Francisco Whitaker
Commission Justice et Paix, Br�sil
En participant d�un panel hier, je l�ai d�j� dit, mais il faut bien le redire maintenant : le Pr�sident da la R�publique de mon pays, le Br�sil, n�ayant pas pu venir � cette rencontre, � laquelle ses organisateurs l�avaient invit�, m�a fait l�honneur de me designer son repr�sentant et de me faire porteur d�un message � vous. Je participe cependant de ce panel � titre personnel. Tout ce que je dirais n�est donc que de ma seule responsabilit�. Le titre de ce panel est provocateur. Y-a-t-il un chaos mondial ? Nous sommes arriv�s ici par des moyens de transport qui ont fonctionn� apparemment bien, nous nous sommes install�s dans une tr�s belle ville dont les habitants suivent des r�gles normales de vie collective et nous accueillent avec sympathie, nous accomplissons maintenant, dans cette rencontre, qui r�uni des invit�s venant des quatre coins du monde, un programme pr��tabli depuis un bon bout de temps... Peut-on alors parler de chaos ? Mais nous savons bien que dans plusieurs endroits du monde des milliers de personnes meurent de faim, ou s�entretuent dans des violents conflits interminables. Nous voyons aussi tous les jours par la TV la barbarie des machines de guerre poussant beaucoup d��tres humains � la douleur et au d�sespoir. Le chaos serait-il alors pas ici mais dans ces autres endroits du monde ? Ou alors se trouve-t-il dans l��trange rapport entre l�atmosph�re paisible que nous vivons ici et celle v�cue par tant d�hommes, femmes et enfants, le monde �tant un seul monde, et pour nous, qui croyons en Dieu, tous ses habitants �tant nos fr�res ? Ou parle-t-on de chaos en devinant son approche et en le consid�rant in�vitable ? En fait, le monde s�est laiss� attraper par une spirale de violence, qui le pousse � une dynamique d�action et r�action meurtri�re, lanc�e par la plus grande puissance militaire du monde. Certes, il y a eu un d�part tragique et bouleversant: certains leaders de pays domin�s par cette puissance ont fait p�n�trer, dans son territoire, des militants politiques suicides d�cid�s � mourir avec des milliers d�innocents et � abattre ses grands symboles de richesse. Mais la spirale a surgi avec la r�action du gouvernement du pays attaqu� : il a d�cid� de tuer les leaders qu�il a consid�r�s coupables, ou tout au moins ch�tier exemplairement leurs pays � tout cela avec une violence inou�e, aussi tragique et bouleversante, et, incroyablement, au nom de Dieu. Une d�cision qui est d�ailleurs suivie � la lettre par d�autres pays en conflit. Le chaos serait alors une cons�quence de la dynamique ainsi inaugur�e d�action et r�action, qui pourra atteindre toute la face de la terre. Que Dieu nous garde, mais qui d�entre nous se sent absolument s�r qu�il ne mourra pas demain ou apr�s demain, non par l�affaiblissement naturel de nos corps ou par des accidentes malheureux, mais par une morte violente provoqu�e par des fr�res � nous ? Serait-il fou penser � tout cela ? Certes, le monde peut devenir invivable - un chaos � si quelques uns qui ont adopt� le terrorisme comme m�thode d�action politique le prennent en otage. Une des caract�ristiques fondamentales de cette m�thode est l�impr�visibilit� des actions men�es. Moi m�me, en tant que membre du Secr�tariat du Forum Social Mondial, je viens d�exp�rimenter une situation inattendue de ce type: � Mumbai, la ville de l�Inde qui va si�ger le Forum Social Mondial de 2004, du 16 au 21 janvier prochain, deux voitures-bombe ont tu�, il y a un peu plus d�une semaine, le 25 ao�t dernier, dans deux endroits diff�rents, presque une centaine de personnes n�ayant pas pris des engagements politiques dans aucun des cot�s qui s�affrontent maintenant en Inde. Et tout semble indiquer que les objectifs des auteurs de ces attentats n�avaient rien � voir avec la r�alisation du Forum � Mumbai. Que faire alors ? Ne plus r�aliser ce Forum, devant l�ins�curit� cr��e ? Ce serait encourager l�utilisation du terrorisme pour n�importe quelle fin. Le d�placer de Mumbai � une autre ville plus