Il y a dix ans depuis la disparition tragique de Yaguine et Fodé dans le train d'atterrissage de la compagnie aérienne Belge, SABENA. Ces deux jeunes élèves qui fuyaient la pauvreté et la misère pour l’eldorado Européen avaient péri avant d’arriver en Belgique. Cette mémorable mésaventure a été célébrée le lundi 3 août dernier par la communauté de Sant'Egidio pour son 10ème anniversaire.
Voici la déclaration de la Communauté Sant'Egidio à la mémoire de Yaguine et Fodé
«Il y a 10 ans que les corps sans vie de deux jeunes guinéens Yaguine Koïta et Fodé Tounkara furent découverts à Bruxelles en Belgique. Yaguine et Fodé avaient choisi de quitter la Guinée en se cachant dans le train d’atterrissage d’un appareil de la compagnie belge Sabena. Comme beaucoup d’autres jeunes africains, ils ont emprunté le chemin de l’immigration clandestine pour fuire le désespoir. Encore Aujourd’hui, beaucoup continue d’adopter l’immigration clandestine comme solution aux nombreuses questions dramatiques qui résultent de la grande pauvreté de la Guinée.
Une pauvreté qui est en fait provoquée par nous guinéens, une pauvreté matérielle très aggravée par le manque d’idéal pour tous, le manque d’amour. L’immigration clandestine, envisagée comme réponse, continue de conduire notre jeunesse à la mort.
Ce soir, nous-nous sommes donnés rendez-vous pour nous souvenir des hommes et des femmes, des enfants et des jeunes, qui cherchant un refuge plus sécurisant dans ce monde ont rencontré la mort durant leur voyage. Ils ne sont pas peu. Des données fiables révèlent que, dans les quatre premiers mois de l’année 2009, 339 personnes ont trouvé la mort dans le canal de Sicile. Elles étaient 642 en tout en 2008 à mourir. Depuis 1988 le nombre de morts recensés par la presse internationale est de 14.661, parmi lesquels on compte 6.327 disparus.
Quelle douleur, quelle souffrance. A l’échelle de toute l’Afrique et du monde, il s’agit de personnes qui ont fait de grands efforts pour sortir de la souffrance, de la misère, de l’oppression de la violence ou de la guerre. Beaucoup d’entre eux sont morts sans qu’une personne chère soit proche pour les aider ou les consoler, sans que personne ne puisse prier pour eux ou leur donner une sépulture digne. Pour avoir une vie meilleure, ils se sont mis à marcher mais durant leur voyage long et terrible ils ont trouvé la mort. Comme Zaher Rezai, un jeune afghan de 13 ans, qui trouva la mort sous les roues du camion sous lequel il s’était caché pour échapper au contrôle du port de Venise (en Italie). Zaher avait écrit cette poésie qui a été retrouvée dans sa poche, il s’adresse à Dieu en ces termes: « J’ai tant navigué, nuit et jour, sur la barque de ton amour, que je finirai par t’aimer ou par mourir noyé. O mon Dieu, quelle douleur resserve le moment de l’attente, mais promets-moi, mon Dieu, que tu ne permettras pas que mon printemps s’achève »…
Combien d’espérance, combien de jeunes voient leur printemps s’éteindre, combien d’hommes et de femmes de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique finissent sur la voix tortueuse. Notre monde en parle peu, les images ne se voient presque pas, nos gouvernements en Afrique n’en parlent pas. Nous croyants, nous élevons notre prière au Seigneur pour ces nombreux morts.
Dix ans sont passés depuis la tragédie de Yaguine et Fodé, certains ont déjà oublié. Mais eux, pour ne pas être oubliés ont laissé au monde une mémoire, un témoignage, un testament. On peut se demander : leur mort a-t-elle été inutile ? Est-ce simplement un épisode de la vie ? Nous disons non ! Yaguine et Fodé sont morts à la suite de l’espérance. Nous disons qu’ils sont des martyres de l’espérance.
On peut se demander encore : N’étaient-ils pas des fous ces deux adolescents? Regardez, l’histoire et les témoignages nous enseignent que dans chaque martyr il y a quelque chose comme une folie : Oui, c’est la « Folie de l’amour ».
Mesdames et Messieurs, chers amis, la question fondamentale aujourd’hui après dix ans est qu’avons-nous fait de leur appel, de leur cri de détresse ? Quelle a été notre réaction face à la lettre de Yaguine et Fodé? Les nouvelles de souffrance continuent de nous parvenir chaque jour. Il s’agit des enfants exploités, ceux utilisés pour la guerre, les enfants non enregistrés à l’état civil et non scolarisés, les jeunes sans travail, les familles sans nourriture etc. Il faut de façon urgente répondre, il faut se réveiller et agir. Comme disent Yaguine et Fodé, je cite : « faire une organisation efficace pour permettre de progresser ». Il faut que la réponse soit forte et profonde, vitale. En m’adressant au monde occidental je dirais, en paraphrasant Mgr Claude Rault, évêque du diocèse de Laghouat-Ghardaïa en Algérie, si vous ne donnez pas aux africains le pouvoir d'accéder au mode de vie auquel ils ont droit ils tenteront de venir chez vous. Et à mes états africains je demande d’assumer nos responsabilités quand bien même nous possédons peu de choses. Rappelons-nous l’épisode de la multiplication des pains. « Cinq pains et deux poissons, qu'est-ce que cela pour tant de monde ? » Beaucoup de besoins pour peu de choses. Mais en mettant à la disposition de tous ce peu, tous seront rassasiés. C'est dans le partage de nos pauvretés que nous pourrons donner une juste satisfaction.
