Mario Giro vient de se voir attribuer à Paris, le 5 novembre dernier, le Prix de la Fondation Chirac pour la prévention des conflits.
Je l'ai aperçu pour la première fois un soir de 1994 dans ce très ancien quartier de Rome, le Trastevere. C'est là, à l'ombre de la basilique Santa Maria in Trastevere, que la communauté de Sant'Egidio a ses quartiers. Chaque soir, ils sont plusieurs centaines à s'y retrouver pour échanger et prier. Mario avait quatorze ans quand il a rejoint la communauté devenue depuis 1968 un vrai réseau mondial d'acteurs de paix au quotidien. Une longue et belle histoire, née de la décision de quelques lycéens et de leur chef de file Andrea Riccardi de faire leur révolution à partir des deux clés majeures de l'Evangile : la prière quotidienne et le service des pauvres.
Ce soir-là donc, j'ai participé à un événement majeur : la signature d'un accord de paix entre le gouvernement du Mozambique et les rebelles de ce pays après trois ans de négociations secrètes dans les locaux de la communauté. Majeur, l'événement allait également être fondateur pour Mario Giro et sa discrète épouse Paola. Un couple allait vivre désormais au rythme incessant des allers et retours entre Rome, le continent africain et l'Europe. C'est la négociation d'Arusha, puis la résolution de la crise au Burundi en 1996. Ce sont les travaux de préparation du pacte pour le futur de l'Albanie en 1997 et la médiation pour le Kosovo en 1998. C'est la longue crise ivoirienne aussi... En parallèle, voici Mario aussi au Libéria, pays dangereux s'il en est, au Darfour où la situation n'est pas plus brillante, en Ouganda... Vient enfin la toute nouvelle victoire de Mario et celle de sa communauté : l'enregistrement gratuit à l'état civil, en 2011, de cent pour cent des enfants du Burkina Faso contre soixante trois pour cent en 2008 suite à l'opération “Tous contre l'oubli”.

Jean-Claude Petit, journaliste et écrivain, directeur de l'hebdomadaire La Vie de 1988 à 2003, auteur de Dieu a-t-il un avenir ? aux Editions Calmann Lévy et en juin 2010. Il est le président fondateur du Réseau Chrétiens de la Méditerranée.
 
Ce qui pousse Mario dans le don tourbillonnant de son existence, il l'a dit lui-même le 5 novembre devant les grands de ce monde réunis autour de Jacques Chirac et de Simone Veil : « Au cours du temps, le service de la paix est devenu pour moi une passion nourrie de sympathie pour l'humain et son avenir (…) Cette quête, souvent, a été considérée comme naïve et idéaliste. Elle est, en revanche, humaine. L'idée résignée qui prévaut aujourd'hui est que la guerre sera toujours la triste compagne de la vie de l'homme : devant elle nous serions impuissants ! Mais la guerre ne peut pas être simplement considérée comme un passage de l'Histoire. La guerre marque le déclin des peuples. Après une guerre, un homme, une femme, un peuple ne sont plus ce qu'ils étaient. La guerre corrompt, endommage, détériore l'âme d'une nation, arrache de l'esprit humain ce qui caractérise son humanité : la volonté d'espoir et le désir d'avenir. »
On ne peut pas comprendre Mario Giro sans percevoir un tant soit peu de cette passion pour l'humain. Soit mais il en faut plus encore pour être négociateur, médiateur, diplomate, que sais-je encore, et pour amener à se parler d'irréductibles adversaires. « La méthode de Mario, explique Michel Camdessus (ancien Président du Fonds monétaire international) qui le connaît bien, s'appuie simplement sur la force de l'écoute patiente, du respect et de l'amitié offerte à tous. Une diplomatie de la “force faible” capable de désembourber des négociations sans espoir, de ramener au dialogue ceux qui avaient juré de s'ignorer… enfin de s'effacer dès que l'action des gouvernements ou des organisations internationales peut se déployer ». Mario d'ailleurs le confirme avec lucidité tout en allant plus loin encore : « Certes, il faut de l'expérience, du sens politique, de la connaissance... Il faut aussi sortir de soi-même, abandonner toute vision égocentrique pour apprendre l'art de la rencontre. » Et d'ajouter ce qui est le cœur du cœur de sa démarche « Il s'agit de reconnaître le lien que constitue la même aventure humaine et de reconquérir le sens d'une communauté de destin ».
Nous voilà loin, semble-t-il de l'humble service des pauvres et des exclus qui sont l'essentiel, partout dans le monde, de l'activité de Sant'Egidio. Pas du tout, répond Mario. « L'amitié avec les pauvres, commente-t-il, marque distinctive de la communauté de Sant'Egidio, est cette école à laquelle j'ai appris la relation avec l'autre, l'éloigné, le différent. Servir les derniers est la clé pour arriver à tous. Nul ne peut dire qu'une société qui marginalise, sépare, exclut, est en paix. »
Fort de son Prix de la Fondation Chirac, son visage d'homme de paix porté par d'innombrables affiches dans tout Paris, Mario Giro est devenu un “people” malgré lui. Ou plutôt le “people” de proue de l'immense caravane des chercheurs de paix. A travers lui, je souhaitais évoquer l'actualité autrement avec vous. Voilà qui est fait. Grâce à mon ami Mario. Et peut-être désormais un peu le vôtre.