 15 ans apr�s Assise

Jean Dominique Durand
Universit� de Lyon, France

   


La rencontre internationale � Le frontiere del dialogo : religioni e culture nel nuovo secolo � organis�e � Barcelone, est la quinzi�me �dition d�une initiative prise par la Communaut� de Sant�Egidio au lendemain de la premi�re rencontre interreligieuse voulue par le pape Jean-Paul II en 1986 � Assise.

Apr�s quinze ans, ces rencontres d�hommes et de femmes de religion se sont install�es dans la dur�e, elles sont entr�es dans une continuit� historique, fond�e � la fois sur la r�p�tition des gestes, d�une sc�nographie reprise d�ann�e en ann�e, et sur l�innovation toujours surprenante m�me pour l�observateur le plus averti, de cette pr�sence c�te � c�te de toutes les couleurs des religions du monde qui, engag�es dans un dialogue profond et sans concession, mais pour cela m�me fort et respectueux, et dans la pri�re pour la paix, finissent par former un lumineux arc-en-ciel.

Quinze ans : il a fallu beaucoup de t�nacit� et de courage pour parvenir � pr�server cette continuit�, sans c�der au d�couragement, pour tenter d�apporter, avec humilit�, � partir du dialogue interreligieux, une pierre � la construction de la paix. Apr�s 15 ans, c�est le moment de revenir sur cette exp�rience en examinant � la fois les 15 Appels de Paix sign�s � l�issue de chacune des rencontres, par les personnalit�s religieuses pr�sentes et adress�s au monde, et les discours prononc�s par le Professeur Andrea Riccardi, fondateur de la Communaut�, afin d�en tirer les lignes de force.

DES ANTECEDENTS

Chicago � Rome - Assise

Le 27 octobre 1986, Jean-Paul II r�alisait l�un des objectifs majeurs de son pontificat : mettre en �uvre un v�ritable dialogue entre les religions. Annonc�e solennellement le 25 janvier en la basilique Saint Paul hors-les-murs, l�initiative s�inscrivait dans la suite de ses voyages de 1979 en Turquie, de 1985 au Maroc, et de la visite � la synagogue de Rome du 13 avril 1986.

En cette fin de mois d�octobre 1986, se rassembl�rent avec le pape, 124 repr�sentants des religions chr�tiennes et non chr�tiennes, dans � la ville d�Assise, lieu que la figure s�raphique de Fran�ois a transform� en Centre de fraternit� universelle � . Cette initiative retentissante a pu �tre consid�r�e comme � un tournant dans l�attitude du catholicisme contemporain � l��gard des religions � comme l�a not� Alberto Melloni , mais aussi dans le regard que les religions non chr�tiennes portaient sur le christianisme tout comme dans les regards crois�s des religions entre elles. C�est pourquoi la rencontre d�Assise a touch� profond�ment l�opinion publique.

Pourtant, Assise n��tait pas � proprement parler une premi�re. En 1893, l�Eglise presbyt�rienne et les �v�ques catholiques des Etats-Unis avaient organis� la r�union � Chicago, du 11 au 27 septembre, d�un Wold�s Parliament of Religions, avec la participation de repr�sentants de 16 traditions religieuses. Une telle rencontre avait sa signification dans un pays multireligieux en construction, qui entendait affirmer la valeur du patrimoine religieux, mais elle tourna court : les mentalit�s �taient peu pr�par�es, notamment � Rome, � ce type d�initiatives, et les nationalismes toujours plus affirm�s annexaient dans leurs combats exclusifs la religion pour en faire un �l�ment central de l�identit� et du repli sur soi.

Le concile de Vatican II permit une nouvelle �valuation des relations entre les religions, en cr�ant un nouveau climat m�me dans la recherche th�ologique, dont t�moignent les travaux de Raymundo Pannikar (par exemple The unknown Christ of Hinduism, London, 1964) ou de John Courtnay Murray. Surtout, la d�claration Nostra Aetate, en traitant d�une mani�re positive du rapport entre Christianisme, Juda�sme, Islam et les autres grandes religions, a donn� un statut th�ologique au dialogue interreligieux, et a apport� un encouragement d�cisif � tous les hommes de bonne volont� : � afin que, avec prudence et charit�, au moyen du dialogue et de la collaboration avec les fid�les des autres religions, en rendant toujours t�moignage � la foi et � la vie chr�tienne, ils reconnaissent, conservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux �.

