Dimanche 5 septembre 2004
Teatro degli Arcimboldi
S�ance inaugurale

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Abdoulaye Wade
Pr�sident de la R�publique du S�n�gal
  

Monsieur le Pr�sident de la Communaut� de Sant� Egidio,
Honorables Guides Religieux,
Chers invit�s � la 18�me �dition de la Rencontre Internationale de Sant� Egidio,
Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d�abord � vous dire tout le plaisir que j��prouve d��tre parmi vous aujourd�hui, � l�occasion de cette 18�me �dition de la Rencontre Internationale de la Communaut� de Sant�Egidio.

Le th�me que Vous avez retenu cette ann�e, � Religions et Cultures : le courage d�un nouvel humanisme �, vient � son heure.

Voil� une initiative � la fois heureuse, optimiste, positive et courageuse dans un monde o� la paix, la fraternit�, la justice et la solidarit� entre les peuples sont en p�ril parce que soumises � l��preuve de la violence, de l�indiff�rence et de l�incompr�hension.

Je rends un hommage appuy� � la Communaut� de Sant� Egidio. Partis d�un admirable ancien monast�re romain que j�ai visit� avec ravissement, qui vous sert de Quartier G�n�ral, vous avez conquis les c�urs de millions d�hommes et de femmes avec comme viatique trois vertus essentielles � l�homme, � la soci�t� et � la paix : je veux nommer la pri�re, la charit� et la diplomatie ; trois dimensions qui caract�risent si bien l��uvre de votre Communaut�.

Je viens d�un pays qui croit fermement � ces valeurs ; et c�est ce qui fonde la joie que je ressens d��tre parmi vous.

Pour nous S�n�galais, la diversit� est une source inestimable de richesse.

Dans mon pays, o� le rapport entre musulmans et chr�tiens est estim� � 95 musulmans pour 5 chiites, un Chr�tien, feu L�opold S�dar SENGHOR, Premier Pr�sident du S�n�gal post ind�pendance, a toujours b�n�fici� de la sollicitude et du soutien des dignitaires musulmans.

Il en est ainsi parce que les S�n�galais, dans un bel esprit de coh�sion nationale, ont transcend� les particularismes religieux, ethniques et culturels.

Quelles que soient nos ob�diences confessionnelles, nous partageons les m�mes joies et les m�mes peines comme tout r�cemment, le rappel � Dieu du regrett� Hyacinthe THIANDOUM, Archev�que de Dakar.

Le deuil qui nous a frapp�s en cette douloureuse circonstance, nous a permis, � nouveau, de mesurer ce qui fait la force de notre Nation : vivre en harmonie dans le respect de nos diff�rences.

Voil� ce qui explique que dans une m�me famille, comme par exemple celle de feu le Cardinal THIANDOUM, se m�lent musulmans et chr�tiens, et que dans certains de nos cimeti�res, musulmans et catholiques reposent c�te � c�te pour l��ternit�.

Si j�insiste sur ce v�cu quotidien de mon peuple, c�est pour vous dire qu�� ma place, chacun de mes concitoyens se sentirait � l�aise dans le th�me que vous avez retenu pour la pr�sente �dition. En leur nom, je vous apporte le t�moignage de notre adh�sion aux valeurs que vous d�fendez.

Le Saint Coran prescrit formellement aux musulmans ce qui suit : � Dites : Nous croyons en Allah et � la r�v�lation que le Seigneur a faite � Abraham, � Ismael, � Isaac, � Jacob et aux Tribus, et � ce qu�il a confi� � Moise et � J�sus et � tous les Proph�tes ; nous ne faisons pas de diff�rence entre eux et nous nous inclinons devant Allah dans l�all�geance et la soumission � (sourate 2, verset 136).

Le Coran fait r�f�rence � de nombreuses r�v�lations des Saintes Ecritures qui l�ont pr�c�d� : l�histoire d�Adam et d�Eve, celle de No�, de Jacob, de la Vierge Marie - dont une Sourate enti�re du Coran porte le nom - sont des faits authentiquement confirm�s dans le Coran et accept�s par tout musulman.

La Torah, la Bible et le Coran enseignent tous la grandeur Sublime du Dieu Unique, Ma�tre de l�Univers. Ils prescrivent le bien, prohibent le mal, exhortent l�homme � l��l�vation spirituelle, pr�chent la mod�ration, le pardon, l�amour et la compassion � l��gard du prochain.

Inspir� par ces vertus cardinales, le Proph�te Mouhamed (PSL) pratiquait constamment le dialogue inter-religieux. Ainsi, d�s 617, il avait nou� des relations suivies avec l�Abyssinie noire et chr�tienne. Dans son entourage, on comptait des tribus d�origines culturelles et confessionnelles diverses : des gens du Hedjaz, des Perses, des Noirs, des Juifs et des Byzantins.

