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Le climat de Kukes

Nous allons citer ci-dessous quelques points qui paraissent particuli�rement significatifs du climat des journ�es de Kukes tels que la presse italienne et internationale les ont per�us. Ces pages constituent un souvenir important des ces �v�nements.


�Nous pouvons tous vivre ensemble�
Un rapport exclusif sur la mani�re dont un pr�tre italien a contribu� � obtenir la remise en libert� d'un leader kosovar de la part des Serbes

Le 5 mai, Ibrahim Rugova, en fait pour tous le pr�sident albanais du Kosovo, fut autoris� � quitter Pristina o� il avait �t� d�tenu par les autorit�s yougoslaves depuis le d�but de la guerre. Rugova et sa famille s'envol�rent vers Rome � bord d'un avion militaire italien et l'OTAN imposa des interdictions de vol tant qu'il fut en transit. Parmi les premiers � parler avec Rugova fut Mgr Vincenzo Paglia, un leader spirituel de la Communaut� de Sant'Egidio, groupe de diplomates ind�pendants qui s'efforce de n�gocier la paix de par le monde. Rugova, qui jusqu'ici �tait un pacifiste en mati�re de strat�gie politique, le connaissait bien. Ils avaient travaill� ensemble � un accord avec Milosevic pour permettre aux enfants albanais du Kosovo d'aller � l'�cole. Voici ce que dit Paglia sur ses efforts pour obtenir la libert� de Rugova: "Nous avions essay� si souvent, � Belgrade, d'avoir le contact t�l�phonique avec Pristina que j'eus peine � y croire quand enfin , le 6 avril, nous re��mes un appel. Je peux me figurer le vieux t�l�phone en bakelite noire sur la petite table au premier �tage de la maison de mon vieil ami Rugova, sur son bureau avec sa collection de pierres provenant de tous les coins du Kosovo. 'Comment vas-tu?' lui dis-je, car nous parlions en fran�ais. 'Einfin, je t'ai atteint'. - 'Je suis � la maison, comme d'habitude' r�pondit Rugova, 'regardant le foyer au-dessus duquel se trouve l'image du pape et de moi. Mais il n'y a plus de jours normaux. Je vais bien, un peu fatigu� et je ne dors plus, mais je vais bien et ma famille aussi'. Il rappela notre premi�re renconte avec le fondateur de la Communaut�, Andrea Riccardi, � Sant'Egidio � Rome, avec les magnifiques peintures du XVIIe si�cle qu'il aimait tellement, et 'le plus grand bananier que j'aie jamais vu', un arbre qui nous rappelait la paix au Mozambique que nous avions obtenu � notre quartier g�n�ral en 1992. Nous parl�mes de nos amis au Kosovo, dont certains avaient �t� par erreur signal�s comme morts. 'Mais je ne peux pas te raconter beaucoup plus', dit-il. 'Les communications sont si difficiles. Je me fais des soucis pour mon peuple et ses grandes souffrances'. - 'Nous nous en faisons aussi', lui dis-je. 'Nous sommes ici � Belgrade � cause de cela et nous sommes avec toi. Que dirais-tu si tu pouvais quitter le Kosovo pour Rome? Serais-tu en mesure d'y mieux contribuer � l'�claircissement de la situation?' - 'Pourquoi pas', dit Rugova 'Je le ferais, si et quand les autorit�s de Belgrade me laissaient quitter le pays'.

