Aachen 2003

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Lundi 8 septembre 2003 - Eurogress
Europe et Afrique: une nouvelle solidarit�

  
  

Mario Giro
Communaut� de Sant�Egidio
  

Penser aujourd'hui une nouvelle relation entre l'Afrique et l'Europe ne semble plus �tre un sujet � la une. Je me rappelle un beau titre d'un livre sur l'Afrique francophone: � France et Afrique vademecum pour un nouveau voyage �. Mais peut-�tre aujourd'hui ne sont plus nombreux ceux qui sentent les deux continents voisins, li�s. Est-ce qu'on croit vraiment encore � une destin commun? La question se pose.

L'Europe est concentr�e sur elle-meme et sur ses rapports internes: l��largissement n'est pas un processus facile. Le d�bat est sur l'histoire comune entre est-ouest. Ensuite sur les rapports entre l'Europe et les USA, tr�s debattus � cause de la crise en l'Iraq. Mais de l'Afrique? Le continent des guerres, de la pauvret�, du sida� le continent perdu, � la d�rive.

� la pr�sentation du nouveau livre de Roberto Morozzo sur l'action de paix de Sant'Egidio en Mozambique, lors du dixi�me anniversaire de la paix (1992-2002), Andrea Riccardi a fait une remarque frappante. En 1992 Mozambique et Italie �taient voisins, malgr� tous les kilom�tres qui les s�parent. Voisins � cause de l'int�r�t que la soci�t� civile et meme politique portaient pour ce pays, il y avait une coop�ration, il y avait des cooperants qui allaient et venaient, des missionnaires qui racontaient. Dix ans apr�s, quoique le pays soit meilleur, en paix, avec un progr�s d�mocratique qui en fait un des pays-mod�les du continent, la Mozambique est plus �loign�. Les nouvelles g�n�rations n�en savent rien � Ainsi pour toute l'Afrique, ainsi la C�te d'Ivoire pour la France, m�me si le rapport est diff�rent�

Aujourd'hui l'Afrique est plus lointaine dans l�imaginaire collectif, plus s�par�e. Dans le continent m�me on se rend � cette r�alit�. Lorsqu�on parle d'Afrique aux Africains cela semble �tre la prise de conscience d'une r�alit� triste plut�t qu'un mouvement d'orgueil ; et cela apparait comme une contradiction si nous pensons que nous sommes en �poque de globalisation et d'interd�pendance. L'Afrique et les Africains pensent devoir tout faire seuls, au moins au niveau des responsables politiques. Les Europ�ens ne sentent plus l'Afrique comme leur responsabilit� ou comme leur horizon. Le continent est sorti de l�imaginaire collectif, pour y rentrer seulement � cause de tristes nouvelles. C�est le cas des guerres de l'Afrique Occidentale par exemple, consid�r�es comme une folie collective, inexplicable et sans sens. Ces guerres sans nom et priv�es de sens, guerres ath�es comme les appelle BHL, qui montreraient "a contrairio" la fin de l'histoire. L'histoire l'aurait emport�e l'occident dans ses bagages et aux autres ne resterait pas d�autre ressource que le d�sespoir ou l'inadmissible, le tragique, pour rentrer � nouveau dans l�histoire. Comme un derni�res vengeances des damn�s de les terres.

Pourtant, en marchant dans les rues des villes africaines, en parlant avec les gens, cette perception change, presque radicalement. Ce qu�on pense en Afrique ne ressemble presque en rien � ce diagnostic de la s�paration, au moins dans les espoirs. Les jeunes Africains ne refl�tent pas un tel d�tachement mais cherchent le contact. Il est suffisant de se promener dans un quartier africain d'une ville quelconque et �couter : il y a comme une colonne sonore toujours pr�sente , la radio. Les Africains �coutent nos radios, RFI BBC, toutle temps et continuellement. Ils sont beaucoup plus en phase, unis � notre monde, � nos nouvelles, par rapport aux Europ�en. Parfois on a l'impression qu�ils connaissent aussi les d�tails. Je dirais qu'il y a une globalisation culturelle qui est bcp plus fort que ce que l�on croit ; il y a une soif de savoir, de nouvelles, il y a une communaut� d'id�es surprenante. Internet a augment� bcp cette situation, malgr� les difficult�s de communication. Il semble qu'un renversement ait �t� accompli : une fois c��tait l'Europ�en qui avait une id�e de l'Afrique, peut-�tre partielle et � corriger, mais il en avait une. (Comme raconte un des premiers �l�ves de Senghor). Il y avait une id�e de l'Afrique en Europe. Maintenant il y a une id�e de l'Europe en Afrique, peut-�tre partielle aussi, mais cela existe. Quelle est cette id�e ?

