Aachen 2003

Previous page
Home page

Lundi 8 septembre 2003 - Eurogress
Entre guerre et paix: r�le de l�Europe et responsabilit� des chr�tiens

  
  

Elisabeth Raiser
Secr�taire g�n�ral du Conseil �cum�nique des Eglises
  

Chaque fois que, � la fin d�un sermon, j�entends les mots : � La paix du Seigneur qui est au-dessus de toute raison, garde vos c�urs et vos �mes en J�sus Christ �, j��prouve comme un frisson, accompagn� par un sentiment de consolation et de confiance. La paix v�ritable est dans les mains de Dieu, pas dans les miennes. Et puisque cette paix doit nous pr�server en J�sus Christ, il y a du m�me coup certitude que J�sus en sa vie terrestre a v�cu cette paix, qu�elle est possible �galement ici sur la terre et que J�sus Christ par sa r�surrection a port� la r�conciliation qui nous rend capables d�entre porteurs de paix. Cela a �t� valable pour tous les si�cles et l�est tout autant pour le 21�me si�cle. Heureusement cette promesse ne change certes pas avec le temps qui passe ! Il me semble que pour nous chr�tiens cela constitue une consolation d�inestimable valeur, et en m�me temps un d�fi continuel qui nous pousse � consid�rer nos chances d�exiger la paix et � �uvrer en faveur de la paix. En effet, m�me si la promesse de paix venant de Dieu ne change pas, changent toutefois les conditions humaines, politiques et sociales dans lesquelles elle peut se r�aliser. Et ces conditions, nous pouvons les r�aliser tous ensemble, en tant que chr�tiens. Bienheureux soient ceux qui r�tablissent la Paix : on entend par cela une attitude de fond, mais aussi un comportement actif. La Paix est le pr�-requis de toute vie r�ussie et satisfaisante. Si nous voulons pr�server cette paix, ce grand don de Dieu, la signification m�me de sa cr�ation, alors nous avons besoin de paix.

Quelles chances avons-nous chr�tiens de porter la paix et de la pr�server ? Il y en a beaucoup, si nous commen�ons � y penser s�rieusement, et il y en a beaucoup qui sont chaque jour saisies par des tr�s nombreux chr�tiens. Le travail de Sant`Egidio repr�sente pour cela un exemple merveilleux et, comme tant d�autres, j�en suis pleine d�admiration et de reconnaissance.

Dans ma br�ve contribution d�aujourd�hui, je voudrais parler de deux th�mes qui sont atemporels, en v�rit�, mais qui ont acquis au 21�me si�cle une urgence particuli�re.

Le premier concerne la tentative d�aller au-del� de la culture de violence pr�dominante de par le monde entier. Les chr�tiens qui s�engagent pour cela, se retrouvent dans les orni�res directes de Christ, qui a sacrifi� sa propre vie pour d�passer cette violence. Un aspect tr�s important de cette mani�re de � se mettre en jeu �, de cet engagement, est la R�conciliation des M�moires : une r�conciliation qui, � partir de relations d�rang�es et jusqu�� d�truites, pose les bases d�un nouveau commencement.

Le deuxi�me th�me part de la vuln�rabilit� de la vie humaine, vuln�rabilit� que nous ne pouvons ni voulons d�passer, mais que nous consid�rons comme un cadeau qui permet de r�aliser la paix v�ritable.

R�conciliation des M�moires : je voudrais � ce propos vous raconter deux �pisodes, dont j�ai v�cu personnellement le premier. C��tait en 1987 : � l��poque je faisais partie d�un groupe �cum�nique international f�minin. Nous �tions � Minsk pour visiter les membres russes de l�Association et nous sommes all�es voir le monument qui, � Chatyn, comm�more les centaines de villages incendi�s et leurs habitants qui avaient perdu la vie dans la sanglante guerre d�clar�e par l�Allemagne � l�Union Sovi�tique. Le monument me troubla profond�ment et, sous la protection de l��glise, je finis par b�gayer une requ�te de pardon pour ce qu�en nom de mon peuple, avait �t� inflig� au peuple russe. Des larmes furent vers�es, et une des femmes russes m�amena une petite branche verte de bouleau comme signe de pardon et de r�conciliation. On parla de la guerre et des enfants, des p�res et des amis perdus d�un part et d�autres par les femmes et les enfants. Les larmes que nous avions pleur�es �taient vers�es pour toutes les parties, et non pas chacune pour ses propres pertes. � la fin, nous nous sommes promises de rester unies tout le temps de notre vie, et de faire le possible pour qu�une telle guerre ne puisse plus se produire : non seulement parmi nos peuples, mais non plus parmi d�autres peuples. Ces heures pass�es � se rappeler ensemble, dans la douleur, les heures du pardon ont �t� comme un soulagement pour mon �me ; je crois que c��tait le m�me sentiment ressenti par les autres femmes. En m�me temps je me sens li�e par la promesse et que peut-�tre on me demandera aussi autre chose. Sans l�espace prot�g� de l��glise, et sans l�espoir de la pr�sence r�conciliatrice de Dieu, je n�aurait certainement �t� assez courageuse que pour formuler la demande de pardon. Depuis lors, je crois non plus en me basant sur des fondements th�ologiques importants, mais parce que je l�ai exp�riment� dans ma propre existence, que la pr�sence du Seigneur nous aide � entreprendre les pas vers la r�conciliation, m�me quand ils sont li�s par la peur et la crainte.

