Aachen 2003

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Mardi 9 septembre 2003 - Eurogress
M�dias, guerre et paix

  
  

Fran�ois R�gis Hutin
PDG d� �Ouest France�, France
  

Rappelez-vous : une petite fille courant nue et br�l�e pour fuir l'horreur du napalm. Elle a nom Kim Phuc. Elle pleure et crie sa frayeur et sa d�tresse.

Rappelons-nous ces horreurs de 1939-1945 : villes en flamme, fusill�s exhum�s, camps de concentration. Rappelons-nous les guerres coloniales, les tortures, les villages br�l�s.

Avant-hier c'�tait les faux charniers de Timisoara � la une des m�dias. Aujourd'hui, ce sont des massacres en Afrique, o� op�rent du reste peu de journalistes.

Aujourd'hui, ce sont aussi les journalistes embarqu�s par l'arm�e am�ricaine en Irak.

La relation guerre/m�dias a suscit� soup�on, d�sillusion, pol�mique. C'est un rapport attraction �r�pulsion car les m�dias sont autant fascin�s par la guerre que rebut�s par elle.

Tour � tour et parfois les m�mes lancent le cri de guerre, d�signent et fl�trissent l'ennemi, puis magnifient le courage, l'abn�gation de leurs amis et chantent l'h�ro�sme jusqu'� l'�pop�e pour masquer l'horreur par la l�gende.

Et puis la violence �chappe � tout le monde et les m�dias courent apr�s, la pourchassent, tentent de la conjurer, la condamnent et se laissent aller au bout de cette nouvelle logique en r�clamant la violence � nouveau contre les auteurs de la violence : la mort pour obtenir la mort ! Cycle infernal bien d�crit par Ren� GIRARD : ces m�canismes existent bien cach�s en nous depuis le d�but du monde !

La guerre et les m�dias, c'est le grand m�lange, la grande confusion, mettant en marche les ressorts psychologiques, affectifs, �motionnels : haine, d�sir, vengeance, domination, puissance, exercice de la force, volont� de conqu�te etc�

Mais aussi, et en m�me temps, peur, ins�curit� et compassion, piti� et solidarit�, d�sir de m�diation, tentative ou devoir d'ing�rence humanitaire�

La guerre et les m�dias, c'est aussi les guerriers et les journalistes : comment s'organisent-ils ? Comment s'excluent-ils ? Comment s'utilisent-ils r�ciproquement ? Comment s'opposent-ils ? Cela pose d'embl�e la question des finalit�s des uns et des autres.

Le but des m�dias est d'informer mais informer c'est toujours se confronter � plus ou moins de r�sistance, � plus ou moins d'opacit�, celles des diff�rents pouvoirs : politiques, �conomiques, judiciaires, sociaux, financiers ou militaires.

En d�mocratie, les m�dias ont peu � peu appris � travailler dans un rapport de force. En temps de guerre, tout est bouscul�, tout est chang� : la d�mocratie se durcit, se prot�ge et le droit d'informer, le droit � �tre inform�, a tendance � se restreindre, voire � dispara�tre. Alors qu�au contraire, l�exigence d�mocratique serait d�amplifier le droit des citoyens d��tre inform�s. La contradiction s'exacerbe entre le pouvoir en guerre et la presse, soit que ce pouvoir veuille la servir, soit qu'il s'efforce de l'�carter. Ainsi, l'opposition devient plus nette entre la guerre qui tend � abaisser l'homme et l'information qui (si elle est honn�te) vise � lui donner la possibilit� de conna�tre, donc de s'�lever.

En r�sum�, nous nous trouvons vite dans l'opposition propagande et recherche du vrai.

Il convient aussi de souligner ici l'�volution des m�dias et la r�volution que constituent les nouvelles techniques : radio, internet, t�l�vision, photojournalisme, transmission satellitaire et donc imm�diatet�. Mais aussi, m�dias surpuissants, universels, donnant le ton, le la, c'est-�-dire l'ordre du jour m�diatique auquel il est bien difficile pour les autres m�dias d'�chapper. Ils s'int�ressent � tel conflit et pas � tel autre. Il existe des guerres surm�diatis�es et des guerres oubli�es, et celles-ci sont pourtant parfois de longue dur�e. Voyez le Soudan par exemple. Les guerres diss�min�es : plus de 200 communaut�s dans 93 pays sont, aujourd�hui, engag�es dans des conflits arm�s.

Il faut penser aussi au co�t humain de l'information de guerre : 17 journalistes tu�s � ce jour dans le conflit irakien. Reporters Sans Fronti�res estime que, sur 750 journalistes tu�s dans le monde depuis 10 ans, 93 % sont victimes de conflits locaux !