Il y a naturellement l'id�e de l'�migration: beaucoup de gar�ons et filles Africains pensent � �migrer ailleurs. C�est l'histoire douloureuse de Yaguine et Fod�: un appel, un cri aux responsables de l'Europe parce que � ici nous souffrons enormement �, comme ils ont �crit avant de mourir dans un avion de Sabena. C�est un fait � tenir � l�esprit mais ce n'est pas tout.

L'exp�rience de la communaut� de Sant'Egidio en Afrique est l�exp�rience d'un nouveau rapport, un nouveau partenariat pour r�ussir � vivre dans son propre pays avec un nouvel espoir et meme un nouvel amour pour ce Pays. Aujourd'hui Sant'Egidio africain est grand : milliers et milliers de jeunes et moins jeunes en environ 30 pays, communaut�s qui travaillent avec les pauvres, toutes compos�es d�autochtones et guid�es par des responsables africains. Les communaut�s de Sant'Egidio en Afrique ne sont pas dirig�es par des blancs mais par les gens du lieu, des africains, en leur autonomie de pr�sence et d'initiative, m�me si li�s au r�seau international de la communaut�, dans un m�me esprit et pour les memes batailles et campagnes mondiales.

Ce que vous t�moigne c�est qu'une communaut� africaine est possible sans l'ambigu�t� d'une d�pendance mat�rielle mais avec la solidarit� d'une mutuelle d�pendance dans l'amiti�. Ce n'est pas une chose facile. Aujourd'hui beaucoup d'Ong sont pr�sentes sur le continent et, � c�t� d'un bon travail humanitaire respectable, cependant peuvent perp�tuer un lien de d�pendance ambigu� surtout pour des causes mat�rielles. Il y a un fait : nous sommes tous volontaires � Sant'Egidio, personne n�est pay� par la Communaut� pour ce qu�il fait, meme en Afrique. Le lien qui est cr�e est bas� sur une id�e partout semblable : � On n'est jamais si pauvre au point de ne pas pouvoir faire quelque chose pour celui qui est plus pauvre que moi �. Ceci vaut en Afrique aussi. Dans notre exp�rience cela signifie que nos fr�res et soeurs Africains d�couvrent la pr�sence de ressources personnelles et collectives inattendues et prennent des initiatives sur le terrain, au sein de la soci�t� qui les entoure. De telles initiatives ont un impact social et culturel r�el. Construire une communaut� en Afrique signifie, comme ailleurs mais aussi plus qu'ailleurs, r�cr�er ce tissu de solidarit� concr�te qui mette en valeur les �nergies locales sans attendre l'input d�ailleurs pour commencer. C�est une forme de nouvelle responsabilit� cr�ee du bas (ou d�en bas), comme on dit maintenat, et qui implique la soci�t� autour.

Attendre quelque chose ou tout de l'ext�rieur pour prendre l�initiative, ce n'est pas un mod�le de comportement seuementl africain. La v�rit� est que chez nous l'�tat a les moyens pendant qu'en Afrique l'�tat - important pour la tenue du pays et premier employeur d'une fa�on g�n�rale - les a perdus. Et tout ne peut pas �tre affect� au travail de substitutionl des Ong

Les communaut�s de Sant'Egidio en Afrique op�rent en diff�rents secteurs, en aidant le plus pauvres: dans les prisons - vrais enfers o� on meurt par manque de nourriture et de soins -, dans les quartiers les plus mis�rables, avec les les enfants de rue, avec les orphelins de guerre, avec les malades, et depuis quelque temps aussi avec les �g�s d�laiss�s, ph�nom�ne qui commence � �tre pr�sent aussi en Afrique. Il s'agit d'un important engagement de solidarit� accompli par des Africains qui - compar�s � nous � n�ont pas de moyens et qui sont personnellement aussi pauvres. Cependant il est possible que des gens avec peu prennent la responsabilit� d'aider des autres plus pauvres, en utilisant ce qu'ils ont : la connaissance acquise pour faire �cole aux enfants; la sant� pour aller trouver les malades; et pour touts les �nergies qui viennent de l'amiti� et de la solidarit� pour aider les autres.

