Kardinal, Präsident der zentralafrikanischen Bischofskonferenz
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Je suis reconnaissant aux responsables de Sant'Egidio qui ont bien voulu m’associer à cette rencontre, et surtout pour le devoir exaltant qu’ils m’ont confié en me demandant de faire une présentation sur le thème "Faire la paix" De prime abord cette affirmation parait évidente surtout pour nous qui, à la suite de Jésus-Christ, croyons, prêchons et témoignons de la Paix. Avec conviction et détermination, nous disons non à la guerre sous toutes ses formes parce qu’elle est, quelle que soit sa justification, une atteinte à la vie, une violation du sixième commandement qui, avec fermeté et sans aucune restriction, interdit de donner la mort à son prochain : Tu ne tueras point !
Le caractère sacré de toute vie et l’exigence de respecter la dignité de toute personnes, chacun étant une image de Dieu, nous impose de prendre à notre compte cette affirmation du pape Benoît XV citée par sa Sainteté le Pape Francois ; « En définitive toute guerre est un massacre inutile ». Mais alors, comment comprendre des notions comme celles de guerre juste qui trouve parfois des défenseurs au sein de notre Eglise ? Ne faudrait-il pas, dans des situations où visiblement sont en péril la justice, les droits fondamentaux y compris celui même de vivre, encourager le recours à la force et aux armes pour restaurer l’ordre ?
Toutes ces questions se sont posées à nous face à la situation criarde de notre pays qui, depuis 2013, peine à sortir d’un cycle de violence meurtrière du fait de la révolte des Seleka qui s’en est suivi de la contre-offensive des Anti-Balaka. En effet, devant la barbarie de ces deux groupes, la tentation était grande de prier pour qu’une tempête de feu s’abatte sur eux, pour qu’une autre force naisse pour les combattre. Mais au contraire, nous avons, avec des pasteurs et des Imams, pris notre bâton de pèlerin pour aller, sans fusil et sans machettes, appelé à la paix, parce que nous restions et restons convaincus que la guerre sème la désolation et n’apporte aucune solution viable à nos questions existentielles. Cette conviction se fonde sur :
• L’illusion des guerres salvatrices dans l’histoire de notre peuple;
• L’actualité de notre pays empêtré dans un cycle infernal de violence ;
• Notre totale adhésion au dialogue comme véritablement chemin de la paix.
Eminence, Excellences, chers frères et sœurs, je vais essayer d’illustrer chacun de ces trois piliers en commentant le message de sa Sainteté le Pape Francois que je viens de citer et en l’illustrant à partir de l’expérience de notre pays.
1. L’illusion des guerres salvatrices dans l’histoire de notre peuple.
Cette illusion est entretenue dans notre pays depuis les années de son indépendance Vous vous souviendrez que depuis 1960, la République Centrafricaine a connu une succession de coups d’Etat. Chaque groupe qui se révoltait prenait pour prétexte la misère du peuple, les injustices et la mauvaise gestion des ressources. Chacun promettait un paradis au lendemain de son accession au pouvoir et recourait à la force pour s’imposer. Les raisons de leur révolte étaient à chaque fois compréhensible et l’on pourrait reconnaitre que leur guerre était juste, surtout s’il fallait s’en tenir á leurs causes apparentes qui semblent souvent légitimes.
Mais il y’a toujours disproportion entre les moyens et la fin car toute guerre sacrifie la vie qu’elle prétend sauvée. En plus, les nouveaux vainqueurs s’engagent le plus souvent à une course aux sorciers qui cultive la rancœur et nourrit le sentiment de vengeance. Dans le cas de notre pays nous n’avons mémoire d’aucune transformation sociale allant dans le sens de l’amélioration des conditions d’existence et des rapports humains issue des multiples conflits armés qui ont jalonnés notre histoire. A contrario, chacun de ces conflits violents est venu avec son cohorte de massacres. Chacune a engendré la désolation dans la plupart des familles. Alors qu’une infirme minorité tirait parti du chao, la grande majorité de la population continuait à croupir dans une misère qui est allée croissante au point de faire de la RCA le 4e pays le plus pauvre de la planète en dépit de nombreuses ressources naturelles dont nous regorgeons.
