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Ghassan Tueni
Pr�sident des �Editions Dar An-Nahar", Liban
Messeigneurs, Excellences, Mesdames, Messieurs, Je commence cette intervention par un double aveu : je suis intimid� par mon r�le de mod�rateur, face � des sommit�s religieuses et acad�miques aussi importantes. Mais aussi obs�d� par tout ce qui bouleverse la r�gion d�o� je viens, th��tre de drames historiques qui d�couragent toute recherche d�une civilisation de la coexistence, quand le sang est vers� dans des lieux de culte au nom d�un Dieu qui est le m�me que les fid�les priaient. Et pourtant, ne nous faut-il pas, comme nous le recommande l�Archev�que de Milan S.E. le Cardinal Tettamanzi, nous rencontrer pour �changer: �la contribution de sagesse spirituelle des nos propres traditions religieuses et culturelles (�) afin que dans l�humanit� puisse pr�valoir non pas la pr�tention de l�h�g�monie (�) mais la recherche sinc�re de chemins de la paix et du dialogue�. Repr�sentant une esp�ce rare de Chr�tiens, peut-�tre en voie de disparition, les Chr�tiens Arabes, je vais me permettre, en guise de prologue au d�bat, soumettre notre cas comme plaidoyer contre la d�sesp�rance. En termes o� l�amertume excusera la na�vet�. D�entr�e, je pense que la recherche d�une civilisation de la coexistence n�est possible que par une ONU r�form�e, sans folie, ni p�ch�s d�empire. Une ONU o� les pays minoritaires n�auront plus la frustration de se sentir objets de dissensions ou de partage, mais sujets actifs dans une concertation universelle. Un dialogue qui devrait devenir alors plan�taire, et o� le souci des partenaires ne serait plus de se rejeter mutuellement, de s�autod�truire en voulant d�truire l�autre. Ainsi se dessinerait une g�ographie intercontinentale r��quilibr�e � sans retour, cependant, � l��quilibre de la terreur � susceptible de se substituer � la mondialisation aujourd�hui sauvage. Cette mondialisation devra d�ailleurs se transfigurer, transcender ses limites afin de s�enrichir du patrimoine des identit�s religieuses, ethniques o� nationales, plut�t que de les brutaliser. Elle doit aspirer � devenir moteur d�une ph�nom�nologie de l�unit� humaine, vecteur d�une synth�se o� chacun voit dans l�autre un miroir de lui-m�me. Dans cette g�ographie, le r�le de l�Europe est, bien �videmment, majeur. D�abord parce qu�elle-m�me est maintenant �difi�e en communaut� plurielle, ensuite parce-qu�� travers la M�diterran�e elle a h�rit� d��changes anciens avec deux autres continents riverains de cette m�me mer, l�Afrique et l�Asie et o� tout semble ne se passer que dans la trag�die. De plus, � sa population musulmane propre, dans les Balkans et l�Europe de l�Est, s�ajoute la population d�origine maghr�bine, �gyptienne, iranienne, syro-libanaise et turque, puis quand la Turquie sera elle-m�me d�Europe, son apport culturel propre, en plus de l�apport religieux, renouera un h�ritage plus riche encore que l�h�ritage orientaliste import� surtout au XVIIIe si�cle, mais bien avant, depuis les Crois�s. Ayant surv�cu au syndrome des guerres et des paix d�antan, ayant surv�cu surtout aux d�boires de ses empires coloniaux, qui ont quand m�me laiss� les empreintes de traditions culturelles aujourd�hui pr�cieuses, c�est de l�Europe et de la M�diterran�e que doit partir l�entreprise ultime pour �tablir une Paix qui gu�rira le monde de la cassure entre l�Occident et les Orients que l�on ne cesse de multiplier. Les deux rives doivent s�unir, mais c�est de la rive dite Sud � et pourquoi pas du Liban particuli�rement ? nous y reviendrons � que doit �merger le dialogue tant recherch� par l�Union Europ�enne. Malgr� et surtout � cause du rapt du Moyen-Orient par l�Am�rique qu�avait pr�c�d� sa culture de la violence, h�las v�hicul�e par des progr�s de pointe in�galables. Ce dialogue, o� le religieux aura sa place pr�pond�rante, pourrait