Pourquoi avez-vous parlé de globalisation et de christianisme ?
C’est un thème déjà ancien et nouveau. La globalisation, c’est l’horizon de la vie mais aussi celui du christianisme. Reste qu’elle est un fait assez nouveau pour l’anthropologie chrétienne même si le christianisme vit depuis longtemps une forme de globalisation. C’est la globalisation économique et sociale qui a le plus de conséquences avec le renforcement de l’individualisme. Cette globalisation-là c’est la mort de la proximité, la mort du prochain. Or le christianisme ne peut y renoncer. Il ne deviendra jamais une religion virtuelle ni cultivée en privé. Au contraire, il prône les valeurs de la communauté, de la famille.
Une des dimensions les plus négatives est quand même le repli sur soi individualiste. L’Eglise a-t-elle encore les moyens d’y opposer son message ?
Elle a son rôle à jouer face à cet individualisme à tous crins et au développement d’identités très marquées qui s’opposent durement : c’est l’identité ethnique, nationaliste et aussi religieuse. C’est le grand problème : la globalisation conduit au conflit des civilisations. On a pensé que l’Eglise était en déclin et ne pouvait pas y répondre. Elle prenait eau de toutes parts, obligée de s’ériger en forteresse derrière le mur des valeurs.
Depuis lors, elle a porté à sa tête un pape venu du Nouveau Monde…
Dans la conférence j’ai peu évoqué le pape François. La réflexion sur la globalisation et la culture catholique m’amène par contre à me référer à la plupart des papes de ce dernier demi-siècle.
Mais l’arrivée du pape François apparaît quand même comme un cadeau du ciel par rapport à la problématique…
J’en suis aussi convaincu : c’est un vrai cadeau pour l’Eglise. Certains pensaient qu’on en avait presque fini avec cette institution déclinante et la démission du pape Benoît XVI est apparue comme une somatisation de la crise. Qu’est ce qui est arrivé depuis lors ? Comment en à peine six mois est-on passé de la crise à l’essor ? Attention, tous les problèmes de l’Eglise ne sont pas résolus mais on a vu arriver un pape qui utilise les mots simples de l’Evangile - amour, foi, pardon, miséricorde… Et non seulement il les dit mais il les vit. Son message est dès lors crédible et ça change tout ! Le pape François a la force du témoignage. Paul VI disait que l’ère contemporaine n’avait pas besoin de maîtres mais de témoins.
L’option préférentielle pour les pauvres est sur les rails. Mais pourra-t-il mener à bien la réforme de la Curie et de la gouvernance ?
Le choix des pauvres est capital car la crise de l’Eglise était liée à la grande distance entre l’institution et ceux-ci. Puis la crise de l’Eglise était aussi liée à celle de l’Europe. En fait le mal-être de la Curie est avant tout une crise européenne. François n’est pas un pape européen mais grâce à ses origines italiennes et à son expérience de vie à Buenos Aires, c’est quelqu’un qui connaît bien la pensée européenne. Cela dit, aura-t-il la capacité de gérer des réformes ? Il y aura des résistances, mais il en sera capable. Ses premières fortes réformes, il les a lancées en insistant sur la primauté de la foi et de la miséricorde. Pour lui, la priorité n’est pas d’abord l’éthique. Ce pape n’est pas un révolutionnaire, il ne veut pas revenir à 1968. S’il nous rappelle les principes moraux c’est comme un homme de foi.
… qui est très proche de Vatican II. Sant’Egidio qui est aussi né dans la foulée sera-t-il avec le Pape pour réussir ces réformes ?
François est une bénédiction pour nous. Pour nous, il y a la primauté des pauvres; le Pape est lui aussi très proche des pauvres. De même pour ce qui est du dialogue pour la paix, il se réfère également aux valeurs de l’Evangile. Notre proximité avec le Pape est réelle et du reste la communauté locale de Sant’Egidio à Buenos Aires le connaissait très bien. Mais il faut aller bien au-delà de cette ancienne complicité : si l’Eglise veut témoigner aujourd’hui de l’Evangile et se relancer, elle doit l’écouter. C’est une vraie chance pour l’Europe. Elle a besoin d’espérance et de forces spirituelles. La faiblesse actuelle de notre continent est l’absence de cette force.
Votre mouvement est intervenu dans moult médiations de conflit. Mais les chrétiens sont de plus en plus persécutés pour leur foi…
J’ai fait un livre qui s’appelle "Le siècle des martyrs, le XXe siècle". Les chrétiens sont directement les victimes de plusieurs conflits : en Syrie, en Irak, en Afrique, en Inde… On est en présence d’un extrémisme religieux dangereux. Il faut délégitimer cet extrémisme car le message de Dieu et les mots de la violence et de la haine ne peuvent se rencontrer. Le journaliste italien Domenico Quirico qui a été prisonnier pendant six mois des terroristes syriens m’a dit que ses geôliers le frappaient puis priaient Dieu. C’est incompatible !
Les rencontres pour la Paix de Sant’Egidio sont-elles encore utiles face à cela ? Est-ce que cela ne vous décourage pas ?
Vous avez tout à fait raison. Le monde est complexe… Il ne suffit pas de prier pour voir ses vœux exaucés mais je vous retourne la question : peut-on imaginer un monde sans prières ? Il serait sans espérance et sans humanité. Et à côté des prières, on se parle… Vous imaginez ce que ce serait sans ces initiatives ?
Un mot encore sur Sant’Egidio et la Belgique. Depuis cette année, votre mouvement y a deux évêques : après Leon Lemmens, Jean-Pierre Deville a été ordonné à Liège. Un néerlandophone et un francophone…
La nomination des évêques relève du Saint-Siège. Cela dit, j’ai beaucoup d’estime pour Mgr Delville, un historien et un grand connaisseur de la vie quotidienne des hommes et des femmes de ce temps. J’apprécie aussi Mgr Lemmens que j’ai connu comme formateur de jeunes et de jeunes prêtres. Sant’Egidio est très belge, enraciné dans un pays pluriel et pluraliste depuis toujours. Il y a les dimensions francophone et néerlandophone mais également l’ouverture de longue date aux immigrés. Sant’Egidio, présent depuis 1985, y retrouve son terrain d’action. Je viens souvent chez vous car il y a comme une consanguinité entre Sant’Egidio et la Belgique qui veillent à sortir de conflits d’identités opposées. Notre maison à Anvers m’enthousiasme : c’est un lieu du cœur et de la charité avec une soupe populaire, un home mais surtout on donne aux plus démunis ce qu’il y a de mieux.
En 2014, Anvers accueillera la rencontre des religions pour la paix de Sant’Egidio.
Certainement pas par hasard ! En 2014 on commence à commémorer le centenaire de la Première Guerre. La Belgique a été la première victime de 14-18. C’était un pays neutre et pacifique qui a été agressé et on a remis ça en 40-45. Sant’Egidio organisera cette rencontre ici pour dire aux Belges qu’avec des hommes de foi et de bonne volonté de tous horizons, on devrait écarter la guerre pour toujours. La guerre est la mère de toutes les pauvretés et son héritage est toujours empoisonné.
Christian Laporte