stellv. Generaldirektorin der UNESCO, Frankreich
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Monseigneur,
Excellences,
Mesdames,
Messieurs,
La célébration qui nous rassemble se rapporte à un fondement primordial, à savoir la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont il est juste de réaffirmer toute l’importance à l’occasion de cette rencontre, en soulignant que cette avancée décisive ne peut non plus considérée comme un acquis définitif. Nous devons à la fois nous souvenir qu’il s’agissait d’un aboutissement, tributaire par conséquent d’une longue histoire, et mesurer à quel point cet accomplissement est exposé aux injures du temps.
Ce texte a été confié aux générations à venir, et la nôtre est la première d’entre elles à en assumer la responsabilité. Il nous faut, pour lui garder toute sa portée, à la fois maintenir vivante la réflexion sur les conditions qui ont amené son adoption, et défendre activement tant sa lettre que son esprit contre les tentatives et tentations d’en adultérer le sens, ou d’y opposer des acceptions contraires de la condition humaine.
Cette œuvre est essentielle à la capacité de survie de l’humanité, à présent qu’elle passe d’une structure par juxtaposition à une consistance continue d’échelle planétaire. Une telle humanité mondialisée ne peut échapper à la faillite généralisée que dans la stricte mesure où elle se fonde sur les droits de l’homme.
C’est dans cette perspective que je voudrais interroger ici l’antériorité de l’Acte constitutif de l’UNESCO par rapport à la Déclaration universelle de 1948.
Adopté le 16 novembre 1945, à la veille même du Procès de Nuremberg, l’Acte constitutif de l’UNESCO est en effet imprégné d’une logique et d’une espérance qui me semblent aller au-delà même des droits de l’homme. Se fondant sur « l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine », ce texte encadre en quelque sorte la notion de droits de l’homme. Plus haut qu’elle, il place un « idéal de dignité » ; plus proche qu’elle de la matérialité, il s’adresse à la personne humaine ; enfin, plutôt que des droits normatifs, il propose une méthode fondée sur la démocratie et le respect, c'est-à-dire des manières concrètes de s’organiser et de se comporter.
L’objectif qui est visé, « la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité », dépasse l’affirmation de droits, et sonne comme un appel à un processus dynamique collectif, producteur d’un bien commun.
En somme, cet Acte constitutif, inspiré des mêmes idéaux « de paix universelle et de prospérité commune de l’humanité, en vue desquels l’organisation des Nations Unies a été créée », qui sont à la racine de la Déclaration universelle des droits de l’homme, met l’accent sur des dimensions peut être plus amples et plus concrètes.
Il s’adresse à la personne, dans sa plénitude d’être vivant et non simplement de sujet de droit. C’est là-dessus que se fonde le primat de la culture et de l’éducation comme moyens de favoriser un progrès vers la paix, progrès explicitement confié au mouvement des peuples, autrement dit de collectivités.
Enfin, l’entité qui est visée est bien l’humanité, c'est-à-dire une communauté. L’accent est mis sur le mouvement, non sur le statut. Enfin, si tout cela est qualifié de « devoir sacré » des Etats, l’agent actif sur lequel sont placés tous les espoirs, c’est la relation entre les hommes, et non chacun d’eux.
Le temps manque pour approfondir la dimension d’humanité que ce texte introduit, et qui me semble organiser un effort si j’ose dire enveloppant par rapport à la simple affirmation des droits de l’homme.
Je m’en tiendrai simplement à rappeler l’apport significatif que l’UNESCO naissante apporta à la conception de la Déclaration de 1948. A l’initiative du Directeur Général de l’époque, Julian Huxley, une soixantaine de personnalités parmi lesquelles je relève le Mahatma Gandhi, Salvador de Madariaga, Benedetto Croce, Emmanuel Mounier, Chung Shu Lo, etc. furent consultés en 1947. Leurs contributions donnèrent lieu à un séminaire du 26 juin au 2 juillet 1947, dont les conclusions furent transmises aux équipes travaillant au projet de déclaration.
La lecture de ces contributions, émouvante, passionnante, révèle avec le recul un trait singulier : pratiquement tous leurs auteurs insistent sur les contreparties collectives qu’ils jugent nécessaires au plein exercice des droits individuels.