tr�s bien s�inspirer de l�amour de la J�rusalem, civitas dei, un amour partag� par tous, mais non divisible. Notre foi nous a appris qu�au commencement �tait le verbe. Mais telle n�est pas, � nos yeux et dans nos c�urs, la v�rit� existentielle historique, donc concr�te. Pour nous Chr�tiens d�Orient: AU COMMENCEMENT �TAIT J�RUSALEM. Mesdames, Messieurs, �Mon regard se tourne vers l�Orientale Lumen�, disait le Pape Jean Paul II en 1995 dans une lettre apostolique: �Mon regard se tourne vers l�Orientale Lumen, qui resplendit de J�rusalem, la ville dans laquelle le Verbe de Dieu, fait homme pour notre salut� mourut et ressuscita�. Or, c�est � J�rusalem, plus que partout ailleurs, que l�EXISTENCE M�ME des Chr�tiens d�Orient devient la plus pr�caire. Au Liban nous sommes obs�d�s par une �migration qui nous menace. Une obsession qu�est venu accentuer l�exode tr�s r�cent des Chr�tiens d�Iraq. Mais, nous sommes-nous demand� pourquoi l��migration de nos fr�res de J�rusalem est la plus nombreuse, la plus dramatique? Nous sommes-nous demand�, avec intelligence et sans passion, quelle est notre part de responsabilit� chr�tienne face au risque de voir dispara�tre l�Eglise de J�rusalem, Corps du Christ dans la Cvitas Dei terrestre? Si cette Eglise devait devenir un simple souvenir, une cit� de pierres et non d�hommes, que nous reviendrons visiter en p�lerins� m�me pas, aux mieux en touristes, notre appartenance a l�Oriental Lumen demeurera-t-elle la m�me? Sous le couvert de l�antis�mitisme renaissant, non satisfaits d�avoir pr�sent� au monde la lutte pour J�rusalem comme un conflit entre juifs et musulmans, les Sionistes et leurs alli�s d�Am�rique � N�o-conservateurs, Chr�tiens-Sionistes et autres vari�t�s de sub-protestants � remettent en question, chaque jour davantage et par tous les moyens, les Evangiles et jusqu�� la naissance de J�sus � Bethl�em, d�j� une cit� fant�me, rien de plus. Le moment est venu d�admettre enfin que le plus grand p�ril qui nous menace n�est pas le spectre fantomatique d�un Islam terroriste qu�Isra�l agite sans cesse, mais bien la strat�gie historique du sionisme qui ne cache plus sa d�termination � d�truire le Saint-S�pulcre et la Mosqu�e du D�me afin de �reconstruire le Temple� qui augurera de la venue du �Messie�. Mesdames, Messieurs, Je m�emp�cherais d�aller plus loin dans la Question palestinienne. Elle se situe au-del� de notre sujet. Je me contenterais de quelques r�flexions inspir�es par le probl�me des Chr�tiens d�Orient et leur sort, que je me permet de soumettre � votre consid�ration. En filigrane, vous le devinerez, se profile le cas du Liban, image-miroir de cette question. J�en arrive � ma conclusion. Si le Liban a pu survivre � un quart de si�cle de guerres dites civiles, mais qui furent surtout les �guerres des autres� par Libanais interpos�s�Si le Liban a pu survivre, et sauver un minimum de d�mocratie, c�est parce que ses composantes religieuses ont, avec une d�termination farouche maintenu le dialogue, m�me aux pires moments de crise et de d�tresse. Mais le Liban est aujourd�hui � r�inventer. Son exp�rience nous d�montre ce qui suit: 1. Il n�y aura pas de co-existence islamo-chr�tienne si la pr�sence physique et � dimension politique enti�re, est supprim�e au Sud de la M�diterran�e. 2. Les Chr�tiens d�Orient, au lieu de s�automarginaliser, et de choisir l�exode, doivent au contraire gagner leur cr�dibilit� vis-�-vis du Nord, c'est-�-dire de l�Europe et de l�Amerique en expliquant l�Islam � l�Occident, et non l�inverse. 3. Il ne faut pas a priori envisager de �faire face� � la mont�e de l�Islam. Au contraire, il faut, par l�int�rieur des cultures co-existentielles, cr�er des dialogues multidimensionnels, et participer activement, dans l�amiti� et la confiance, � la renaissance et la modernisation de l�Islam. 