Pour le P. Muhannad Al Tawil, l’appel du pape à jeûner et
prier samedi 7 septembre « pour la paix en Syrie, au Moyen-Orient et dans le monde » revêt une signification toute particulière. Irakien d’origine, ce dominicain, curé de la paroisse chaldéenne à Vaulx-en-Velin (Rhône), est bien décidé à participer à l’une des multiples propositions lancées par le diocèse, comme cette prière prévue dans la nouvelle église Saint-Thomas, à Vaulx-en-Velin, au cours de laquelle le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, bénira les icônes d’Alep (Syrie) choisies pour en orner les murs… « Nous formerons une seule grande famille avec nos frères syriens », veut croire le P. Muhannad.
Alors que les rumeurs d’une intervention militaire se font plus pressantes, le cri du pape François, dimanche 1er septembre, place Saint-Pierre, devrait résonner demain dans bien des paroisses et des communautés. «
La guerre appelle la guerre, la violence appelle la violence », a-t-il rappelé aux puissances occidentales, les invitant à promouvoir plutôt et « sans plus d’hésitation, des initiatives claires (…) basées sur le dialogue et la négociation ». Mais c’est aussi l’ensemble des chrétiens, des croyants et des non-croyants que le pape a interpellés, les invitant, par le
jeûne et la prière, à former « une chaîne qui unisse toutes les femmes et les hommes de bonne volonté » pour « que le cri de la paix s’élève pour arriver au cœur de tous »… Il a lui-même annoncé qu’il se recueillerait de 19 heures à minuit place Saint-Pierre.
« Jeûner, c’est abandonner une force, une énergie vitale, se dépouiller d’une force personnelle, pour accueillir une force donnée par Dieu »
Le jeûne a, bien sûr, un sens particulier pour les croyants. « Jeûner, c’est abandonner une force, une énergie vitale (la nourriture), se dépouiller d’une force personnelle, pour accueillir une force donnée par Dieu, rappelle la déléguée nationale du mouvement Pax Christi, Catherine Billet. C’est
prier avec son corps, incarner la foi et l’espérance, donner de soi, s’engager. »
Il est souvent associé à la pénitence, à la conversion, rappelle le P. Muhannad, qui, comme l’ensemble des chaldéens, commémore chaque année, une dizaine de jours avant le
Carême, le « jeûne de Ninive » que le
prophète Jonas a prêché aux habitants de cette ville (actuellement en Irak) comme prélude à leur « retour vers Dieu ». « C’est un moyen de faire mémoire qu’en chacun de nous il existe des murs de discorde, de haine que nous avons à faire tomber », appuie le P. Jean-Luc Souveton, prêtre du diocèse de Saint-Étienne et fervent adepte de cette pratique. Aux yeux de cet organisateur des assises chrétiennes du jeûne, chacun est appelé par cet acte très concret « à réveiller son goût pour la paix », à le cultiver « en lui et autour de lui ». « Et dans l’espérance chrétienne, nous croyons que la paix progressera aussi ailleurs », conclut le P. Souveton.
Le jeûne traduit « une certaine impuissance dans une société très matérialiste, et individualiste »
Cet été, à l’appel du P. Paolo Dall’Oglio, fondateur de la communauté Al-Khalil en Syrie, Sophie a jeûné au moins un jour par semaine pendant le Ramadan « pour la paix en Syrie ». « Pour moi, cette pratique est en elle-même une forme de prière, une demande insistante pour que vienne la paix, avec peut-être aussi l’espoir que cela apportera un peu de réconfort quelque part », témoigne la jeune femme. Elle qui jeûne régulièrement depuis le 11 septembre 2001, avec cette même intention, a été particulièrement sensible au fait que « le pape et le P. Dall’Oglio redonnent une place » à cette pratique dont elle a apprécié « la beauté » à Alep, où elle a vécu quelques années.
Le geste n’est-il pas dérisoire au regard des innombrables victimes de ce conflit qui ensanglante la Syrie depuis près de deux ans ? Ceux qui ont prévu de s’y associer ne le contestent pas, mais reconnaissent au contraire qu’il traduit « une certaine impuissance dans une société très matérialiste, et individualiste », comme le souligne la déléguée nationale de Pax Christi : « Et ce serait oublier qu’il a aussi une portée universelle, puisqu’il est une manière par le corps et l’esprit d’être avec l’autre, de rentrer en compassion avec ceux qui souffrent. » D’où aussi le lien étroit que le jeûne entretient avec la prière, qui « est parfois la seule aumône qui nous reste, la seule manière d’être dans la charité avec l’autre », rappelle Jean-Luc Souveton : « Par là, nous reconnaissons que le problème nous dépasse, et nous disons à la fois notre désir d’y prendre notre part, mais aussi notre appel à plus grand que nous pour que la paix advienne. »
« Les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevés les défenses de la paix »
Nul doute que tous les croyants pourront se retrouver dans cet appel. « Par son aspect très concret et pacifique », la responsable en France de la communauté de Sant’Egidio, Valérie Régnier, est convaincue qu’il « rejoindra énormément de monde ». « Particulièrement les musulmans », rappelle-t-elle, pour qui jeûner et prier sont deux piliers de l’islam, et comme en témoigne le souhait du grand mufti de Damas de se joindre à cette journée. Professeur de langue et civilisation arabo-musulmane à la Grande Mosquée de Lyon, Bariza Yahia reconnaît avoir été séduite par l’initiative, découverte grâce au journal télévisé : « J’aime bien l’idée que les croyants des trois religions, et même tout le monde, soit invité à participer au même moment et à invoquer Dieu pour que la paix vienne. »
Si les croyants poseront là un geste de foi, signe de leur conviction d’une « efficacité de la prière », qu’en est-il pour les non-croyants à qui le pape s’est également adressé ? Coprésident du Mouvement pour la paix, participant régulier aux cercles de silence et à des journées de jeûne pour le désarmement nucléaire, Michel Dolot a été touché par cet appel et prévoit de s’y associer à sa manière. « Je crois que la
communion d’esprit quand on jeûne et qu’on se recueille ensemble a un sens, et donc du poids », argumente celui qui a fait sienne la devise de l’Unesco : « Les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevés les défenses de la paix. » La déléguée nationale de Pax Christi, Catherine Billet, ne voit là qu’un apparent « paradoxe » : « Face au mal et à la souffrance, tout homme a un cri et veut croire que tout est possible, avance-t-elle. Je crois que l’on peut alors parler de la prière du non-croyant qui ne sait pas vers qui il crie. Dans la chaîne de fraternité humaine, il appartient au croyant de recueillir ce cri, pour l’adresser à Dieu. »
Anne-Bénédicte HOFFNER et MARTINE de SAUTO