Les temps qui s’annoncent devraient nous en faire ressouvenir. Tandis que la nécessité de proclamer sans cesse, défendre toujours, affirmer inlassablement dans les faits les droits de l’homme demeure une quasi urgence dans le monde où nous vivons, notre appartenance nouvelle à une humanité coextensive à la terre entière invite à mûrir peu à peu, mais toujours davantage, l’idée de devoirs collectifs que nous avons les uns envers les autres.
Ces devoirs - et je laisserai cette idée en suspens pour nos réflexions à venir - ne sont pas posés d’avance par quelque instance que ce soit, et surtout pas par celles qui les brandissent en contradiction des droits de l’homme en tant que droits individuels.
Ils sont au contraire l’effet du plein développement des droits de l’homme, en ce sens que la plénitude de la dignité humaine comporte nécessairement la relation à l’autre, et donc le souci du bien commun.
Cet élan vers la dimension de fraternité inscrite au plus profond des droits de la personne humaine est en dernière analyse profondément naturel, et tout le pari de l’Acte constitutif de l’UNESCO est de faire fond sur cette nature là : l’éducation, la culture, la communication, la libre recherche de la vérité, n’ont certes pas l’ambition d’en implanter le germe, mais d’en favoriser la germination.
Méditant la phrase emblématique de l’idéal de l’UNESCO « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix », nous y trouvons deux notions majeures, qui méritent d’être placées aux côtés des droits de l’homme.
La première est que l’idéal n’est pas à proclamer comme un droit ni à imposer comme un devoir, mais à faire advenir, par la libre recherche de la vérité par l’esprit des hommes (et non par la vertu des seuls droits de l’Homme), par leur libre entendement.
La seconde est que les défenses de la paix sont déjà là, dans l’esprit des hommes, de tous les hommes et les femmes tels qu’ils sont, et qu’il suffit de leur permettre de s’y élever, d’y lever comme fait le pain sous l’effet de la levure, pour qu’un progrès décisif s’accomplisse, par delà le droit et les normes, dans l’ordre de la vie, du respect et de la solidarité humaine.
En somme, l’invitation à nous pencher sur les conditions du dialogue entre cultures, religions, sociétés, conduit presque nécessairement à nous interroger sur les capacités des individus, membres de ces sociétés, fidèles de ces religions, héritiers de ces cultures, à s’entretenir entre eux.
Je choisis à dessein ce mot « s’entretenir », parce qu’il évoque l’idée d’entretien, c'est-à-dire un peu plus qu’un dialogue, un peu moins qu’un débat ou une discussion, une conversation. Mais il veut aussi dire cette attention régulière portée à maintenir en bon état quelque chose, à l’entretenir, à le conserver au mieux de sa forme.
Conversation, conservation, les deux mots se répondent en miroir, mais je leur préfère celui d’entretien, pour mettre en exergue l’idée sur laquelle je voudrais m’arrêter, à savoir que la clé de notre problématique est de tout miser sur la relation entre les hommes, individus indissolublement ancrés dans des cultures, des histoires, des passés et des rêves d’avenir, des hommes et des femmes dont la singularité est par nature faite du croisement toujours renouvelé d’appartenances multiples et de destins nouveaux.
Nous devons trouver dans la personne humaine, dans chaque homme, chaque femme, le ressort de cette propension à la paix qui nous anime, ou plutôt c’est à eux de le forger à la faveur de leurs entretiens. Favoriser ces entretiens est donc la méthode propice au but poursuivi, et tel est bien le rôle de l’éducation, de la science, de la communication, de la culture.
Entretenir la culture, les cultures, c’est engendrer une culture de l’entretien, des entretiens.
Et, s’il fallait conclure un propos qui au contraire a pour espoir d’ouvrir à un échange créatif, je suggèrerais que nous passions du concept de culture de la paix, qui peut être entendue, fût-ce à tort, comme le fait de cultiver une variété particulière de notion appelée paix, au concept de culture pour la paix, qui a l’avantage de suggérer fortement que si vis pacem, cole culturam ! Si tu veux la Paix, investis dans la culture !
Je vous remercie.
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