Assise se situe clairement dans la suite du concile et n�a pu �tre possible que parce que des portes et des fen�tres avaient ouvertes, des ponts avaient �t� lanc�s . Apr�s le concile, les mondes religieux ne pouvaient plus se concevoir comme isol�s, clos de hauts murs : le rapport avec les autres religions sortait de la confidentialit� ou des pr�occupations de quelques pr�curseurs comme Louis Massignon ou Charles de Foucauld, pour occuper une place centrale. La rencontre d�Assise lui donna un �clat singulier en lui apportant un � esprit �, cet � esprit d�Assise � dont le pape a lui-m�me soulign� l�importance quelques mois plus tard, lors de ses discours du 22 d�cembre 1986 � la Curie romaine et du 10 janvier 1987 au Corps diplomatique . Le signe donn� � Assise devrait se poursuivre, cette occasion de repenser le dialogue interreligieux ne devrait pas se perdre, car comme le dit Andrea Riccardi � Varsovie le 1� septembre 1989, � da quell�ottobre 1986, i cercatori di pace sono stati meno soli �.

Ce fut l�intuition de la Communaut� de Sant�Egidio de le comprendre, sans chercher � reproduire exactement ce qui s��tait pass� en Ombrie, tout en s�en inspirant directement. Elle a compris � il bisogno che quel movimento spirituale che Assisi ha raccolto e suscitato, continui, anzi s�ingrossi, per spazzare, come un fiume di pace le radici amare della guerra � . C�est en cela qu�Assise fut vraiment un tournant, car il ne s�agissait pas d�une n�gociation complexe, ni d�un colloque savant sur les religions et la paix, mais de quelque chose d�une grande simplicit� : une r�union de croyants divers autour d�une pri�re pour la paix. D�s l�ann�e suivante, � l�automne de 1987, la Communaut� de Sant�Egidio inaugurait � Rome sa premi�re rencontre interreligieuse autour du th�me � La pri�re � la racine de la paix �.

Des pr�curseurs

Si cette initiative a pris corps de � l�esprit d�Assise � et s�est nourrie de l��ph�m�re exemple historique de Chicago, il y a un peu plus de cent ans, et surtout des avanc�es du concile de Vatican II, elle s�est appuy�e �galement sur de grands pr�curseurs, des personnalit�s religieuses qui, au nom de leur foi, n�ont cess� de se battre pour la paix. Quelques noms reviennent sans cesse dans le discours de la Communaut�. Sans pr�tendre � �tre exhaustif, ce qui exigerait une �tude syst�matique de tous les documents, on peut retenir d�abord des papes. Jean-Paul II bien s�r, l�homme de tant d�initiatives inlassablement r�p�t�es tout au long de son pontificat, qui apr�s Assise, a souhait� voir se poursuivre le dialogue � travers la pri�re, Beno�t XV qui d�non�a en vain la guerre qui d�truit l�image divine de l�homme, comme un � inutile massacre �, et surtout Jean XXIII. Ce dernier, au cours d�une longue carri�re diplomatique qui l�avait men� en Orient et en Occident, avait acquis la certitude que � la bonne volont� � transcende les diff�rences d�appartenance religieuse. Il esp�rait que les hommes comprendraient que � una fra le pi� profonde esigenze della loro umanit� � che tra essi e tra i rispettivi popoli regni non il timore ma l�amore � . Surtout, de Jean XXIII qui avait convoqu� le concile de Vatican II, Sant�Egidio reprend la grande et sage le�on qui a �t� � la base des n�gociations patientes mais efficaces sur le Mozambique : rechercher ce qui unit et mettre de c�t� ce qui divise .

Parmi d�autres grandes figures catholiques, Fran�ois d�Assise est bien s�r une r�f�rence incontournable, lui qui au temps des croisades, � non sent�, comme le note Andrea Riccardi, la solidariet� militare con i suoi, ma and� a parlare con il sultano Melek el Kamel in campo avverso �, et cette � folie �, � non era altro che la fedelt� profonda e vissuta al Vangelo cristiano � , d�passant l�esprit de croisade par l�amour du prochain et la volont� de dialoguer, c�est � dire par l�esprit d�Assise . Celui-ci animait aussi Giorgio La Pira, le saint maire de Florence qui lui aussi, par sa volont� de dialogue tous azimuts est un point de r�f�rence important pour Sant�Egidio. D�autre part, les martyrs de la haine, comme Mgr Romero, l�archev�que de San Salvador assassin� pour ne pas avoir renonc� � son action en faveur de la paix et de la justice , le p�re Christian de Cherg�, trappiste, prieur de l�abbaye de Notre Dame de l�Atlas, � martire della preghiera e del dialogo nel loro intreccio pi� profondo � , viennent rappeler combien la route de la paix est difficile est risqu�e, parce qu�elle d�range.