De par l’histoire tumultueuse de notre pays, nous sommes en droit de dire comme le Pape Francois que « La guerre n’est jamais un moyen satisfaisant pour réparer les injustices et atteindre des solutions équilibrées aux désaccords politiques et sociaux ». C’est toujours une illusion que de fonder son espoir sur la guerre, même si elle apparait parfois comme un recours légitime pour ceux dont les droits et la dignité sont violés. Nul ne sort vainqueur de la guerre. Elle est toujours un feu qui brule et consume l’humain tant chez l’offenseur que la victime. et dont les braises restent ardentes pendant très longtemps. La crise fratricide en cours dans notre pays s’enracine dans les spirales de violences structurelles et militaro-politiques que nous avons vécues et renforce en nous la conviction de la vacuité de toute guerre.
2. L’actualité de notre pays empêtré dans un cycle infernal de violence.
Permettez-moi d’introduire cet argument par une reconnaissance qui peut paraitre en contradiction avec notre conviction. Avec mes pairs de la Plateforme des confessions religieuse en Centrafrique, nous avons contribué au plaidoyer en faveur de l’envoi d’une force des nations Unies pour stabiliser notre pays. Cette force est arrivée et a fortement contribué à la transition et à l’accalmie qui a donné d’organiser des élections acceptables, ouvrant ainsi des opportunités pour de nouvelles institutions et l’espoir d’un retour à la paix. Seulement, force est de constater qu’en dépit de leur puissance militaire et logistique, la paix n’est pas encore de retour dans notre pays.
Défiant toute autorité, des groupes armés qui se ramifient au jour le jour continuent de semer l’insécurité sur une partie de notre territoire. Les braises de la guerre restent encore très ardentes dans notre pays et flambent de temps en temps dans certaines localités, augmentant le nombre de morts, de blessés, de déplacés internes et externes. Or que ce soit les Seleka ou les Anti-Balaka, consciemment ou inconsciemment, ils nous ont menti en faisant croire que par la puissance de leurs armes accompagnée de quelques fétiches, ils allaient rétablir l’ordre et la justice. Ils ont plutôt semé une très mauvaise graine qu’il devient difficile d’arracher du cœur des hommes et des femmes meurtris par la violence de la guerre. Aussi pouvons-nous dire encore à la suite du Pape Francois que : « La guerre entraîne les peuples dans une spirale de violence qui s’avère difficile à contrôler par la suite ; elle démolit ce que des générations ont pris peine à construire et prépare la route à des injustices et à des conflits qui sont encore pires.».
Eminence, Excellences, chers frères et sœurs, reconnaissons avec lucidité que les conflits sont permanents et inhérents à l’existence. Ils ne dégénèrent en violence que lorsqu’ils sont abordés négativement. Or la guerre est le sommet de la négation parce qu’elle s’attaque à l’essentiel de l’être qu’est la vie et défie le Créateur par la destruction de sa créature que nous sommes, que sont nos semblables et tous les autres êtres de la nature. Elle est à éviter autant que possible et notre action de pasteurs et de chrétiens nous appelle non à préparer la guerre pour s’assurer de la Paix, mais à travailler pour la Justice qui balise le chemin de la paix comme nous le recommandait Sa Sainteté le Pape Paul VI : « «Si tu veux la paix, agis pour la Justice ». Et si en dépit de nos efforts, la bêtise humaine débouche quand même à la violence que faut-il faire ?
