Paul-Sim�on Ahouanan Djro
Ev�que catholique, C�te d�Ivoire
Mesdames et messieurs, Le th�me qui fait l�objet de notre r�flexion s�intitule � C�te d�Ivoire, de la guerre civile � la paix : Le r�le des religions �. Messieurs Jacob Ediemou Blin, pr�sident du forum des confessions religieuses et El Hadj kune Idriss Koudouss, membre de ce forum, se chargeront pour leur part, de vous entretenir sur le r�le et la contribution des religions en g�n�ral, dans la recherche effr�n�e de la paix en C�te d�Ivoire. Quant � moi, je me limiterai seulement au r�le qu�a jou� et que joue l�Eglise catholique de C�te d�Ivoire ; r�le qui trouve une de ses expressions majeures dans les initiatives, dans les d�clarations et les lettres pastorales des �v�ques ou de la conf�rence �piscopale. Dans la constitution pastorale sur � l�Eglise dans le monde de ce temps �, au num�ro 1, parlant de � l��troite solidarit� de l�Eglise avec l�ensemble de la famille humaine et avec le monde dans lequel elle vit d�clare : � Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n�est rien de vraiment humain qui ne trouve �cho dans leur c�ur. Leur communaut�, en effet, s��difie avec des hommes, rassembl�s dans le Christ, conduits par l�Esprit-Saint dans leur marche vers le royaume du P�re, et porteurs d�un message de salut qu�il leur faut proposer � tous. La communaut� des chr�tiens se reconna�t donc r�ellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire �. Gaudium et spes n� 1. A travers ces paroles et cette constitution pastorale, le concile entendait � exposer comment il envisage la pr�sence et l�action de l�Eglise dans le monde d�aujourd�hui �. L�Eglise de C�te d�Ivoire, de tout temps, a inscrit sa mission dans cette ligne trac�e par le concile, dans ce cadre du dialogue mutuel avec le monde. Elle a toujours v�cu dans la solidarit� intime avec la soci�t� ivoirienne, avec le souci permanent d��clairer la vie et la marche de la nation par la lumi�re de l��vangile pour en �tre le ferment ou l��me. I. Une Eglise � sentinelle �, � guetteur � de la paix Dans l�attention permanente qu�ils pr�tent � l��volution et � la marche de la nation, les �v�ques de C�te d�Ivoire sont comparables aux proph�tes de l�Ancien Testament qui, sans r�pit, appelaient � l�observance de la Loi, � la pratique de la justice et de l��quit�, au respect du droit du pauvre, de la veuve et de l�orphelin. Les lettres pastorales et les d�clarations des �v�ques qui ont accompagn� la vie de la nation ont �t� faites dans ce souci ; le souci de pr�venir, de d�noncer les d�rives, les tares et les maladies qui pouvaient mettre en p�ril l��quilibre de la nation par le d�sordre. A c�t� de ces lettres des �v�ques, on peut ajouter leur intervention personnelle, mais souvent discr�te, aupr�s des hommes politiques et des d�cideurs, pour les aider � travailler dans le sens de la r�duction des disparit�s et des d�s�quilibres, pour les exhorter � �difier une nation unie, solidaire, consciente de son identit� et de son unit�. Ce faisant, les �v�ques se voulaient �tre des � guetteurs �, des � sentinelles � perch�s sur la tour de garde pour pr�venir des dangers �ventuels et pour sauvegarder l�unit� et la paix. Le temps nous manquerait si nous devions analyser ici tous les documents des �v�ques en faveur de la paix. Je voudrais, pour gagner du temps, �voquer seulement les plus r�cents qui ont pr�c�d� le coup d��tat de d�cembre 1999 et ceux qui ont �t� produits pendant les �v�nements douloureux que nous connaissons. En effet, devant les balbutiements et les d�rives de notre jeune d�mocratie inaugur�e au d�but des ann�es 90 et qui avaient g�n�r� une forte tension sociale, les �v�ques ont senti l�imp�rieux devoir d��clairer la nation en g�n�ral et les hommes politiques en particulier par rapport � l�engagement politique et � ses objectifs. A cet effet, le 13 juin 1999, � Bondoukou, au terme de leur assembl�e annuelle, ils signaient � le chr�tien face � la politique � ; un document de 103 pages o�, s�appuyant sur la doctrine sociale de l�Eglise, sur les grandes orientations des enseignements du Saint P�re et sur � Ecclesia in Africa �, ils apportaient un grand �clairage sur la vie et l�engagement politique comme devant �tre un service de sa nation, de son peuple et de la d�mocratie. Dans ce document, ils interpellaient successivement les hommes politiques, les fonctionnaires, les �ducateurs, les jeunes, les agents charg�s de l�ordre public, les agents �conomiques, les �trangers, les hommes des m�dias�bref, toutes les forces vives de la nation afin que chacune apporte sa pierre � l��dification d�une soci�t� solidaire, unie dans la paix. A l�endroit sp�cial des acteurs de la vie politique, les �v�ques ont rappel� pr�cis�ment l�esprit