4. Les chr�tiens doivent s�investir dans la renaissance qu�entreprend l�Islam , et lui inspirer la recherche d�un progr�s socioculturel qui ne peut �tre que commun. Un plus de christianisme doit nous rapprocher de l�Islam et non nous en �loigner. 5. En cultivant l�Islam authentique, en invoquant ses philosophes de l�ouverture, les penseurs des �poques glorieuses et de la renaissance, les musulmans se retrouvent davantage dans un consensus national, voire universel qui les aidera � se repenser, donc � se lib�rer du fondamentalisme des appels � la violence devenus alors inutiles et de plus en plus meurtriers. Puisque c�est l�Islam, plus que les Chr�tiens, qui devient otage de son propre extr�misme. 6. Il faut encourager les soci�t�s pluri-religieuses, mais en re-n�gociant chaque jour un �contrat social� - s�il le faut nouveau, dynamique et cr�atif par l�enrichissement de la culture des communaut�s et une connaissance toujours plus approfondie de la religion de l�autre. L�Islam authentique doit comprendre que seule une paix avec les Chr�tiens lui permettra de se moderniser sans complexe, de se lib�rer de la peur d�autrui. On se � terrorise � soi-m�me quand on a peur d��tre viol�. 7. Enfin, il faut que les Musulmanes et le Chr�tiens se lib�rent des id�ologies caduques et cherchent ensemble la d�mocratie la�que dans un espace meta-id�ologique. L�id�al meta-id�ologique d�une �civilisation de la coexistence � ne peut �tre trouv� que par le dialogue au quotidien, loin des rh�toriques savantes, mais en valorisant, dans la vie commune, toutes les richesses de l�esprit chr�tien et des traditions musulmanes dans un m�me et perp�tuel travail. Loin des d�bats qui �cartent les parties en pr�sence et les enferment dans un ent�tement in�vitable, c�est un dialogue fonction d�ouverture totale, qui doit nous guider dans la recherche de synth�ses, par une dialectique lib�r�e des imp�ratifs pr�alables. Mesdames, messieurs, Les Chr�tiennes d�Orient doivent se lib�rer de leur lourde h�r�dit� de Dhimmis et du handicap de leur pr�tendue d�pendance de la solidarit� transnationale du monde Chr�tien, un vieux mythe h�rit� depuis les Crois�s et rajeuni par les accords internationaux dits des Capitulations. Je dis bien handicap car preuve a �t� faite que la solidarit� des Chr�tiens de l��tranger est tributaire des int�r�ts nationaux surtout �conomiques des puissances �trang�res. Une conclusion qui rejoint d�ailleurs les interpr�tations d�-romantis�es de l�aventure crois�e depuis Pierre l�Hermite. On n�a pas besoin d��tre marxiste pour oser insister sur les facteurs �conomiques qui ont pouss� les Seigneurs �Chr�tiens de l�Europe� du Moyen Age � entreprendre des exp�ditions � o combien p�rilleuses!- qui d�but�rent cependant par le sac de Constantinople et la conqu�te d�Anthioche. On n�avait pas encore d�couvert le p�trole, qui eut scell� davantage certaines alliances franques avec des princes arabes, les anc�tres � qui sait?- des Saoud et autres Emirs du Golfe et d�Irak. En conclusion des sept piliers de la sagesse que je vous ais soumis, je me permet cette phrase de l�actualit� la plus br�lante : les Chr�tiens d�Orient doivent devenir la passerelle ou mieux encore le moteur d�une communion entre l�Occident Chr�tien et le monde de l�Islam. Les Chr�tiens doivent faire cesser la guerre des arri�re-pens�es ; gu�rir de l�arithm�tique constitutionnelle, renoncer � se complaire dans le r�le de victimes pleureuses pour plonger dans la joie de la cr�ation. Leur religion les y appelle.Qu�il me soit permis, en guise de pri�re, de r�citer ces quelques lignes de Saint-Augustin, dit le punique, donc en droite lign�e du Liban: �Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par amour, si tu parles, parle par amour, si tu corriges, corrige par amour, aie au fond du c�ur la racine de l�amour ; de cette racine, il ne peut rien sortir que de bon�. Merci.
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