3. Du dialogue comme véritable chemin vers la paix
« La guerre n’est jamais nécessaire, ni inévitable. On peut toujours trouver une alternative : c’est la voie du dialogue, de la rencontre et de la recherche sincère de la vérité » nous dit encore Sa sainteté le Pape Francois. C’est vrai et nous l’expérimentons en République Centrafricaine à travers la Plateforme des confessions religieuse. Dans le contexte tumultueux de crise engendrée par le conflit violent de 2013, les relations entre chrétiens et musulmans s’étaient profondément détériorées. A Bangui comme dans la plupart des principales localités de notre pays, la haine avait divisé les quartiers selon la prédominance des adeptes de telle ou telle religion. Il devenait alors très périlleux de s’aventurer dans la zone dite ennemie. Dans cet environnement oh combien risquant, avec le président de l'Alliance évangélique, le pasteur Nicolas Guérékoyaméné-Gbangou et le Président du Conseil islamique centrafricain, l'imam Oumar Kobine Layama, nous avons pris l’initiative de créer une plateforme interreligieuse. Notre objectif était de maintenir allumée la flamme de l’amour et l’espoir d’une cohabitation fraternelle par la parole et le témoignage du dialogue entre les principales communautés de foi.
Sans fusil et sans machettes nous sommes allés au-devant des belligérants dénonçant les violences et les exactions d’où qu’elles viennent et les invitant à tourner le dos au mal et à s’ouvrir à l’acceptation mutuelle. Ensemble, nous avons sensibilisé nos communautés à la nécessité de la cohabitation pacifique et initié des formations interreligieuses pour la cohésion sociale. Nous nous sommes déplacés sans répit à travers le pays, y compris dans les villages les plus reculés pour sensibiliser les communautés et promouvoir la paix, le respect et la confiance mutuels. Nous avons transcendé nos différences religieuses pour essayer d’améliorer notre environnement sociopolitique et culturel en appelant les acteurs militaro-politiques au dialogue, en plaidant auprès de la communauté internationale pour qu’elle nous aide à créer des espaces de concertations entre frères et sœurs Centrafricains.
L’écho de nos messages et de notre témoignage à renforcer notre foi dans la force et la puissance du dialogue lorsqu’il est porté dans la vérité. Au cœur des affrontements violents et des prises d’otage, nous avons, par la seule parole, dénouer certaines situations qui étaient restée sans issu en dépit de toutes les injonctions et les menaces d’utilisation de la force. Aujourd’hui, quand nous portons un regard rétrospectif sur le processus de paix dans notre pays, nous nous rendons compte que nous n’avons eu un peu d’accalmie qu’à l’occasion des initiatives favorables au dialogue. Nous pensons au forum de Bangui qui a donné l’espoir d’un lendemain meilleur, à la préparation participative et à l’organisation concertée des élections, à l’ouverture aux différents courants politiques pendant la mise en place des nouvelles institutions du pays. Nous croyons fermement que le dialogue non seulement interreligieux, mais aussi interculturel et entre les différentes forces vives de notre pays, y compris ceux qui mettent à leur solde des groupes armés, peut davantage nous aider à sortir de la crise et à amorcer notre développement que la guerre.
En guise de conclusion
Nous affirmons avec force qu’il importe de stopper la violence et de restaurer la dignité de tous et de chacun sans recourir aux moyens de l’oppresseur au premier rang desquels se trouve la guerre. Celle-ci est une source de désolation qui, par la culture de la haine et du sentiment de vengeance, engendre une spirale sans fin de la violence. Cette spirale ne s’arrête véritablement que lorsque les hommes décident à redevenir humain en posant les armes et en collaborant dans la recherche des solutions idoines aux conflits qui, somme toute, sont inhérents à notre existence. Au-delà de la Centrafrique, l’actualité des massacres du fait des oppositions violentes entre les extrémistes religieux, politiques et/ou culturels témoigne de la vacuité de la guerre. La volonté de puissance renforce l’industrie militaire sous prétexte d’assurer notre sécurité, mais plus les armes de guerre se sophistiquent, plus sont menacé l’humain et la vie. Les principales guerres et révolutions qui ont marqué l’histoire n’ont connu de véritable trêve qu’à travers la signature des traités, fruits de la concertation et du dialogue quand bien même ils expriment davantage la volonté du vainqueur.
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