Lorsqu�il re�ut, en 631, � M�dine, une d�l�gation venant de NAJRAN, il c�da � ses h�tes une partie de sa Mosqu�e pour leur permettre d�y c�l�brer la messe.

Il prenait un tel soin de ses voisins, toutes confessions confondues, que ses compagnons en �taient arriv�s � se demander si ceux-ci n�avaient finalement pas un droit d�h�ritage sur ses biens.

Ces quelques exemples rev�tent une valeur hautement p�dagogique. Ils prouvent, s�il en �tait encore besoin, que le dialogue des religions en g�n�ral, islamo-chr�tien en particulier, ne date pas d�aujourd�hui.

D�s lors, le devoir qui nous incombe est de le faire revivre au nom du Dieu Unique que nous invoquons tous, juifs, chr�tiens et musulmans ; ce Dieu Unique que nous d�signons sous des appellations diff�rentes et sous l�autorit� duquel nous pratiquons le culte de la foi.

Le courage d�un nouvel humanisme avons-nous dit. Il est convenable d�en parler ici, en terre italienne, d�o� l�humanisme, comme doctrine philosophique pour laquelle l�homme constitue la valeur supr�me, est parti en tant que mouvement intellectuel de la Renaissance.

Ses animateurs, � l�instar de P�trarque, Ficin, Pic de la Mirandole et Erasme, trouvaient dans les textes antiques les fondements d�une nouvelle vision de la soci�t� d�barrass�e des scories de l�obscurantisme sous toutes ses formes.

Comme plus tard les penseurs du si�cle des lumi�res, les pr�curseurs de la doctrine humaniste ont pris des risques. Au prix de leur libert� ou de leur vie, ils ont brav� des tabous, remis en cause des v�rit�s toutes faites, bouscul� des habitudes, y compris celles de la vie politique.

Ainsi, osaient-ils rappeler au Prince, personne centrale de l�ordre �tatique, ses devoirs envers Dieu, ses sujets et lui-m�me.

Voici par exemple ce que disait Erasme dans son Ecrit intitul� � L�Institution du Prince Chr�tien � (1515) : � Le tyran administre son Etat par la violence, par la ruse et par les moyens les plus perfides�Le vrai roi s�inspire de la sagesse, de

la raison, de la bienfaisance�Le tyran agit de son mieux pour que les biens de son peuple passent entre les mains d�un petit nombre de privil�gi�s, qui sont habituellement les plus vils sujets de son Etat�Le bon roi pense au contraire que la richesse des citoyens est seule de nature � assurer sa propre richesse. Le premier (c'est-�-dire le tyran) fait en sorte de tout maintenir sous sa d�pendance autant par les lois que par les d�lations.

Le bon roi trouve toujours du charme dans la libert� des citoyens.

L�un (le tyran) a, pour la conservation de sa personne, des gardes de mercenaires et de brigands ; l�autre (le bon roi) pense que sa bienveillance envers les citoyens et ce m�me sentiment � son �gard chez ses sujets suffisent � sa sauvegarde �.

Cinq si�cles apr�s, � l��re de l�Etat moderne, la port�e ethique de cette vision d�Erasme est plus pertinente que jamais.

N�y voit-on pas Mesdames et Messieurs, les pr�misses de la d�mocratie participative, de la justice sociale et de la bonne gouvernance ?

En ce d�but du 3�me mill�naire, ces id�aux continuent de nourrir le r�ve de millions d�hommes et de femmes � travers le monde.

Il s�y ajoute que nous vivons dans une �poque de turbulences aliment�es par des p�rils de tout genre : l�extr�misme, l�ignorance, le m�pris culturel, l�instinct de domination, le repli identitaire et j�en passe�

Alors que le souvenir des deux Guerres Mondiales reste encore vivace dans nos esprits, voil� que, par des constructions th�oriques fantaisistes, l�on nous sert une vision apocalyptique du futur de l�humanit� � travers � le choc des civilisations �.

Sur cette doctrine sans fondement, permettez-moi de r�it�rer ici la position que j�avais exprim�e devant l�Internationale Lib�rale en Mars 2003 dans une communication intitul�e l�Islam et l�Occident : le point de vue lib�ral : � la th�orie du choc des civilisations n�est rien d�autre qu�un anti-humanisme rev�tu d�un manteau intellectuel mais aussi peu fond�e que les r�actions primaires dans le m�me sens. Il n�y a pas de choc des civilisations. Il ne doit pas y avoir de choc des civilisations si les intellectuels musulmans refusent que de faux d�vots, politiciens d�guis�s en pr�cheurs, nous imposent une vue biais�e de notre religion, en nous contournant par la p�riph�rie de la frange la plus pauvre de nos soci�t�s �.