s�re ? Quelle ville serait alors moins dangereuse? Nous avons consult� les organisateurs indiens du Forum. Leur r�ponse a �t� la seule possible: malgr� tout cela, le Forum Social Mondial � dont la devise est exactement � un autre monde est possible � - aura lieu � Mumbai dans les dates pr�vues. Ils ont dit : � We base our confidence on the resilience of the city of Mumbai and the spirited support of the citizens of Mumbai. � Mais sans doute, comme dans n�importe quelle autre solution donn�e, elle n�est pas facile, en pensant � un �v�nement qui va r�unir autour de cent mille personnes. Le terrorisme aveugle, mais aussi les in�galit�s croissantes, l�injustice persistante, ne parlons pas des perspectives �cologiques, ni du trafic de drogues et d��tres humains, ni du crime organis� - le chaos commence effectivement � s�installer dans le monde ? Mais le titre de ce panel nous demande de parler de nos responsabilit�s, en tant que chr�tiens, face � cela. C�est � dire, que faire maintenant une fois que notre message de fraternit�, de m�me que les messages de fraternit� de toutes les autres religions, n�ont pas r�ussi � p�n�trer dans tous les c�urs, et c�est plut�t la haine qui gagne du terrain ? Cela nous oblige � redoubler d�urgence nos efforts pour que la fraternit� soit effectivement vue comme la seule issue pour l�avenir de l�humanit�. En d�autres termes, nous avons � reprendre avec force le besoin absolu de la conversion personnelle � l�amour. Mais la conversion � l�amour ne peut se r�duire aux rapports interpersonnels. Il faut aussi reprendre avec force, � cause m�me de l�amour au prochain, l�action transformatrice des structures �conomiques et politiques que jusqu�ici l�humanit� a construit, et qui se situent entre les causes de la trag�die actuelle. Dans ma jeunesse, mon �glise nous poussait beaucoup � penser � l�injustice sociale. On discutait alors s�il fallait se lancer dans la transformation des structures perverses qui menaient � cette injustice ou dans l�action pour le d�passement des comportements individuels �go�stes. Il est devenu progressivement chaque fois plus clair que les changements des structures et des comportements ou bien vont ensemble ou aucun d�eux ne m�nera � une nouvelle r�alit� sociale. Pour que l�argent soit r�duit � un moyen pour faciliter les �changes, son seule et unique r�le ; pour que la Dignit� Humaine et la Paix soient mises en avant comme valeurs absolues et le conformisme c�de la place � la n�cessaire indignation contre toutes le violations de cette Dignit� et contre tous les attentats � la paix ; pour que la comp�tition soit remplac�e par la coop�ration et la solidarit� ; pour que nous changeons nos rapports avec la nature et m�me nos comportements de consommation, il nous faut tant des structures �conomiques et politiques favorables � l�exercice de la fraternit� que des engagements personnels de chacun � vivre des nouvelles attitudes. Pour cela il nous faut bien s�r nous associer solidairement avec tous les �tres humains de bonne volont� qui cherchent � changer le monde � qu�ils soient men�s par leur foi en Dieu ou par leur foi dans l�humanit�. Il y a � travers le monde des milliers d�initiatives de toutes sortes, dimensions et niveaux, men�es par des gens g�n�reusement engag�s dans des actions de r�sistance ou de construction du nouveau. Il y a des millions d��tres humains qui travaillent sans r�pit pour que la dignit� humaine soit respect�e partout. Nous n�entendions m�me pas parler d�eux. D�ailleurs un monde effectivement nouveau ne sera pas solide s�il n�est pas pris en charge par toute la societ�, � partir de ses propres bases. Il y a aujourd�hui plusieurs possibilit�s d�association, aux niveaux locaux et au niveau mondial, avec d�autres personnes et organisations engag�s dans ces m�mes d�marches. Le Forum Social Mondial, que j�ai d�j� mentionn�, en est une de ces possibilit�s, qui gagne un poids grandissant. Il est fondamentalement un espace, une occasion d�apprentissage, ouvert � tous ceux int�ress�s � une convivialit� effectivement