Le patriarche Athenagoras et le pasteur Martin Luther King, lui aussi martyr de la justice et de la paix, ont balis� �galement la route de la paix, tout comme d�autres hommes, de religions non chr�tiennes. Parmi ces derniers, le roi du Maroc, Mohammed V qui r�vait comme Giorgio La Pira et le la�c Albert Camus, d�une M�diterran�e espace de dialogue, tandis qu�au si�cle dernier, l��mir Abd-el-Kader avait refus� la logique de la haine, pour puiser dans sa foi � grandi energie di pace e di comprensione � . Bien s�r, le Mahatma Gandhi est l�une des figures du XX� si�cle les plus attachantes pour sa compr�hension des traditions religieuses, pour son attachement � la paix, pour son t�moignage de pri�re .

Au de l� du poids historique des hommes de religion, des lumi�res qu�ils ont pu allumer ici et l�, la construction europ�enne, comme voie et m�thode pour surmonter des d�cennies de haines et de divisions, a �t� soulign�e lors des rencontres de Bruxelles en 1992, sur le th�me L�Europe, les religions et la paix : � Oggi siamo a Bruxelles per significare la nostra attenzione alla costruzione dell'Europa unita �, dit l�Appel de Paix lanc� � la fin de la r�union, tandis qu�Andrea Riccardi d�clarait : � L�Europa va verso la sua integrazione : � questo il motivo del nostro incontro a Bruxelles. E� un fatto nuovo, mentre rapporti rinnovati si stendono tra l�Est e l�Ovest del continente �. Pourtant, entre 1986 et le d�but du nouveau si�cle, entre Assise et Barcelone, le monde a beaucoup chang� ; mais plus que jamais la question de la paix et de la guerre reste actuelle, tout en changeant de forme, comme si rien ne devait en fait jamais changer dans l�histoire des hommes. � La geografia del mondo sta cambiando ; cos� cambiano anche le guerre � . Nous sommes ici au c�ur de la probl�matique pos�e par ces journ�es interreligieuses.

AU C�UR DU DIALOGUE : LA GUERRE OU LA PAIX

Depuis 15 ans l��tat de guerre est d�nonc� sans rel�che par les participants aux rencontres de Sant�Egidio. A Assise, la paix �tait au c�ur de la rencontre voulue par Jean-Paul II. Elle est rest�e au c�ur de chacune des rencontres suivantes qui, de Rome � Barcelone, ont r�p�t�, martel� la m�me d�nonciation de l�esprit de guerre plac� aux antipodes de l�esprit d�Assise, lequel ne fait que mettre en relief le poids des responsabilit�s des hommes de religion.

La guerre est Le malheur

� L�uomo non � fatto per la guerra e la guerra � un male nella terra degli uomini �. Cette d�nonciation prononc�e avec simplicit� et force dans l�Appel de Rome de 1988, d�une activit� humaine capable de � distruggere gli uomini e le risorse per la vita, di ferire intere generazioni, di calpestare i diritti dei popoli, di travolgere i valori della convivenza, di rendere tutti meno umani �. Ce th�me devient un leitmotiv que l�on retrouve d�ann�e en ann�e. A Varsovie en 1989, dans la premi�re capitale europ�enne frapp�e par la guerre en 1939, l�Appel final rappelle que la guerre �crase les vaincus comme les vainqueurs, qu�elle � d�figure � les hommes et les femmes, qu�elle � exalte l�esprit de violence et de destruction � : � Every War is a loss for the whole of Humanity �. La guerre est bien � la madre di tutte le povert� � comme le rappelle l�Appel lanc� � G�nes en 1999 en d�non�ant � la malattia del nazionalismo � en m�me temps que � la follia dell�odio �. � La guerra � empia ed � la madre di tutte le empiet� � lit-on dans l�Appel de Florence de 1995.

Pourtant ces appels, ces condamnations paraissent aller � contre-courant de l��volution du monde contemporain.

La multiplication des conflits r�gionaux

Les conditions de la vie internationale ont beaucoup chang� au cours de la derni�re d�cennie. Les rencontres de Sant�Egidio n�es en 1987 ont en quelque sorte accompagn� cette �volution de part et d�autre de la destruction du rideau de fer qui coupait l�Europe en deux, et de la chute des r�gimes communistes en Europe : � Abbiamo cominciato a camminare nel tempo della guerra fredda, quando gli sforzi e le speranze dei singoli e dei gruppi cozzavano contro la rigidit� della politica internazionale nelle mani dei due � imperi � che si dividevano il mondo. (�) Siamo passati attraverso uno scenario internazionale che cambiava � .