selon lequel le pouvoir doit �tre exerc� en citant notamment l�exemple du Christ, � le Serviteur qui a donn� un sens nouveau au pouvoir, qui s�est fait lui-m�me le mod�le du serviteur, qui a lav� les pieds de ses disciples et qui a donn� sa vie pour les hommes, apprenant ainsi � exercer le pouvoir de fa�on d�sint�ress�e, dans le souci de servir et non de se servir ou de se faire servir, en bannissant toute tendance � la domination ou au r�gne sans partage �. A ces m�mes leaders politiques, les �v�ques lan�aient une invitation pressante � : - � accomplir leur t�che avec un patriotisme responsable� qui implique le respect de toutes les forces sociales et l�ouverture � la collaboration franche avec tous les citoyens quelle que soit leur appartenance id�ologique, politique, religieuse et ethnique� �. - avoir � comme souci majeur la recherche et la d�fense des int�r�ts du peuple dont vous avez la charge et non la recherche de vos int�r�ts et ceux de votre parti �. Dans ce m�me souci de l��quilibre, ils pr�venaient que la � manipulation de l�opinion publique, des �lus du peuple, de la Constitution, du d�coupage �lectoral en vue de sauvegarder et de pr�server les int�r�ts particuliers d�un parti, constituent un jeu politique dangereux pour l�ensemble du pays �. Malgr� le poids de ces paroles, elles n�ont pas suffi � �viter la catastrophe qui s�annon�ait, car, 6 mois apr�s la publication de ce document, avait lieu le premier coup d��tat de l�histoire de la C�te d�Ivoire, celui qui allait faire basculer son destin et dont les effets dramatiques se font sentir dans la guerre civile, avec ses morts qu�on n�a pas encore fini de compter. Tout cela est la preuve que l�Eglise et ses pasteurs n�ont pas �t� entendu, qu�ils avaient pr�ch� dans le d�sert. La d�licatesse de la p�riode de transition qui a suivi ce coup d��tat a amen� les �v�ques � s�impliquer plus avant dans la pr�paration des �lections qui devait suivre. Dans cet esprit, � leurs assembl�es de Fresco et de Yamoussoukro, ils ont demand� que tout soit mis en �uvre pour le renforcement de l�unit� nationale, que la transparence des �lections soit garantie pour que le peuple se choisisse lui m�me ceux qui vont conduire son destin. Encore une fois, ces appels n�ont pas �t� entendus puisque des manifestations d�une rare violence vont suivre ces �lections qui entra�neront, pour finir, le pays dans la guerre. Devant cette catastrophe, l�Eglise a pris toute sa place, d�abord dans le processus pour la cessation des hostilit�s, dans l�aide et le secours � apporter � ceux que les armes ont jet� sur les routes de l�exil, et dans la recherche de la paix v�ritable et durable qui passe par l�apaisement des blessures et par la r�conciliation des c�urs et des esprits. II. Le r�le de l�Eglise catholique dans la recherche de la paix On a l�habitude de dire qu�il est plus facile de faire la guerre que la paix. Les �v�nements que nous vivons actuellement est l�illustration parfaite de ce que le chemin de la paix est long et m�me tr�s long. Vous avez sans doute suivi tous les chemins que la C�te d�Ivoire a d� emprunter dans la recherche de la paix. Il y a eu beaucoup de m�diations, beaucoup de rencontres et de sommets souvent au plus haut niveau de la sous r�gion de l�Afrique de l�ouest et du monde. Il s�agit de conjuguer nos efforts, d�apporter le meilleur de ce que chacun peut pour la paix. L�Eglise catholique a pris sa part dans l��dification de la paix et je pourrais r�sumer son r�le et sa contribution autour de six p�les : 1. Son appel au dialogue Avant le d�clenchement de la crise, l�Eglise avait toujours conseill� le dialogue comme moyen de r�glement des conflits. Elle avait toujours rejet� l��ventualit� du recours aux armes et � la guerre qui demeure la m�re de la pauvret�. M�me si elle n�a pas �t� entendu, elle ne baisse pas les bras pour autant. C�est pourquoi apr�s le 19 septembre, elle a encore appel� au dialogue entre tous les fils de ce pays ; le dialogue dans la v�rit� pour surmonter ce qui divise. Deux d�clarations ont �t� faites � ce propos, l�une � Abengourou et l�autre � Abidjan. 2. Sa m�diation personnelle A c�t� de son appel au dialogue, l�Eglise s�est engag�e personnellement et concr�tement pour la r�solution du conflit en s�impliquant dans la m�diation aupr�s des diff�rents acteurs connus de la crise. A ce propos, par deux fois, les �v�ques ont rencontr� divers personnalit�s ou institutions qui pourraient aider � la r�solution de la crise. Au plan local, des d�marches ont �t� faites aupr�s du pouvoir en place, une d�l�gation de la conf�rence �piscopale a rencontr� le chef de l��tat � deux reprises. Moi-m�me, par deux fois, je me suis rendu � Bouak�, le fief des rebelles. La premi�re fois pour tenter de les amener � si�ger de fa�on effective au gouvernement selon les indications des accords de Linas-marcoussis, la deuxi�me, pour les inviter � se rendre � Abidjan, si�ge du gouvernement, pour se mettre au travail. Ces missions nous ont plus ou moins r�ussi et nous rendons gr�ce � Dieu � cet effet. 