C�est cette "force faible" qui caract�rise toute l'histoire de la communaut� de Sant'Egidio et sa pr�sence dans le monde. Nous n'aurons jamais tous les moyens que nous voudrions, mais tout de suite nous pouvons faire quelque chose pour les autres avec ce que nous avons, comme Pierre dit � la belle porte du Temple. Il faut savoir choisir librement d'ouvrir sa vie avec g�n�rosit� aux autres. C�est l'histoire de Zacch�e caract�ris�e par la libert� avec laquelle il choisit de rendre aux pauvres, sans que J�sus lui-m�me en indique la mesure.

Sans cacher la motivation �vang�lique qui reste � la base de notre engagement et que vous connaissez ou imaginez, je ne veux pas traiter ici un sujet religieux. Je le dis en sens social qui �je crois - aura un impact aussi politique � terme. �tre communaut� en Afrique dans ce m�me esprit, vivre l'esprit de Sant'Egidio dans ce continent, signifie redonner protagonismo aux jeunes g�n�rations qui choisissent librement de s'engager dans leur soci�t� et de lutter contre le pessimisme. La caract�ristique fondamentale est vraiment, je le crois, ce pessimisme sur soi-meme emprunt� dans les id�es europ�ennes sur l'Afrique, au-del� d'une r�alit� tragique de besoins. La m�me lettre de Yaguine Fod� que je citais est impr�gn�e de ce pessimisme sur soi, qui ne trouve pas de r�ponses. Il faut s'opposer � ce pessimisme, il est n�cessaire que les Africains eux-m�mes s�y opposent en montrant qu'il est possible de r�ver et travailler pour un renouvellement de leur propres soci�t�s. Sans reparcourir tout le d�bat de ces derniers ann�es sur quelle soit la meilleure solution de la pauvret� en Afrique(trade aid etc.), je veux dire que notre contribution est de rassembler en communaut�s les Africains autour d'objectifs de solidarit� possibles, viable tout de suite. Il existe une �nergie � d�voiler, forte et responsable, tr�s s�rieuse, que nos fr�res africains d�gagent et mettent en oeuvre par des initiatives admirables. Je pense aux prisons africaines, vrais endroits de mort et d'abandon : il est suffisant la pr�sence d'un groupe de la communaut� pour redonner espoir, aider, r�soudre des probl�mes administratifs qui bloquent les lib�rations, rendre possibles des commutations de peine, surtout les peines de mort, et aussi l'obtention de graces. De centaines de prisonniers ont �t� ainsi lib�r�s sans frais, par l'initiative de nos communaut�s qui ont r�ussi � rentrer dans les prisons de leurs pays et s'accr�diter aupr�s des autorit�s comme des partenaires s�rieux et efficaces.

Le travail multid�cennalavec les enfants de la rue, les pauvres, dans les bidonvilles, c'est un autre exemple de comment il est possible de r�cr�er des liens de solidarit� dans une soci�t� fragment�e o� souvent la mentalit� courante est bas�e sur � se sauve qui peut �. Milliers d'enfants africains apprennent � lire et � �crire dans nos �coles de la paix, et sont r�inser�s dans le cycle de l'�cole formelle afin d��viter le risque - tr�s diffus maintenant - d'�tre expuls�s et exclus et d'aller augmenter les files des d�sesp�r�s, proies faciles des seigneurs de la guerre et des trafiquants.