Si les risques de guerre mondiale se sont �loign�s, l�histoire de ces derni�res d�cennies reste marqu�e par la multiplication des conflits r�gionaux, que semblent encourager pr�cis�ment les nouvelles donnes de la vie internationale. Andrea Riccardi en fait l�observation lors de la rencontre de Milan en 1993 : � La guerra non � una prerogativa di pochi grandi : tutti possono fare la guerra, tutti possono impedire la pace, destabilizzare un equilibrio nazionale o regionale �. Des conflits, qui ont perdu leur coloration id�ologique du temps de la guerre froide, on est pass�, particuli�rement en Afrique, � des conflits � fondement ethnique, �conomique ou autres. � Des armes meurtri�res sont dans les mains de groupes qui ne s�identifient plus dans la logique des Etats, organisations obscures, mafias, groupes transnationaux et terroristes � .

Sans adh�rer aux th�ories quelque peu dogmatiques de Samuel P. Huntington sur les heurts in�vitables entre civilisations , il faut bien observer que temps de la globalisation s�accompagne d�un repli sur soi, de crises d�identit�s, d�un retour au nationalisme, pour ne pas dire au tribalisme : � in questo mondo al plurale e senza frontiere, c�� invece un�incredibile rinascita di frontiere � , et m�me une resacralisation de la fronti�re qui rouvre le pi�ge du nationalisme : � l�esperienza dell�incontro tra i credenti di ogni fede ci ha mostrato, note Andrea Riccardi dans le discours qu�il prononce � Lisbonne en 2000, come spesso la trappola nazionalista o particolarista accechi l�amore e soffochi gli aneliti spirituali profondi che le caratterizzano. Si finisce per perdere l�anima. Il nazionalismo � spesso una delle forme pi� subdole di secolarizzazione delle comunit� religiose, che si illudono invece di essere all�unisono con i sentimenti profondi dei loro popoli �.

Se pose alors la grande question de la responsabilit� des religions et des hommes de religion que la communaut� de Sant�Egidio a eu le courage de soulever. En effet, � si ha la sensazione che la pace debba essere un processo pi� profondo, radicale, capace di rimuovere il terreno dove crescono le radici della violenza e dei conflitti. Si ha la consapevolezza che sia necessario un impegno intelligente per rimuovere le cause dei conflitti regionali, per favorire processi di riconciliazione � .

La responsabilit� des hommes de religion, dit Sant�Egidio, est double : elle est d�emp�cher la guerre ; elle est de construire la paix.

� La responsabilit� sociale des hommes de religion �

Lors de la rencontre de Varsovie, Mgr Pietro Rossano, �v�que auxiliaire de Rome, qui fut un pionnier du dialogue entre les religions, a parl� de � la responsabilit� sociale degli uomini di religione � . C�est � la grande responsabilit� nel predicare il perdono �, come le dit l�Appel de Rome de 1996, de prier pour la paix, de pr�parer les esprits � la paix, � recevoir l�esprit d�Assise. Cette responsabilit� est triple.

Il s�agit d�abord de s�parer la religion de la guerre, de � desolidarizzare le tradizioni religiose dagli istinti di guerra � . Il s�agit non seulement d��viter que la religion ne soit un motif de guerre ou tout simplement de division ou de m�pris, mais qu�elles soient, comme le disait encore Mgr Rossano � Varsovie, le signe d�un � refus radical � de la guerre et de la violence pour r�soudre les conflits, � un segno di rispetto e di accoglienza reciproca degli uomini nella condizione di diversit� e di uguaglianza in cui si trovano, perch� il rispetto delle diversit� � condizione primaria per la societ� civile e la pace � . Or les grandes religions aspirent toutes � l�universel, � d�passer les limites �troites d�un territoire donn� et les mouvements de populations posent aujourd�hui quasiment partout le d�fi de l�accueil de personnes d�plac�es volontairement ou par force, et de la cohabitation avec d�autres traditions religieuses. Se d�termine ainsi un destin commun dont les religions individuellement et toutes ensemble ont la responsabilit�.

Les religions supportent le poids souvent tr�s lourd d�histoires oppos�es, douloureuses, faites de conflits cruels, mais elles doivent comprendre que leurs textes fondamentaux, c�est � dire le message divin, les poussent vers un point de convergence, la r�alisation de la paix, la cr�ation des conditions de la paix, pour d�truire les racines de l�arbre de la guerre, ou tout au moins ses racines religieuses, car ses racines sont multiples. Il y a de la provocation chez Andrea Riccardi lorsqu�il dit : � la religione e la guerra sono irremediabilmente ai lati opposti della storia � , lorsque l�on conna�t l�usage que les religions ont fait de la guerre, ou plut�t l�instrumentalisation que les hommes de guerre ont su faire de la religion. Et pourtant, d�un point de vue th�ologique, la notion de guerre sainte n�existe pas. � Non c�� guerra santa. Ma solo la pace � santa � . L�Appel d�Assise (1994) l�affirme : � Non c�� santit� nella guerra. Solo la pace � santa � . La guerre est � la fois une d�faite pour l�homme et une insulte lanc�e � Dieu . La notion de guerre de religion devient absurde et surtout objet de scandale .