d�mocratique, au respect � la diversit�, � l��change horizontale de connaissances et d�exp�riences d�action transformatrice, � la recherche de nouveaux modes d�action politique sans embrigadements, impositions autoritaires, manipulation, � pens�es uniques � illumin�es, utilisation des armes et de la violence pour prendre le pouvoir. La participation de tous ceux qui croient en Dieu dans cette initiative, qui arrive � mettre ensemble tous les courants actuels de lutte pour un monde nouveau, est essentielle pour renforcer et approfondir les d�couvertes que les militants politiques de tout le monde font dans ces rencontres. L�Internet est un autre des moyens nouveaux dont l�humanit� dispose, qui ouvre des possibilit�s inattendues et �normes dans l�intercommunication horizontale des gens et des peuples, vers la co-responsabilisation sur le devenir du monde. Pour me tenir � seulement deux exemples concrets, nous savons bien que c�est l�intense invitation mutuelle par l�Internet qui a men� des millions de personnes � r�pondre � l�appel lanc� pour des manifestations de rue, le 15 f�vrier dernier, pour la Paix et contre la guerre en Irak. De m�me nous commen�ons � voir des nouvelles prises de conscience, � l�int�rieur m�me des Etats Unis, sur la r�alit� de l�occupation militaire de l�Irak par les am�ricains, par le simple fait que la technologie de l�Internet peut �tre utilis�e par des soldats se communicant instantan�ment avec leurs familles, au dessus de toutes le fronti�res et tous les contr�les. Cette immense force collective pourrait nous faire r�ver � faire dispara�tre la faim dans le monde, o�, en fait, prend ses racines la spirale de l�action et r�action violente et donc la perspective de chaos. Pour bloquer cependant cette spirale nous ne pouvons pas compter seulement sur l�action �parpill� de tant d��tres humains, m�me s�ils sont sur toute la surface de la terre. Cette lutte est en fait contre le courant, parce que le pouvoir en face, beaucoup plus grand et concentr�, maintient sa domination aussi par un contr�le id�ologique des domin�s. Elle est donc n�cessairement lente. Or, pour enrayer le chaos la lutte est contre la montre. Il est alors absolument urgent d�agir aussi au niveau des grands responsables politiques. Le chemin peut �tre la remise sur pied des Nations Unies. La crise qu�elle vit maintenant peut devenir un ressort pour la faire reprendre pleinement son r�le. L�attentat de Bagdad, qui l�a atteint dans son c�ur, montre bien la trappe dans laquelle elle a �t� conduite. Il faudrait b�tir au plus vite une instance non intergouvernementale mais de la societ� civile - comptant sur l�appui ferme de toutes les religions du monde - tourn�e sp�cifiquement au sauvetage de l�ONU. Cette instance devrait tout de suite �tablir un dialogue avec la direction m�me des Nations Unies et avec les gouvernements des pays les plus puissants du monde, pour que des initiatives claires et pr�cises soient prises pour qu�un grand compromis pour la paix � bas�e sur la justice � soit fermement adopt� par toutes les nations du monde. Mais c�est sur l�esp�rance que je voudrais finir mes propos. Voil� un r�le essentiel que les chr�tiens pourraient assumer pleinement. Selon le grand po�te fran�ais Charles P�guy, Dieu nous dit : �La foi, �a ne m��tonne pas. ��a n�est pas �tonnant. � ... � La charit�, dit Dieu, �a ne m��tonne pas. � �a n�est pas �tonnant. � ... � Mais l�esp�rance, dit Dieu, voil� ce qui m��tonne. � Moi m�me. � �a c�est �tonnant. � Ce qui m��tonne, dit Dieu, c�est l�esp�rance. � Je n�en reviens pas. � Cette petite esp�rance, qui n�a l�air de rien du tout. � Cette petite fille esp�rance. � Immortelle. � Je dirais alors que notre plus grande responsabilit�, en tant que chr�tiens, est peut �tre celle de maintenir l�esp�rance, la plus �tonnante des vertus - m�me pour Dieu, selon P�guy. En sachant qu�elle est immortelle, il faut la maintenir vivante. Ce sera notre principale contribution � ce que le chaos ne s�installe pas compl�tement dans notre petite plan�te Terre.
|