Je voudrais ici dire que, malgr� la vision partielle que nous en avons et qui se traduit souvent par une image de folie collective inexplicable, les guerres r�centes de l'apr�s guerre froide en Afrique sont dues -d'une fa�on g�n�rale- plus au manque d'�coles et de parcours �ducatifs ou � la pr�sence du sida, que � autre chose. En interviewant les jeunes, et tr�s jeunes combattants des guerres en Lib�ria ou Sierra Leone, vraies guerres sauvages selon la vulgate, presque tous racontent une histoire d'exclusion du cycle �ducatif comme principal motif de leur d�sespoir et du fait d'�tre tomb�s dans les mains des seigneurs de la guerre. La col�re et le sentiment d'exclusion naissent souvent de raisons tr�s concr�tes qui ont laiss� des entsiers pans de population jeune, sans points de r�f�rence et sans ressources, sans avenir. Presque tous les enfants soldat disent de vouloir revenir � l'�cole. L'�cole est bcp plus importante de ce qu�on pense. Faire �cole de la paix est une des r�ponses fondamentales � donner aux enfants et adolescents pour leur garantir un avenir.

Il y a aussi le drame du sida, nouvelle guerre � combattre et que le monde riche n'a pas voulu combattre, presque jusqu�� aujourd'hui. Pour cela Sant'Egidio a voulu commencer un programme de soins gratuits, DREAM en Mozambique, maintenant reproductible aussi ailleurs, pour redonner espoir aux gens simples, aux malades qui ne peuvent pas se permettre des soins tr�s chers. C�est aussi une mani�re pour redonner confiance et espoir. Programme DREAM pr�sent� � l'UA � Maputo.

En ce sens il y a une folie dans le monde riche, et en particulier en Europe : une folie suicidaire qui ne voit pas des �vidences : si l'Afrique explose l�Europe ne sera pas exempt�e des cons�quences. L'Europe et l'Afrique sont li�es par la m�me histoire et sont � l'int�rieur d'un m�me espace historique et g�ographique qui en rapproche les destin�es. C�est un probl�me et une opportunit� des Europ�ens plus que d'autres. Dans le bien et dans le mal, le cours de l'histoire a fait de l'Afrique le grand sud de l'Europe. Les liens culturels sont plus forts de ce que nous pensons et cela malgr� la distance qui nous s�pare, et meme celle de notre imaginaire. Pensez seulement aux langues. Si l'Europe a tourn� le dos � l'Afrique, cette derni�re regarde � nous avec un int�ret renouvel� et avec espoir. C�est un probl�me politique qui se r�fl�chit dans les �v�nements les plus r�cents comme les d�bats sur les OGM ou au sein de l�OMC, par exemple.

Aujourd'hui l'Europe doit retrouver avec l'Afrique sub-saharienne un nouvel esprit de partenariat que, aussi en faisant tr�sor des exp�riences du pass�, trouve un nouvel �lan et des nouvelles motivations de collaboration. Chaque politique bas�e sur l'exclusion et sur l'auto referencialit� est dangereuse et destin�e � l�echec. Quelques objectifs concret sont � la port�e de l'Europe : la pr�servation de l�environnement comme les for�ts et la lutte � la d�sertification ; le soutien � la d�mocratisation � travers l'aide aux nouvelles assembl�es �lues africaines ; une politique d'�changes et de visites plus agiles et plus diffuses dans le cadre des relations culturelles, entre universit� et �coles ; l'effacement de la dette aux pays les plus pauvres; une nouvelle approche plus �quitable sur l'agroalimentaire ; la lutte aux grandes urgences sanitaires, premi�re entre toutes celle du Sida. Sur de tels d�fis un engagement fort est n�cessaire de la part de l'Europe.

Enfin je souligne le th�me de la d�mocratisation et de la paix en particulier. J'en parle par exp�rience directe. En effet, comme vous le savez, la Communaut� de Sant'Egidio a �t� engag�e en plusieurs m�diations pour la paix. Apprendre � discuter, � se reconna�tre de la m�me famille nationale, � reconstruire ensemble institutions et structures de l'�tat ; apprendre le go�t pour la d�mocratie, pour la politique.... Sur ce terrain l'Europe peut faire bcp � cause du bagage d'exp�rience qu'elle poss�de : la m�thode de la n�gociation qu�elle a construit, l'objectif du bien commun. C�est un exemple pour l'UA.

 

 

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