La chose importante �tait que Rugova �tait vivant m�me s'il ne pouvait pas s'exprimer ouvertement et n'avait pas sa libert� de mouvement. De retour � Rome, Mario Marazziti, le porte-parole de la Communaut� Sant'Egidio, s'assura que le gouvernement italien et le Vatican �taient au courant de nos intentions. L'Itale offrit support logistique et encouragement. Mais pas plus. Nous n'avions de mandat de personne et devions nous en tirer nous-m�mes. Alors vint le plus dur: le gouvernement de Belgrade. Le premier test vint pendant un bombardement, dans le restaurant � moiti� d�sert de l'h�tel Intercontinental. Lors d'un d�ner avec un des vice-ministres de Milosevic, un compagnon membre du Parti Socialiste, je r�p�tai comme un mantra: 'Rugova est un pacifiste sinc�re. Si vous voulez �tre quitte de lui, il doit passer � l'Ouest, � Rome, par exemple. Autrement tout le monde va encore croire que vous avez un pistolet point� vers sa t�te'. Pendant trois jours, nous e�mes des rencontres fi�vreuses comme celle-l� jusqu'� ce que j'obtins de voir Milan Milutinovic, le pr�sident de la Serbie. Je lui dis: 'Vous devez comprendre que si vous gardez Rugova ici, il sera comme une arme d�charg�e dans les efforts de paix'. Milutinovic dit qu'il �tudierait le cas.
A partir du 10 avril, il y eut des signaux contradictoires. Des interm�daires serbes vinrent voir Rugova. Son leit-motiv �tait simple: 'Les Serbes et les Albanais peuvent et devraient vivre ensemble. Les Albanais doivent rentrer au Kosovo. Vous devez arr�ter de contraindre mon peuple � quitter le pays. C'est notre territoire et nous pouvons et devons vivre tous ici ensemble'. Pendant ce temps, Rugova apparut � la t�l�vision avec Milosevic � Belgrade et denon�a la campagne de bombardement de l'OTAN. Deux semaines plus tard, le ministre yougoslave de l'Information d�clara qu'il �tudait la remise en libert� de Rugova, 'si et quand il peut aller � Rome comme demand� par la Communaut� de Sant'Egidio'.

Bien que sa situation f�t cruelle, Rugova jouait un r�le important. Il passait son temps, en r�sidence surveill�e, � essayer d'aller au-del� des conversations avec Milosevic et de comprendre ce qu'il pensait. Rugova avait pay� un prix pour rencontrer Milosevic mais il regardait vers l'avenir. 'J'ai rencontr� Milosevic et lui ai dit que, si nous voulons vivre dans ce pays, nous devons d�passer la diplomatie de la navette et parler directement l'un avec l'autre. La guerre ethnique n'est pas in�vitable. C'est une guerre entre des arm�es et non des peuples'.

Finalement, la semaine derni�re, l'appel au ministre des Affaires Etrang�res italien, Lamberto Dini, vint de Belgrade: 'M.Rugova d�sire aller � Rome. Vous pouvez venir le chercher'. Rugova mit sa cravate de soie qui le faisait ressembler � un existentialiste de la Sorbonne. Ensuite, il s'envola d'ici avec sa famille et un assistant. Le gouvernement italien le logea � l'ancienne Villa Algardi, o� Charles et Diana avaient log� jadis. Maintenant Rugova pouvait, une fois de plus, jouer son r�le de leader du Kosovo hors de la guerre et en paix. Ses premiers mots en public furent: 'Merci � l'Italie, au ministre Dini, au premier ministre d'Alema et � mon ami Mgr Paglia de la Communaut� de Sant'Egidio? C'est gr�ce � eux que je suis ici aujourd'hui'. Fatigu�, pauvre et souffrant comme son peuple, il est toujours le Gandhi des Balkans. 'Mon peuple ne peut rester ind�finiment en exil', dit-il dans sa premi�re d�claration en libert�. 'Il doit rester dans son pays. Tous les efforts doivent �tre faits pour permettre aux r�fugi�s de retourner chez eux et de repeupler leur terre. Les forces serbes doivent quitter le Kosovo. La s�curit�, tant pour les Serbes que pour les Albanais, doit �tre garantie par une force de paix internationale incluant certains pays de l'OTAN et d'autres. Toutes les armes doivent �tre d�pos�es dans les deux camps. Et cela inclut le KLA. Ce sont des partiotes qui ont montr� la n�cessit� de l'auto-d�fense. Mais maintenant le temps est venu pour la politique et je suis s�r que m�me le KLA est une force politique qui se montrera en faveur d'une solution politique. Le cadre sera l'accord de Rambouillet que nous avons sign� et les Serbes pas. Ce sera dur mais les choses essentielles sont claires.' "

Vincenzo Paglia


 Urgence � Kukes: il manque encore de tout.
 Il n'ya qu'� Rusteni qu'on commence � vivre et � aller � l'�cole.