Il est vrai que les croyants n�ont pas �t� toujours � la hauteur de leur vocation � la paix, et ils ne le sont encore pas. Mais l�histoire est complexe et ambivalente. N�est-ce pas autour de J�rusalem que l�un des conflits les plus aigus s�est d�velopp� ? Pourtant n�est-ce pas l�histoire m�me de J�rusalem qui devrait mieux rendre conscients les hommes de foi � de leur responsabilit� � se convertir et � servir la paix � ?

� La paix est le nom de Dieu � affirmait la rencontre de Rome de 1996, qui entendait rappeler ainsi que la haine, la violence, transmises de g�n�ration en g�n�ration, ne sont qu�une pollution de l�esprit.

Une deuxi�me responsabilit� consiste � faire de la religion un solide facteur de paix. A plusieurs reprises, Andrea Riccardi affirme que les situations de guerre ont pu rapprocher des personnes de religions diff�rentes : � Alla scuola del dolore si � sviluppata una maggiore solidariet� tra gente di religione diversa ed � cresciuto un senso di responsabilit� verso i destini dell�uomo, la pace e la guerra � . Pour lui, le dialogue interreligieux a commenc� � nei giorni oscuri della seconda guerra mondiale � , dans les camps, et particuli�rement en ce qui concerne l��cum�nisme, la douleur des martyrs a �t� � scuola di unit� � . La foi alors retourne comme un gant la violence pour en faire un instrument de paix religieuse et de respect.

Le premier Appel de Paix, lanc� de Rome en 1987, affirmait : � La religione non spinge gli uomini all�odio e alla guerra, non giustifica lo spargimento di sangue innocente. Le religioni non vogliono la guerra, ma la pace ! E� questo il messaggio che ci impegnamo a mettere in luce con rinnovato vigore, ricordando agli uomini ed alle donne del nostro tempo che Dio vuole la pace e non la guerra. Sentiamo come un assurdo parlare di guerra in nome della religione e ribadiamo con forza : la parola della religione sia la pace ! �.

Le croyant doit donc se faire chercheur de paix, et �uvrer pour la r�conciliation, car dans ce monde qui a chang�, complexe et difficile, si � tous peuvent faire la guerre, tous peuvent faire la paix � . Il y a l� une immense responsabilit� et un d�fi : r�sister � l�instrumentalisation des sentiments religieux pour diviser et opposer leurs traditions universelles et lib�rer leurs �nergies pacificatrices. Servir la paix est donc bien � una responsabilit� sacra � pour des croyants conscients de partager un destin commun, en vue de cr�er les conditions de la paix des c�urs, de la paix entre les religions, de la paix entre les peuples .

Une troisi�me responsabilit� au regard de la paix est celle de l�ouverture des hommes de foi aux autres religions, mais aussi aux non-croyants, pour r�unir selon l�intuition roncallienne les hommes de bonne volont�. Le dialogue entre l�humanisme la�c (au sens italien du terme, d��loignement de la foi) et l�humanisme religieux est certainement l�un des apports fondamentaux de ces rencontres, et l�un des signes les plus nets de l�audace de la m�thode de la Communaut� de Sant�Egidio.

UNE METHODE AUDACIEUSE

Pour la Communaut� de Sant�Egidio, se lancer dans l�aventure de l�organisation d�une pri�re des religions pour la paix d�s 1987, le risque �tait consid�rable. Ce choix r�pondait � une logique : depuis 20 ans, elle s��tait d�velopp�e autour du service des pauvres, de la m�ditation sur la Bible et de la pri�re. S�engager dans l�organisation de ces rencontres interreligieuses alors que de nombreuses communaut�s se cr�aient en Italie et ailleurs dans le monde, et qu�elle venait d�obtenir en 1986 le statut pontifical d�Association publique de fid�les, confirmait son caract�re de fid�lit� � l��v�que de Rome, mais impliquait d�assumer le risque mat�riel et politique d�une organisation d�licate et le risque th�ologique de s�engager sur une voie glissante et surveill�e. Il lui a fallu de l�audace et de la t�nacit�, pour r�unir ann�e apr�s ann�e, tant de personnalit�s diverses, dont la participation �tait rien moins qu��vidente et impliquait pour certaines d�entre elles, quelques risques personnels. Il serait utile d�analyser les listes des pr�sences sur tant d�ann�es.