3. Son engagement pour soulager les blessures et les souffrances La guerre n�engendre que souffrance et malheur. Nous, � Yamoussoukro, de par notre situation g�ographique nous avons vu de pr�s la souffrance et le tourment de nos fr�res qui, en l�espace de quelques jours, ont afflu� en grand nombre � Yamoussoukro, en fuyant les zones de combats. Pendant des mois, les structures paroissiales de la ville de Yamoussoukro �taient devenues de � vastes camps de d�plac�s de guerre � et il a fallu accueillir toutes ces foules de personnes, il a fallu les h�berger, les nourrir, les soigner, et les aider, pour ceux qui le peuvent, � rejoindre un parent ou un ami vivant en zone sous contr�le gouvernemental. L�Eglise a eu � soulager ces mis�res ; mis�res physiques, mais surtout mis�res morales de personnes qui, en quelques jours avaient tout perdu et qui se trouvent traumatis�es. Au jour d�aujourd�hui, les pr�tres, dans nos paroisses continuent, par l�accueil et l��coute, de soutenir ces fr�res. 4. Son invitation insistante au pardon et � la r�conciliation comme chemin vers la paix Le moins qu�on peut dire en l��tat actuelle de la situation, c�est que la guerre a fait beaucoup de ravages. Beaucoup de vies humaines ont �t� d�truites. Des innocents ont perdu la vie� Des milliers de personnes ont perdu tout ce qu�ils ont acquis patiemment et au bout de lourds sacrifices consentis pendant de longues ann�es. Tout cela dans une guerre dont ils ne savent ni les mobiles, ni les objectifs et dans laquelle ils n�ont aucune faute. Leur unique faute, c�est de s��tre trouv� dans une r�gion qui a �t� le th��tre de combats. Le traumatisme et les blessures sont profonds. Dans un �tat psychologique de cette nature, on ne pense qu�� se venger m�me si l�on est conscient que ce cycle de vengeance ne peut pas r�soudre les probl�mes. L�Eglise appelle alors au pardon et � la r�conciliation. Elle appelle � un d�passement de soi pour parvenir au pardon qui lib�re et � ne pas se laisser tenter par le cycle de la vengeance. Certes, il nous faudra du temps et de la patience, mais nous pr�chons le pardon � l�exemple de J�sus qui a pardonn� � ses bourreaux et qui nous invite � pardonner jusqu�� soixante dix fois sept fois. Nous sommes convaincus que c�est le pardon et la r�conciliation qui m�neront � la paix. 5. Son accompagnement du processus de la r�conciliation dans les paroisses, les mouvements, les CEB. Au jour d�aujourd�hui, tous semblent convaincus qu�il n�y a aucun int�r�t � aller � la guerre et qu�il faut sortir de cette logique de l�affrontement pour aller � la paix. Au niveau de la nation, une campagne pour la r�conciliation est lanc�e avec l�appui des m�dias. L�Eglise n�a pas attendu cette campagne mais elle en est tr�s heureuse. Elle accompagne donc ce processus en y impliquant tous ces fils � travers ses diff�rentes structures que sont les paroisses, les mouvements, les groupes de pri�re, les CEB, etc� 6. Sa pri�re et son intercession en faveur de la paix (messes et veill�es pour la paix � adoration � visite au saint Sacrement). La complexit� de la crise ivoirienne est telle que les solutions restent tout aussi complexes. Cela nous oblige � plus d�efforts et de pers�v�rance dans la pri�re, car, pour nous, la paix en d�finitive, est un don de Dieu. D�s lors, nous intensifions � notre niveau notre minist�re d�intercession en faveur de la paix. Dans les paroisses du pays, dans les groupes de pri�res et les mouvements, des messes sont dites, des veill�es de pri�re sont organis�es pour implorer la gr�ce de la paix. Dans ce cadre, � Yamoussoukro, la basilique notre dame de la paix a pris toute sa place de haut-lieu de pri�re et d�intercession en faveur de la paix. Individuellement ou par groupes, des journ�es enti�res d�adoration ou de visite du saint-sacrement sont organis�es. Pour finir, je voudrais confier � votre affection et � votre pri�re mon pays, la C�te d�Ivoire. Aidez-nous � prier pour le retour de la paix. Aidez-nous � prier pour que nos cris de d�tresse touchent les c�urs des diff�rents acteurs de cette crise qui a fait tant de mal � la C�te d�Ivoire et � son peuple. Aidez-nous � prier pour qu��mergent en Afrique des hommes et des femmes, des leaders politiques qui aiment profond�ment leurs peuples, qui s�engagent de fa�on concr�te pour leur �panouissement et pour leur bonheur. Je vous remercie.
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