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17 Novembre 2008 16:30 | Hilton Cyprus - Achera Hall

Marie Vladimir Gaudrat



Vladimir Gaudrat


Abbé de Lérins, France

Même si certains comme par exemple Raimon PANIKAR ont essayé de définir de manière générale un archétype monastique correspondant à une dimension constitutive de la vie humaine , je voudrais prendre le chemin inverse qui part du caractère pluriel de la vie monastique. Ne me sentant ni compétent, ni mandaté pour parler en général, je partirai d’une réalité concrète, dans un lieu bien défini qui est celle de l’Abbaye de Lérins dont je suis membre depuis plus de 25 ans et l’Abbé depuis 10 ans.

Ce monastère se trouve au sud de la France sur une toute petite île dans la Méditerranée et a été fondé au début du cinquième siècle par Saint Honorat un jeune patricien gallo-romain. Malgré deux interruptions relativement courtes, cela fait 16 siècles qu’il existe une communauté monastique sur cette île. Si l’on étudie un peu cette histoire on est frappé à la fois par le sentiment d’une continuité dans le temps et pourtant d’une succession de manières très différentes de vivre la vie monastique. Les moines qui ont vécu sur cette île se sont toujours fortement sentis héritier d’une même tradition tout en ayant des pratiques très différentes. C’est le véritable sens de la tradition qui implique fidélité et détachement. Selon la sentence évangélique , la vie monastique aujourd’hui doit tirer de son trésor du neuf et de l’ancien en posant un double regard. Avec l’œil de l’intelligence, elle cherche à comprendre la longue histoire du monachisme depuis ses origines, elle l’interprète pour en dégager ce qui est fondamental.  Avec l’œil du cœur, elle fixe les réalités à venir, celles où Dieu sera tout en tous, pour combattre la tentation d’absolutiser ce qui passe. C’est ce double regard d’accueil et de détachement élargi aujourd’hui aux dimensions du monde que les moines doivent s’efforcer de conserver pour apprendre à honorer tous les hommes  et voir comment la tradition monastique trouve sa place dans un monde marqué par les échanges interculturels.

Je parlerai ensuite simplement de  2 aspects fondamentaux de la tradition monastique qui est la mienne, celle du monachisme latin marqué par une référence multiséculaire à la Règle de Saint Benoît composée à la fin du VI° siècle pour apprendre cheminer sous la conduite de l’Évangile . Cette réflexion s’inspire d’un travail fait en commun par les abbés bénédictins et cisterciens français. Elle rejoint en partie le discours fait récemment par le Pape Benoît XVI au collège des Bernardins à Paris. Mais j’aborderai ces 2 aspects à partir de ma situation concrète qui est celle d’un moine cistercien héritier d’une des traditions d’interprétation de la Règle de Saint Benoît dont l’origine remonte à la fondation du monastère de Cîteaux en 1098.

En premier, avant toute chose, il y a  la recherche de Dieu. C’est le premier critère de discernement que donne Saint Benoît . C’est autour de cette recherche éminemment personnelle que s’organise toute la vie monastique. Pour reprendre les mots que Benoît XVI applique à une autre époque, cette recherche implique au milieu de la confusion des temps de s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la vie elle-même. Cette recherche s’appuie sur la Parole de Dieu écoutée, chantée, méditée et suscitant et interrogeant une expérience intérieure. Déjà Saint Bernard et les cisterciens du XII° siècle parlent du livre de l’expérience qui renvoie au livre des Écritures . Dans un monde où le ressenti et le subjectif sont des valeurs centrales, le moine doit apprendre à articuler l’objectivité de l’écoute et de la confrontation à une Parole qui nous dépasse puisqu’elle est Dieu avec la subjectivité de l’expérience intérieure. Toute la vie au sein du monastère par ses prescriptions bien concrètes, par l’importance de la liturgie avec sa ritualité, par le travail de l’intelligence pour mieux comprendre les Écritures donne, avec l’engagement qu’elle implique un cadre libérateur à l’aventure spirituelle. Avec urgence, le moine doit pouvoir témoigner du caractère absolu et attractif de la recherche de Dieu. Il doit aussi manifester la vraie liberté que donne une Règle. Mais cette Parole qui vient toucher chaque personne en particulier au plus profond de son cœur  qui vient interroger aussi son intelligence donne aussi naissance à une communauté.

De là découle le deuxième aspect fondamental de la vie monastique qui est celui de la fraternité. Même si la vocation à la vie solitaire garde toute sa valeur, le monachisme du XXI° siècle doit développer un art de la fraternité. Cet art, c’est d’abord le témoignage de la possibilité de vivre malgré toutes les pauvretés et les différences une vie de communion. Celle-ci ne vient pas d’abord de l’effort de l’homme, mais découle de la communion des Personnes de la Trinité entre elles.  Elle cherche tout entière à être conduit par l’amour divin qui est don parfait. Cet amour est ce  qui relie en profondeur recherche de Dieu et vie commune puisque l’amour lui-même est connaissance selon un adage vulgarisé par St Bernard et les cisterciens du XII°siècle et qu’il conduit par « l’extase de la charité » à une connaissance réelle de Dieu. Cet art de la fraternité s’incarne dans le quotidien d’une vie commune et du service, dans le partage du travail. Comme il est sans cesse menacé, il ne peut se réaliser que par le pardon réciproque qui est la première manifestation de la présence de l’amour de Dieu parmi les hommes. La paternité spirituelle qui est si importante pour le monachisme ne peut se comprendre qu’en lien avec la fraternité. Elle est une paternité qui renvoie au Christ  et dont le but est de former des frères. Dans une époque où il y a malgré les apparences un grand besoin de maîtres et de pères, une telle définition me semble celle la plus apte à éviter les faux maîtres. Cette fraternité qui doit être perceptible doit s’étendre très largement à l’extérieur des communautés monastiques par la prière et par l’accueil. Elle doit s’étendre à tous les hommes et s’ouvrir à un dialogue pour la paix. Les monastères doivent tendre à devenir des lieux saints selon cette belle définition que l’on trouve dans les constitutions des cisterciens de la stricte observance et qui vient du Père Christian de Chergé qui voulut faire du monastère de Tibhirine un lieu de dialogue et de paix : « Selon le dessein de Dieu, les monastères sont établis comme des lieux saints, ils le sont non seulement pou r les proches dans la foi, mais aussi pour tous les hommes de bonne volonté  ».


 

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