Certes les organisateurs n�ont jamais cess� de prendre des pr�cautions, de souligner leur volont� d��viter tout syncr�tisme religieux, de rappeler qu�il ne s�agissait que de rencontres d�hommes de religion pour prier pour la paix : � I nostri non sono stati incontri tra personalit� di avanguardia, capaci di arditezze di pensiero, ma tra esponenti di comunit� religiose che, a titolo differente, esprimevano i loro correligionari. Attraverso di loro quasi parlano i fedeli comuni � . Il n�en reste pas moins vrai que Sant�Egidio a cr�� l� de v�ritables espaces de dialogue libre, ce qui fait dire � Andrea Riccardi : � � anche una convinzione che richiede una nuova audacia, sopratutto ai responsabili religiosi : quella dell�amore al di l� degli schemi talvolta pietrificati dei propri comportamenti e delle proprie tradizioni. E� l�audacia umile di chi scopre con crescente consapevolezza che i servitori di Dio sono allo stesso tempo i servitori della pace, servitori della pace tra gli uomini, tra i popoli, tra le religioni �, et cela n�est pas � un fatto comune o banale � .

Un p�lerinage annuel

Les rencontres de Sant�Egidio apparaissent comme une sorte de p�lerinage annuel qui d�ann�e en ann�e, a conduit des croyants, en Italie et hors d�Italie, jusqu�� J�rusalem, en des lieux toujours symboliques :

- Symboles religieux avec Rome (1987, 1988, 1996), Assise (1994), Milan (1993), J�rusalem (1995) ville sainte de trois religions, la seule ville sainte qui ne s�identifie pas � une seule tradition religieuse, o� l�on trouve � une souffrance irr�solue, partag�e en cet entrelacement de probl�mes politiques, nationaux et m�me religieux � .

- Symboles de la guerre, du conflit et de la souffrance avec Varsovie (1989) et Bucarest (1998).

- Symboles de la r�conciliation politique avec Bruxelles (1992) capitale de la construction europ�enne et Florence (1995), la ville de Giorgio La Pira.

- Symboles des contacts entre l�Orient et l�Occident, entre le Sud et le Nord, des villes, des ports, des lieux d��changes, au c�ur de la M�diterran�e, Bari (le th�me �tait en 1990, Il Mediterraneo : un mare di pace tra Oriente e Occidente), Malte (en 1991, sur le th�me Le religioni per un mare di pace), mais aussi G�nes (1999), Padoue-Venise (1997) et Barcelone (2001), sans oublier l�ouverture sur le grand large atlantique avec Lisbonne (en 2000 avec pour th�me Oceani di pace. Religioni e culture in dialogo).

Au cours de ce p�lerinage, la mer est tr�s pr�sente, la mer porteuse d��changes, de contacts, de d�couvertes, mais aussi enjeu de conflits, tout comme est pr�sente � la mer des croyants � qui peut � spegnere tanti fuochi di odio, di conflittualit�, di guerre : pu� trascinare con se i relitti di un mondo vecchio, quello della guerra e dell�odio, mettendo fine con il bene e l�amore al dolore di tanti � .

Ce p�lerinage est multicolore, extraordinairement divers, particuli�rement depuis la rencontre de Bari en 1990 � laquelle se sont unis des repr�sentants des religions de l�Asie. Il est unique et en raison de la diversit� des origines g�ographiques et religieuses, il ne se laisse r�duire � aucune comparaison. Tous viennent, m�me en provenance de l�incroyance, pour se retrouver et rechercher ensemble la voie de la paix. L� r�side la force et l�audace de la Communaut� de Sant�Egidio qui a su ainsi d�finir une v�ritable m�thode.

Une m�thode

Les rencontres interreligieuses ob�issent � un c�r�monial qui s�inspire, mais en partie seulement, de ce qui avait �t� mis en place en 1986 � Assise. Elles se d�roulent � travers cinq �tapes :

- La c�r�monie d�ouverture avec les discours de diverses personnalit�s politiques et religieuses.

- Les s�minaires de travail, lieux d��changes et de d�bats, parfois vifs, mais toujours respectueux.

- Les pri�res s�par�es de chaque communaut� religieuse, en des lieux diff�rents.

- La marche silencieuse rassemblant les diverses communaut�s au sortir de leurs lieux respectifs de pri�re et convergeant vers une vaste place, le plus souvent charg�e de symboles (la fameuse place du ch�teau � Varsovie, d�truite par la guerre et reconstruite � l�identique, la place de sainte Marie du Trastevere � Rome, que Fran�ois d�Assise connaissait bien, la Grand�Place de Bruxelles, la place du Duomo � Milan, la place Saint Marc � Venise�).

- La c�r�monie finale, la nuit tomb�e, au cours de laquelle les repr�sentants des religions souscrivent � l�Appel de Paix et o� chacun allume un cierge plac� sur un immense chandelier.