Mesdames et Messieurs, le courage d�un nouvel humanisme r�side, � mon sens, dans notre capacit� de refuser la logique de l�affrontement et du fait accompli.

La guerre, le terrorisme, la violence physique ou morale, le rejet de l�autre, prennent naissance dans l�esprit des hommes.

Et selon la formule heureuse de la Charte de l�UNESCO, � c�est dans l�esprit des hommes que doivent �tre �rig�es les d�fenses de la paix �.

Il urge alors de mener le combat intellectuel contre ceux qui nous promettent l�enfer sur terre. Au choc des civilisations, opposons la culture de la paix et le dialogue des civilisations.

Faisons face � l�obscurantisme par une lecture �clair�e des Livres Saints et l�enseignement des valeurs universelles.

Ce combat n�cessite d�abord un effort sur soi � travers une saine auto-critique. Il exige ensuite de vaincre la peur de l�autre par une volont� sinc�re de dialogue dans la tol�rance et le respect mutuel. Il suppose enfin que chacun de nous ait le courage de se lib�rer des pr�jug�s et autres pesanteurs subjectives qui fondent chaque soci�t� � pr�tendre qu�elle incarne le meilleur de l�homme.

Mesdames et Messieurs,

Il y a dans l��volution r�cente des relations internationales des signes encourageants : on peut citer, s�agissant des droits humains fondamentaux, la tendance vers l�abolition de la peine de mort, sanction exclue de la nomenclature des peines de la Cour P�nale Internationale et des Tribunaux ad hoc comme celui sur l�ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Le S�n�gal s�inscrit dans ce courant abolitionniste avec le projet de loi que nous avons pr�par� pour supprimer la peine capitale.

Le droit ou le devoir d�ing�rence humanitaire rel�ve �galement de ce nouvel humanisme. Il reste qu�� ce jour, l�application de cette doctrine ob�it � une � g�om�trie variable �.

Ceux qui ont les moyens de le faire interviennent souvent au gr� des circonstances et suivant leurs propres int�r�ts g�o-strat�giques.

Certaines violations massives des droits de l�homme sont d�nonc�es voire sanctionn�es alors que d�autres sont perp�tr�es quotidiennement dans l�indiff�rence totale.

Pourtant, la r�gle admise par les Nations Unies est claire : les droits humains fondamentaux se d�clinent en termes d�universalit�, d�indivisibilit� et de non s�lectivit�.

Sur cet aspect particulier des relations humaines, le chemin � parcourir est encore long pour que la r�alit� des choses corresponde � la g�n�rosit� qui sous-tend l�id�al.

S�agissant plus particuli�rement de la coexistence pacifique des religions, ma conviction profonde est que nous devons, et nous pouvons faire plus pour vaincre les pr�jug�s de tout bord.

Je disais en Mai dernier au sortir d�une audience avec Sa Saintet� le Pape Jean Paul II, �qu�en cette p�riode d��volution de l�humanit�, il y a un vrai probl�me de dialogue entre musulmans et chr�tiens�.

C�est pourquoi j�ai pris l�initiative, de concert avec l�UNESCO, avec la b�n�diction de Sa Saintet� et les pri�res des plus grands dignitaires de l�Islam, de convoquer � Dakar, les 5 et 6 d�cembre 2005, une Conf�rence internationale sur le dialogue islamo-chr�tien.

Je sais que la Communaut� de Sant�Egidio, fid�le � son engagement au service de la paix, sera � nos c�t�s pour maintenir vivant l�espoir d�un monde o� les peuples et les Nations cohabitent en harmonie dans le respect de leurs diversit�s.

Dans son best seller intitul� � More in common than you think, the Bridge between Islam and Christianity�, l�Am�ricain William Baker, fondateur de Christians and Muslims for Peace (CAMP) �tablit, apr�s plus de vingt cinq ans de recherches, un parall�lisme saisissant sur ce que la Bible et le Coran ont de commun.

Il conclut sur le souhait que ce si�cle soit celui de la coalition et non de la collision entre l�Islam et le Christianisme.

Je voudrais �tre optimiste quant � la r�alisation de ce voeu et prier avec vous, Mesdames et Messieurs, hommes et femmes de bonne volont�, pour que Dieu, le Guide Supr�me, �claire de Sa Lumi�re Divine notre chemin dans la qu�te d�un monde meilleur et plus accueillant pour tous.

Je vous remercie de votre aimable attention.