Oui, les chr�tiens peuvent faire beaucoup pour la R�conciliation des M�moires : cette tache les lies au pass� et � leurs propres fr�res et s�urs, ainsi qu�� leurs fr�res et s�urs juifs. � La m�moire est le secret de la R�conciliation � cette phrase de la sagesse h�bra�que n�a rien perdu de son mordant et n�en perdra pas non plus au 21�me si�cle.

En outre, rappelons-nous aussi de la fragilit� de la vie et, sans justifications, du penchant � la violence qui se d�clare en nous, les �tres humains.

Il y a quelques jours, j�ai vu � Gen�ve une exposition de l�artiste ghan�en Kofi Setordjik, intitul�e � Les blessures de la m�moire � : des sculptures qui m�ont fait grande impression, et qui rappellent le g�nocide du Rwanda. Elles repr�sentent toutes ce qui appartient � l�histoire de cette horreur : coupables et sympathisants, r�fugi�s et tu�s, commandants politiques et militaires derri�re des fa�ades vides, inculp�s et juges, les m�dias pr�sents partout � la poursuite des scandales, un charnier avec des masques mortuaires qui symbolisent les rwandais morts sans nom. Le souvenir n�est pas r�prim�, il est au contraire bien pr�sent. L�exposition m�a profond�ment �mue et j�ai rencontr� beaucoup de monde qui partageait le m�me sentiment. Il s�agit d�un m�mento de la fragilit� de la vie, et on per�oit l�espoir qui a inspir� l�artiste : que la douleur n�ait pas �t� soufferte en vain. Le message me para�t �tre : si nous n�oublions pas, on nous donne une plus grande conscience de la valeur de la vie, justement parce qu�elle est ainsi menac�e. Cette conscience nous rendra sensibles et alertes dans notre tache de sauvegarder et de prot�ger la vie non pas au moyen d�armes d�fensives ou offensives, par le don de soi, l�empathie, les ponts lanc�s par la compr�hension r�ciproque et la confiance.

L�exposition m�a �galement appris que l�id�alisme ne suffit pas, qu�il faut aussi voir les r�alit�s et s�y confronter : avidit� de pouvoir, indiff�rence ou couardise, peur ou penchant � la violence. La volont� seule ne suffit pas ni m�me � nous chr�tiens. Pour cela je suis convaincue, ainsi que beaucoup d��glises et de chr�tiens, que nous devons faire de tout, et qu�il faut utiliser tous nos r�seaux ramifi�s pour r�aliser les conditions de base n�cessaires � r�tablir la paix et la r�conciliation. Le renforcement des organisations internationales comme l�ONU rel�vent de cette perspective, ainsi que le soutien de tous les mouvements d�mocratiques et des droits civils, et l�attention aux cultures non chr�tiennes et d�origine non europ�enne. La situation actuelle en Iraq doit nous secouer devant ces questions, ainsi que la guerre qui l�a pr�c�d�e, ou les guerres civiles pluriannuelles au Soudan, au Congo, au Lib�ria ou dans d�autres lieux, ou encore, comme la situation sans r�pit entre Isra�l et Palestine. Il y a de plus en plus des initiatives chr�tiennes pour la paix dans ces situations de conflit, qui se rapprochent de ce respect pour l�autre. Elles ont parfois du succ�s : un exemple en est d�une certaine mani�re le Soudan, o� la participation active de Sam Kobia, kenyan nouvellement �lu Secr�taire g�n�ral du Conseil oecum�nique des �glises, a pouss� rapidement les n�gociations vers un cessez-le-feu. En Palestine, en outre, a pris naissance un programme d�accompagnement �cum�nique dans le cadre duquel des chr�tiens accompagnent comme boucliers vivants les habitants palestiniens et travaillent en m�me temps pour la r�conciliation. Jusqu�� pr�sent ils n�ont malheureusement pas �t� en mesure de r�soudre la situation, mais leur participation a �t� reconnue par les uns et les autres comme une contribution � la voie vers la paix.

L�amour pour l�ennemi que J�sus a v�cu et a enseign� et uni � la volont� de r�conciliation, est certainement la contribution la plus importante des chr�tiens pour la paix : il ne produit certainement pas des dispositions directement utiles � ces situations et n�gociations d�une br�lante actualit�, mais il aide � voir dans le prochain, m�me dans l�ennemi, le Fils de Dieu, et aide �galement � percevoir les chances de paix. On peut ainsi se poser comme m�diateurs objectifs entre les fronts, capables de reconna�tre chez les uns comme chez les autres le potentiel de paix. Les initiatives de Sant`Egidio constituent un exemple significatif de ces possibilit�s.

 

 

  Copyright� 1999-2003 Comunit� di Sant'Egidio