Ces diff�rentes �tapes, en particulier celle de la pri�re en des lieux diff�rents, sont structur�es pour rappeler que � ci muoviamo lungo strade diverse, ma convergiamo in un�unico sentimento : il dolore per la guerra, la ricerca della pace � . Il s�agit en effet d��viter un syncr�tisme qui n�aurait aucun sens, mais de fonder le dialogue sur l�identit� forte de chacun, et � partir d�une pri�re exprim�e les uns � c�t� des autres, de rechercher le langage commun de la paix, sans risque de confusion, en acceptant une diversit� qui n�est pas un obstacle. La Communaut� affirme que � il dialogo non spinge al compromesso, alla rinuncia di un pezzo della propria fede, ma alla discesa nel profondo spirituale ed originale della propria tradizione : qui la spinta a rinnovarsi e a ritrovarsi con gli altri � .

La v�ritable unit� ne vient pas d�un pseudo syncr�tisme, ni d�une synth�se molle entre diverses traditions, mais du respect mutuel et du sentiment de partager des valeurs communes et de regarder dans la m�me direction. Le discours prononc� par le Professeur Riccardi � Lisbonne permet de bien comprendre le sens de cette dialectique entre identit�, diff�rences et dialogue : � In fondo l�idea della religione universale, quasi dell�unificazione in una mitica essenza della religione, nasce nei salotti e prospera solo nei laboratori. E� un idea da laboratorio illuminista. La preghiera della gente, quella che sgorga dalla sofferenza, quella che matura nella disperazione, quella che esprime la gioia, segue i percorsi secolari. Le grandi tradizioni religiose si sono fatte carico delle invocazioni di milioni di persone, rivolte non agli uomini ma a Dio. Le preghiere di milioni sono radicate in identit� profonde. (�) La differenza non ci scoraggia, ma rappresenta la geografia spirituale profonda del mondo. Differenza e dialogo sono le guide per allargare il nostro al mondo interno. Sono le vie per trovare senso in una convivenza tra gente di religione diversa. Perch� il dialogo non � un fatto accademico, ma diviene un modo di vivere ogni giorno da parte di migliaia e migliaia di credenti �.

Cette voie �troite est � la fois spirituelle et concr�te : � il nostro cammino � continuato nella consapevolezza che non ci si pu� rassegnare alle logiche imperiali o politiche. E� un altro realismo il nostro, quello per cui il dolore e l�aspirazione alla pace di tanti ha un grande peso. E� un altro realismo quello per cui l�invocazione fatta con fede, il sospiro del credente, l�insistenza della preghiera, non sono inefficaci anzi hanno un valore � .

Cette voie-l� seule permet de faire tomber les murs dress�s entre les religions car elle rassemble, et c�est en m�me temps sa difficult� intrins�que, des hommes de religion habitu�s � vivre uniquement � l�int�rieur de leur propre tradition religieuse, peu enclins au compromis. C�est au cours de ce p�lerinage de 15 ans, que d��tapes en �tapes, rassembl�s patiemment par la Communaut� de Sant�Egidio, ils ont pu lentement se d�couvrir, concevoir leur mission et leur service autrement, ressentir un lien profond avec d�autres, issus d�autres traditions religieuses, par del� l�identit� propre de chacun. Andrea Riccardi note � Varsovie en 1989 : � Lungo questo itinerario sembrava emergere negli uomini di religione e nei credenti, che pure sono testimoni di certezza, l�esigenza di cercare di pi�, pi� nel profondo e nell�interiorit�, le radici della pace �. Cette voie-l� est celle de l�amiti�, l�amiti� qui cr�e des liens, �tablit un pont : � Cari Amici, commence ainsi le discours d�Andrea Riccardi � la premi�re rencontre de Rome en 1987 : � permettetemi di chiamarvi con questa espressione, e non di usare i titoli abituali che spettano alle vostre persone. Amico � forse il titolo pi� bello. Il padre Abramo fu chiamato cos� : e fu detto amico di Dio �.

De ces rencontres, du climat de confiance et de pri�re patiemment cr�� et entretenu, na�t un sentiment d�amiti�, dans le sens d�une � solidariet� umana, spontanea, religiosa � permettant de surmonter les d�fiances n�es du pass�, d�une histoire trop lourde � porter , d�autant plus que d�ann�e en ann�e, c�est une partie de ces responsables religieux qui se retrouvent, finissant par se conna�tre vraiment et par �changer une qualit� d��coute mutuelle, vraie et profonde. Cette recherche du dialogue et de l�amiti� dans le respect des diff�rences se fonde sur la mise en �vidence d�un patrimoine commun, la pri�re, qui est aussi une arme, une arme faible mais puissante.

