Florin a 16 ans. Il rêve de devenir vendeur, réparateur de téléphones portables ou agent de sécurité. Un rêve qui est passé de l’inimaginable au tangible. «En sept années d’école en Roumanie, je n’ai appris ni à lire ni à écrire. En deux mois ici, c’était fait», dit-il dans un français encore hésitant, mais plein d’allant. L’adolescent fait partie des six garçons roms à avoir participé à un projet pilote de scolarisation. Soutenues par la Ville de Lausanne, les associations Opre Rrom, Sant’Egidio et Point d’appui lançaient cette initiative en février 2014. Le programme s’est terminé l’été dernier: comme quatre de ses camarades, Florin peut intégrer cette rentrée scolaire une classe d’accueil «standard» après avoir bénéficié d’un dispositif spécial d’alphabétisation au Centre de ressources pour élèves allophones. Le sixième participant poursuit, quant à lui, son cursus au centre de formation et d’insertion professionnelle OSEO, à Vevey.
De l’avis de la Ville de Lausanne, le programme est une réussite. «Sur le plan humain, l’expérience est extrêmement positive. Ces enfants qui vivent au jour le jour ont pu se projeter dans l’avenir et vivre comme des jeunes de leur âge, ce qu’ils aspirent à être», se réjouit Philippe Martinet, chef du Service des écoles primaires et secondaires de Lausanne. Si les progrès ont été lents pour certains, il relève l’assiduité des écoliers. «C’est une belle histoire, même si elle a coûté beaucoup d’énergie. Le projet n’a été possible que grâce à l’investissement des associations. »
Nombreux écueils
Les écueils ont en effet été nombreux. D’un point de vue logistique, tout d’abord, les autorités scolaires exigeaient qu’un élève bénéficie d’un lieu où dormir. Une obligation que les associations ont remplie avec peine, poussées parfois à accueillir des enfants à leur domicile(lire ci-dessous). Niveau finances aussi, il leur a fallu chercher sans relâche des dons pour couvrir le coût de l’assurance-maladie, le transport, le matériel scolaire et d’autres frais pour un total de 400 fr. en moyenne par écolier et par mois. La quête de fonds et d’un toit se poursuit pour permettre aux Roms scolarisés de continuer leur formation. «Notre objectif est que les élèves et leurs parents gagnent en autonomie», dit Anne-Catherine Reymond, de Sant’Egidio.
Le programme terminé, une nouvelle initiative est en gestation. «Nous espérons pouvoir scolariser des filles avec le même dispositif pilote», indique Anne-Catherine Reymond. Opre Rrom, Sant’Egidio et Point d’appui apportent déjà leur soutien à deux fillettes: l’une commence sa 3e primaire et l’autre est en préscolarisation. Mais le projet pilote ne comptait pas de présence féminine. «Les filles sont plus porteuses de traditions. Souvent, elles se marient jeunes», avance Anne-Catherine Reymond.
A voir si ces associations réussiront à convaincre le Canton, qui devra payer le salaire d’un enseignant si une classe d’alphabétisation est ouverte. L’affaire n’est pas gagnée d’avance: le Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) dresse un bilan bien moins réjouissant de l’expérience pilote. «Rassembler des élèves dans une classe unique n’apporte pas de plus-value d’un point de vue pédagogique, affirme Michael Fiaux, porte-parole du DFJC. De plus, cela peut créer une certaine stigmatisation. Selon nous, les scolariser dans une classe d’accueil standard permet d’atteindre l’objectif d’intégration. »
L’affirmation fait bondir la présidente d’Opre Rrom, Véra Tchérémissinoff: «On utilise la non-stigmatisation pour ne rien faire!» Anne-Catherine Reymond enchaîne: «Nous ne voulons pas d’un ghetto! Il s’agit simplement d’une structure relais qui est essentielle pour donner à ces enfants la possibilité d’intégrer le cursus régulier. Certains ont un tel déficit qu’un accompagnement est essentiel. »
Quête complexe d’un toit
Le programme pilote de scolarisation d’enfants roms a failli coûter son appartement à Véra Tchérémissinoff. N’ayant trouvé aucune autre solution, la présidente d’Opre Rrom a hébergé des élèves chez elle. Ce qui n’a pas plu au propriétaire de l’immeuble. «Il a voulu résilier mon bail. Il ne voulait pas que j’accueille des Roms chez moi», affirme-t-elle. Elle a porté l’affaire devant le Tribunal des baux. «J’ai eu gain de cause. Chacun a le droit d’accueillir qui il veut chez soi, tant qu’il ne crée pas de nuisances, ce qui n’était pas le cas. »
L’obligation pour les élèves roms de disposer d’un logement est un des obstacles principaux à leurs ambitions scolaires. Les autorités l’exigent afin qu’ils puissent suivre leur cursus dans un climat de stabilité. Les lieux d’hébergement provisoire se succèdent. L’an dernier, plusieurs familles avaient pu loger dans une villa à Pully. Auparavant, la Ville de Lausanne leur avait permis de rester dans les locaux de la Ligue pour la lecture de la Bible, ce qui avait permis de lancer le projet. «Une des difficultés tient au fait que ces personnes vivent en famille, explique Anne-Catherine Reymond. C’est très difficile pour eux d’être séparés. Ils préfèrent alors quitter le logement. »