KUKES. Nous essayons de regarder le monde � partir d'un camp de r�fugi� qui s'appelle l'�cole de Rusteni. C'est un camp sp�cial, nous sommes � la fronti�re entre l'Albanie et le Kosovo au Nord. Apr�s le camp de la Mission Arc-en-Ciel, hors de la ville, o� est rest�e la peur, on n'a plus faim et on peut vivre. Le camp de Rusteni est le quatre �toiles des r�fugi�s. Il est �trange de dire cela, mais ces 1400 personnes � m�me le sol, ces 700 enfants qui rient, pleurent; cherchent le lait que le sein maternel ne peut plus donner, sont mieux que tous les autres camps spontan�s. C'est le premier camp o� la Communaut� de Sant'Egidio garantit la nourriture, o�, au moins ce matin, l'infirmerie ambulatoire a fait deux cents visite. Depuis hier apr�s-midi, les jeunes Kosovars font un peu d'�cole pour les plus petits avec des volontaires de la Communaut�. Ici, il devient possible de dire: on peut vivre, il y a un avenir. On a cr�� une task force de jeunes Kosovars qui tourne avec des volontaires de la Communaut� parmi les autres camps spontan�s qui sont remplis de gens sales avec des couvertures, �tendus, press�s les uns contre les autres, leurs remorques attach�es aux tracteurs avec lesquels ils ont rejoint apr�s quatre ou six jours de fuite la fronti�re albanaise en venant de la campagne du Kosovo. C'est ainsi qu'on apprend qu'on ne mange plus depuis trois jours, que l'on n'a pas d'eau, m�me s'il y a de l'eau en ville. C'est ainsi que s'invente un secours itin�rant pour que personne n'ait � mourir de soif, de faim, de pneumonie ou de diarrh�e. La diarrh�e est le grand ennemi: l'eau risque d'�tre toujours plus pollu�e dans une ville submerg�e par les immondices et les mati�res f�cales. C'est ainsi qu'on a d�couvert quatre cas de m�ningite pendant que les organisations humanitaires se concentrent sur la vaccination de masse contre la rougeole pour les 200.000 r�fugi�s, laquelle appara�t en outre co�teuse et inutile. Appara�t m�me carr�ment paradoxale vu qu'il n'y a pas de nourriture pour tous et que les m�dicaments de base n'ont pas �t� apport�s, ni le lait pour les enfants, ni les rations contre la malnutrition. Hier apr�s-midi est arriv� un second centre d'urgence de Sant'Egidio au camp dit des patates, o� se trouvent 10.000 autres personnes non secourues par la Mission Arc-en-Ciel. Le dispensaire p�diatrique a d�j� re�u plus de cinq cents visites. On ne dort pas, on mange peu, on lutte contre le temps. On lutte aussi contre la d�cision de commencer � vider Kukes de ses r�fugi�s en premier liey par les b�timents publics et non par les camps qui manquent de tout y compris de toit. Pendant que nous �crivons est arriv�e la police qui veut se d�barraser de tout le monde sans �pargner l'�cole quatre �toiles du camp Rusteni. Arrivent des fonctionnaires de l'OCSE et de l'Achnur qui, avec Sant'Egidio, s'opposent � la d�portation. Apr�s de nombreuses tentatives pour faire rester les gens � Kukes, tout � coup l'op�ration d�portation �clate. Sauve qui peut sur son tracteur ou va camper aupr�s de la mosqu�e... les autres sont conduits vers le centre de l'Albanie divisant des familles qui n'ont pas le temps de se pr�parer et de se mettre d'accord. C'est une deuxi�me d�portation qui s'ajoute � la premi�re. Les co�ts humains de l'op�ration sont immenses. Pendant ce temps � Kukes la vie continue toujours plus dure. Au cimeti�re, on travaille avec ardeur. Il na�t dix enfants par jour alors qu'il n'y a rien pour eux. Seulement un peu de lait et un peu de secours �l�mentaire apport� par Sant'Egidio. La guerre vue de Kukes, o� le t�l�phone ne fonctionne plus, appara�t pour ce qu'elle est: une cha�ne de violence � laquelle se joignent l'injustice et la souffrance qui existaient d�j�. Ils sont des milliers � ne plus savoir o� sont leur parents partis avec eux. Des milliers de familles ont perdu le contact et il n'y a pas la moindre tentative de dresser des listes. Ceux qui devraient venir en aide � la population ont l'air de contribuer au d�sordre. A Kukes, nous sommes dans un monde o� l'on joue, o� l'on sourit tout en manquant du n�cessaire, surtout de l'eau, du lait, de la nourriture. Il semble surtout qu'il y manque du bon sens.

Mario Marazziti