� Une langue sainte � commune : la pri�re

Les � religieux � n�ont pas d�autre instrument entre leurs mains que � la recherche de Dieu � , la m�ditation, et une langue commune, � une langue sainte �, la pri�re, qui seule permet de surmonter la confusion de Babel, une langue m�rie dans le silence et le respect.

Mgr Rossano parlait de la � force faible � des religions, dont les responsables de Sant�Egidio ont pris am�rement conscience au moment de la guerre du Golfe en 1990 : � Le religioni non hanno forze per imporre soluzioni � rel�ve alors l�Appel final de Bari. � Non abbiamo nessuna forza materiale. Non possediamo strumenti di coercizione � dit encore l�Appel lanc� � Malte l�ann�e suivante. Andrea Riccardi dans ses interventions � Malte reconna�t cette faiblesse fondamentale : � Le religioni non hanno potenziali militari, non possiedono smisurate risorse economiche. Cio� non hanno tutto ci� che rende normalmente forte un paese, che pu� sorreggere una politica �. Elles n�ont � leur disposition que la foi, la pri�re, la parole, la recherche de la justice, l�exemple donn� : � la mitezza del cuore, la via della comprensione, l�uso del dialogo per la soluzione dei conflitti e delle contrapposizioni, sono le risorse dei credenti e del mondo � souligne l�Appel de Paix de Milan (1993).

D�j� il y a un demi-si�cle Staline tournait en d�rision le catholicisme en demandant de combien de divisions disposait le Vatican. Pourtant est-il n�cessaire, dit-on � Sant�Egidio, de souligner la force de cette faiblesse, dont tant d�hommes de paix, de Gandhi � Martin Luther King t�moignent ? Les religions portent en elles-m�mes leur �nergie propre et les croyants qui ont pay� le prix fort pour rester fid�les � leur foi, le savent. Bien des r�gimes de pers�cution l�ont appris aussi � leurs d�pens, pour l�avoir le plus souvent sous-�valu�e. Mgr Rossano disait � Bari : � Si tratta di una forza spirituale che mira a trasformare l�uomo dal dentro e a renderlo giusto e misericordioso. E� una forza radicalmente diversa da quella delle armi, quelle armi che gli uomini sono tentati di impegnare contro i loro fratelli fin dall�origine della storia �. Or la Communaut� de Sant�Egidio a exp�riment� tr�s concr�tement l��nergie qui surgit de la foi, au Mozambique, comme le rappelle son fondateur lors des journ�es de G�nes de 1999 : � Per noi � stata una vera rivelazione della � forza � - non politica, militare o economica � ma forza s�, che i cristiani hanno : una � forza debole � che pu� dare la pace. Una forza che pu� scacciare i demoni, come la guerra. Lungo mesi di negoziati spesso estenuanti, in mezzo alla nostra debolezza, abbiamo scoperto une forza, debole e umile �.

Il y a une � m�decine du dialogue �, expression qui appara�t dans l�Appel de Bucarest (1998). Le dialogue, affirme-t-on deux ans plus tard � Lisbonne, � � la medicina che cura le ferite della divisione e rigenera in profondit� la nostra vita, mentre radica ognuno nella verit�, nella testimonianza reciproca, nella carit� e nell�amicizia �. Le dialogue est donc � una virt� profonda, maturata nella preghiera e nell�amore, espressione non di identit� incerte ma vigorose, pi� eroica dell�atto di impugnare un�arma � .

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Si un historien avait l�audace d��crire une histoire de la paix, plut�t que l�histoire des guerres, nul doute que les initiatives de la Communaut� de Sant�Egidio y occuperaient une place notable. Les rencontres interreligieuses, dont on a mesur� le caract�re in�dit dans l�histoire, et qui restent encore, 15 ans apr�s la premi�re �dition, si peu banales, ont en effet lib�r�, � travers le dialogue et la pri�re, une parole commune et une �nergie de paix. On pourrait reprendre l�expression utilis�e r�cemment par Andrea Riccardi : � un icona del dialogo e della pace � . Certes, son v�u exprim� � Varsovie d�assister au � tramonto su di un�intera stagione della storia in cui gli uomini hanno confidato nelle armi e non nel dialogo �, ne s�est pas r�alis�, loin de l�. La d�ception pourrait venir � qui recherche avec impatience des fruits imm�diats , mais c�est une semence que Sant�Egidio met en terre et cultive patiemment sans savoir quand elle germera : � Siamo arrivati poveri e pieni di speranze : abbiamo ascoltato le espressioni di tanti problemi delle terre degli uomini. Abbiamo provato a capire meglio. Ora ripartiamo egualmente poveri, ma rafforzati nella convinzione di dover percorrere fino in fondo la via della fede e della preghiera. (�) Non c�� altra via che questa � .

Jean-Dominique DURAND