Finalement, entre m�dias et guerriers, il y aura des compromis plus ou moins dignes, plus ou moins f�conds, plus ou moins nocifs. Pour le journaliste, pour le responsable de m�dia, le probl�me sera d'assumer la responsabilit� de sa ligne �ditoriale et de la maintenir, y compris dans la tourmente. Ce qui signifie pour r�sumer : "A situation exceptionnelle, la guerre, il faut une vigilance exceptionnelle".

On a vu, encore r�cemment, que les m�dias qui ont le mieux travaill� dans la guerre d'Irak sont ceux qui se sont arc-bout�s � des principes d�ontologiques, r�d�s en temps de paix : respect des personnes, respect des protagonistes du conflit, d�cence des images, croisement des sources, prudence dans l'expression, vigilance sur les mots employ�s etc�"Une r�daction ne se pr�pare � la guerre que par les exigences qu'elle s'impose en temps de paix".

La guerre est toujours un d�fi pour l'information.

_ un d�fi avant : mont�e des tensions, mobilisation des esprits qui pr�c�de celle des arm�es. Les m�dias peuvent alors servir le meilleur ou le pire. On a vu le r�le des m�dias de la haine au Rwanda. On a vu, par contre, le r�le des m�dias catholiques polonais dont on a dit qu'ils furent plus forts que les tanks. On a entendu parler aussi de la cellule de d�sinformation que la Maison Blanche avait envisag� de cr�er juste avant la guerre d'Irak. Comment d�samorcer ces fausses informations ? Comment s'affranchir des pressions politiques ? Comment s'affranchir des pressions politico-�conomiques �manant du complexe militaro-industriel dont le but affich� dans les nations est de servir l'�conomie des pays et le niveau de vie du peuple ?

Rappelons-nous qu'il existe de par le monde de grands groupes industriels qui fabriquent des armes mais, en m�me temps, qui �ditent des m�dias.

Et cependant, la question doit se poser de savoir comment concilier s�curit� et d�fense, avec la libert� et notamment celle d'informer ?

Comment exorciser "le caract�re souvent exorbitant du secret-d�fense et de l'usage qui en est fait ?", se demande Pierre MARION, ancien chef des services secrets fran�ais. C'est donc bien avant les conflits qu'il faut �tre vigilants. C'est aux m�dias, qui sont soucieux de la r�flexion des hommes et de la mont�e humaine, de tout faire pour que les guerres ne soient pas per�ues comme fatales.

_ d�fi pendant le conflit : toute guerre est un champ de mines pour l�information :

- premier pi�ge : le premier pi�ge est celui du direct, c'est le souci premier des t�l�visions et ce souci du direct pousse � la surench�re. � Le direct est �crasant pour la conscience, il active les passions mais g�n�re tr�s peu d�espace pour la pens�e �, explique Daniel BOUGNOUX, r�daction en chef des Cahiers de m�diologie. Face � cela, la presse �crite, moins tenue au direct, "demeure le lieu d�information qui nous aide � penser �, ajoute-t-il.

- deuxi�me pi�ge, celui des mots : mots nouveaux, mots � la mode, mots d�tourn�s de leur sens, mots aseptisants ou mots provocants, mots s'immis�ant dans le langage courant, v�hiculant insidieusement des orientations, pr�parant des choix non dits explicitement : terroristes, guerre propre, zone s�curis�e, situation en mains, d�g�t collat�ral. Qui donc a une t�te de d�g�t collat�ral ?

Enfin les conf�rences de presse quotidiennes des bellig�rants, sans doute utiles, ne sont-elles pas dans leur esprit une mani�re de mettre l�information au service de leurs objectifs ?

� La communication de guerre est virale, c'est-�-dire tr�s contagieuse �, dit Daniel BOUGNOUX. On ne se fait pas seulement embarquer par les chars mais aussi par les mots et l'on devient parfois, sans s'en apercevoir, un partisan.

_ d�fi apr�s le conflit : On passe all�grement d'un conflit � l'autre. On oublie le suivi n�cessaire jusque dans les cons�quences. Ce "devoir de suite" est pourtant le seul qui peut redonner du sens, apr�s que ce soit tu le fracas guerrier quand la poussi�re de l'explosion est retomb�e. Or, c'est souvent dans l'imm�diate apr�s-guerre que sont sem�s les germes d'une guerre � venir. On l'a vu avec le Trait� de Versailles ou encore avec la guerre r�cente d'Irak.

Pour conclure entre l�insupportable et l�esp�rance, je voudrais citer Jacques GONNET, dans � Les m�dias et l�indiff�rence � : � Telle est la t�che immense de celui qui a pour devoir de transmettre la connaissance de l�insupportable : montrer, en creux, la cruaut� de l�homme mais inscrire, simultan�ment, cette autre � folie �, diam�tralement oppos�e, la capacit� de souffrir pour celui qui souffre, montrer le projet humain de fraternit�, dessiner l�espoir �

Je vous remercie de votre attention

 

 

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