La défense des populations est un devoir prioritaire pour les Etats, comme pour la communauté internationale qui doit aussi intervenir si un pays ne réussit pas à respecter ce devoir.
Pour la communauté de Sant’ Egidio, le premier geste c’est la prière, au cours de laquelle nous présentons au Seigneur cette souffrance de la Guinée et du monde, afin que le seigneur se souvienne de chacun et apporte sa consolation. Nous avons ouvert ici dans ce quartier de Yaguine et de Fodé, une école de la paix appelée « école de la paix Yaguine et Fodé ». Un lieu où nous rappelons la mémoire de ces deux jeunes, un lieux où nous rencontrons les enfants pour leur donner un peu de joie et d’espérance à travers l’instruction et l’éducation civique.
Dans leur lettre, les deux jeunes décrivent une série de difficultés et de souffrances auxquelles sont confrontés les jeunes, les hommes et les femmes.
« Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, nous avons des problèmes et quelques manques au niveau des droits de l'enfant.
Au niveau des problèmes, nous avons la guerre, la maladie, le manque de nourriture, etc. » disent Yaguine et Fodé dans leur lettre. Ces souffrances sont aussi celles des hommes et des femmes que Jésus a rencontrés. Il a eu pitié de tous ces pauvres, tous ces malades et mendiants, tous ces affamés. Ils sont si pauvres qu’ils ont perdu tout espoir et ne savent plus où aller.
Nous avons écouté dans le passage de l’Evangile que le Seigneur invite chaque homme et chaque femme à venir à lui. Ce sont des paroles d’un homme doux et humble, différentes de celles des hommes de ce monde, des paroles sans violences différentes des nôtres, nous qui sommes quelques fois arrogants et violents avec des paroles peureuses et vides d’espérance.
Jésus nous invite pour qu’il soulage chaque joug qui pèse sur nous. Le joug de la jeunesse africaine aujourd’hui c’est le manque de travail. Et, sur les épaules de nombreuses personnes pèse le fardeau de la maladie, de la misère, de l’isolement du désespoir.
Le véritable fardeau qui pèse sur l’homme d’aujourd’hui est le manque de la parole de Dieu, l’absence de Dieu dans sa vie. En réalité ce ne sont pas les problèmes qui nous font le plus souffrir mais le manque de paroles de consolation car les rêves ont disparu, même la morale et la parole de Dieu semblent trop faibles pour être une force et un guide. Face à la douleur que cela provoque chaque jour, le monde est déconcerté, l’on se demande que faire. Les jeunes guinéens, africains se demandent que faire ? Que faire après tant d’années perdues? Que faire face à cette situation de chaumage, de pauvreté? Les peuples entiers perdent des fois l’espoir à tel point qu’on oubli Dieu. Mais Dieu Lui, est toujours avec nous comme il a été avec le peuple d’Israël dans le désert. « Je marcherai moi–même avec toi et je te donnerai du repos (Ex 33,14) ». Dieu n’abandonne personne, il marche toujours avec nous, il se souvient toujours de l’homme, particulièrement l’homme en difficulté. La véritable consolation que cherche
l’homme est auprès de Dieu. Dieu seul peut parfaitement satisfaire l’homme, Lui seul est capable de donner la véritable joie. Le manque de Dieu dans la vie de l’homme lui fait perdre un repère et devient ainsi son propre repère. Quand l’homme s’éloigne de Dieu, il perd le sens de l’amour. Aujourd’hui encore plus que jamais les guinéens dans leur ensemble ont besoin de Dieu, mais Dieu a toujours été présent c’est nous qui ne nous sommes pas aperçu de sa présence et il nous répond comme au riche opulent de l’Evangile « vous avez Moïse et les Prophètes, écoutez les ». Le besoin de notre pays est l’amour du prochain, une vie de vérité, l’idéal pour tous. Rappelons-nous il y a dix ans Yaguine et Fodé sont morts, pour plus d’équité, plus d’éducation, pour plus de droit et de bien être bref pour plus d’amour.
Dieu, souviens-toi de Yaguine Koïta et de Fodé Tounkara dans ton royaume ; souviens-toi de toutes les victimes de l’immigration clandestine et de tous ceux et toutes celles qui sont morts loin de leur famille, parents et amis.Que leurs âmes reposent en paix ! Amen.»
En effet, la Communauté de Sant'Egidio est née à Rome en 1968, au lendemain du Concile Vatican II, à l'initiative d'un lycéen de 18 ans, Andréa RICCARDI, aujourd’hui professeur d’histoire de l’Eglise.
La communauté de Sant’ Egidio est aujourd'hui une association de laïcs auquel participent plus de 60.000 personnes, investies dans l'évangélisation et dans la charité à Rome, en Italie et dans plus de 70 pays des divers continents. En 1986, à l’occasion de la pentecôte, le Saint siège pour sa reconnaissance a pris un décret qui définit la communauté de Sant’ Egidio comme étant « une Association internationale de laïcs à l’intérieur de l'Eglise. »
En Guinée, la communauté de Sant’Egidio est arrivée en 19991 grâce à M. Kpakilé FELEMOU qui, au cours d’un pèlerinage effectué à Rome y a rencontré la communauté. La première rencontre et prière eurent lieu le 20 janvier 1991 à Conakry. Aujourd’hui la communauté est présente dans 18 villes et 12 sous-préfectures dans les quatre régions naturelles du pays. On peut citer : Conakry, Boké et environnants ( Kamsar, Sangaredi), Fria, Kindia, Mamou, Labé, Kankan, Siguiri, Kissidougou et Guekédou, Macenta, N’Zérékoré, etc. Elle compte près de 1000 membres. Le siège principal pour la Guinée est à Conakry, dans la paroisse Saint Michel de Coléah.