ENTRETIEN Andrea Riccardi, ministre chargé de la coopération internationale et de l'intégration dans le gouvernement italien, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio « Il faut se mobiliser pour les droits des chrétiens au Nigeria »
Les villes de Kaduna et de Damataru étaient hier toujours placées sous couvre-feu hier dans le nord du Nigeria en proie à des affrontements communautaires. Dimanche, des attentats ont visé trois églises dans l'État de Kaduna et provoqué des représailles de chrétiens, dont le bilan total est de 52 morts et 150 blessés. Le groupe islamiste Boko Haram a revendiqué lundi ces attaques. Le ministre italien de la coopération appelle le gouvernement nigérian et la communauté internationale à défendre urgemment la liberté religieuse.
Comment analysez-vous la situation actuelle dans le nord du Nigeria ?
Andrea Riccardi : La situation est particulièrement complexe. Le Nigeria est le plus grand pays du continent africain avec 160 millions d'habitants. Un pays où le Nord, à majorité musulmane, est pauvre et où le Sud, à majorité chrétienne, est plus riche grâce au pétrole. Dans de nombreuses régions, les musulmans cohabitent avec les chrétiens et je pense que le groupe islamiste de Boko Haram vise, justement, à détruire cette cohabitation pour fédérer les musulmans dans un front antichrétiens.
Désormais la vie des chrétiens du Nord, qui ne peuvent même plus prier le dimanche, est insoutenable. Les représailles contre des musulmans, dimanche 17 juin, après des attentats contre trois églises, revendiqués le lendemain par Boko Haram, sont la réponse de personnes qui n'en peuvent plus.
Je me souviens que l'archevêque de Jos, Mgr Ignatius Kaigama, me confiait, il y a déjà bien des mois : « Les jeunes me demandent de prendre les armes, ils me disent qu'il faut répondre. » On est face à la logique de la spirale de la violence. Toute violence doit être condamnée, mais comment ne pas comprendre l'exaspération des chrétiens ?
Que peut faire la communauté internationale ?
A. R. : Cette spirale de la violence pose de manière encore plus aiguë la question du rôle du gouvernement nigérian et de la communauté internationale. Le gouvernement de Goodluck Jonathan devrait exiger le respect de la sécurité des chrétiens mais il a du mal à le faire. La communauté internationale doit donc affronter ses responsabilités, on ne peut pas rester indifférent aux conditions dans lesquelles vivent les chrétiens. Il faut absolument continuer d'en parler et la communauté internationale se doit d'exercer des pressions sur le Nigeria afin que leur protection soit garantie. Il y a urgence ! C'est vraiment l'antichambre d'une extermination ethnique dans le nord du pays et les chrétiens sont l'objectif premier.
S'agit-il de défendre les chrétiens en tant que tels ?
A. R. : Le chef du gouvernement italien, Mario Monti, se montre très sensible à cette question, et Rome ne manque aucune occasion pour soulever devant ses partenaires européens le problème des chrétiens et, de manière plus large, celui des minorités. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la sécurité des chrétiens concerne la sécurité de tous les êtres. On ne défend pas les chrétiens uniquement pour une question de confession. En se mobilisant pour le respect de leurs droits, nous agissons aussi pour défendre toutes les valeurs de la liberté. »
Recueilli par ANNE LE NIR (à Rome)
Source : www.la-croix.com le 20 juin 2012