Archevêque orthodoxe, Patriarcat Œcuménique
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Méditation sur Jn 14, 27
Chers frères et sœurs,
Le Seigneur Jésus, à travers ses Saints Disciples, nous a laissé la paix, et il l’a fait à un moment très particulier de sa vie, juste avant sa Passion salvifique, quand il nous a parlé aussi de l’unité, « pour que le monde croie que tu m'as envoyé » (Jn 17,21).
Jésus ne nous laisse pas une paix ordinaire, une paix en général, une paix abstraite : il nous laisse une paix concrète. Sur ce point, il est catégorique et très clair. Il nous laisse Sa paix, qui n’est pas comme celle du monde, car elle donne une sérénité, une quiétude, un calme intérieur au corps et à l’âme, qui éloigne du cœur de l’homme toute préoccupation et toute crainte.
Le mot « paix » revient souvent dans les discours du Seigneur. Nous pouvons même dire qu’Il affectionne tout particulièrement ce thème vital, car c’est comme s’il parlait de lui-même, lui qui est la paix en personne, la paix par excellence.
La paix est un bien précieux que nous louons tous, que nous appelons de nos vœux, mais que peu de personnes cherchent à faire fructifier et régner sur le monde. Souvent, plutôt que la paix, on recherche les conflits, les affrontements, les guerres entre les nations, au sein des sociétés, des familles, des hommes et femmes qui vivent la division et le trouble. Cette terre meurtrie sait ce que signifie la guerre, qu’elle a vécue d’une façon terrible il y a tout juste soixante-dix ans.
Jésus, avant de nous laisser la paix, Sa paix, parle de l’ « amour » (Jn 14,23-24) et de l’« Esprit Saint » (Jn 14,26). Ainsi, il lie indissolublement la paix à l’Esprit Saint. La vraie paix suppose un amour désintéressé, et tous deux, amour et paix, sont le fruit de l’Esprit Saint, comme le dit l’Apôtre des Gentils, Saint Paul dans sa lettre aux Galates (5,22-23).
Dans un monde qui a éloigné le Christ de sa vie, qui a adopté la force de rupture du péché comme mode de vie, qui a nié la paix bienheureuse du Dieu-Homme, il est naturel que surviennent des événements et des phénomènes tragiques qui dégradent la personnalité humaine et écrasent la valeur humaine. Aujourd’hui, le monde « est dans le mal », oubliant que le Seigneur disait bienheureux les artisans de paix, en les appelant « fils de Dieu ». En même temps, il ouvrait un chemin de justification et de salut personnels à ceux qui choisissaient la paix de Dieu dans leur vie, et la transmettaient aux autres.
L’absence de paix, dans le monde actuel, est due principalement à trois causes ou facteurs.
La première cause est l’éloignement de notre société sécularisée de la volonté de Dieu. L’homme n’est pas en mesure d’obtenir la paix loin du Christ, qui « est notre paix », la source de la paix. Nous avons cité les paroles de Paul selon lesquelles la paix est le fruit de l’Esprit Saint. Mais pour fructifier, il est nécessaire que règne dans le monde l’Esprit de Dieu, qui est l’Esprit de paix par excellence. Il faut que le monde reconnaisse le vrai Dieu, qu’il revienne entre ses bras et réacquière la vertu perdue.
Le deuxième facteur est la cohabitation pacifique avec notre voisin, avec notre prochain. Saint Silouane l’Athonite souligne avec sagesse que pour cela, la «condition première est que chaque homme ait conscience de ses erreurs». Renoncer à l’égoïsme et à la tendance invétérée de l’homme à commander, à gouverner et à dominer les autres. De nos jours, heureusement, il n’y a pas de guerre mondiale en cours, mais la paix est sans cesse meurtrie gravement, elle saigne en permanence comme la femme de l’Evangile, que le Roi de la paix a guérie et renvoyée en disant «Va en paix» (Lc 8,41-56). La frénésie de l’homme moderne qui cherche à dominer, à s’imposer par tous les moyens, légitimes ou illégitimes, a pour conséquence immédiate les injustices et les inégalités que nous pouvons tous constater.
La troisième raison est la paix personnelle, car il ne s’agit pas d’une situation extérieure, mais d’une question intérieure, qui se joue dans notre cœur. Pour l’atteindre, il faut éloigner la haine et la colère, les critiques injustes, la tentation du péché, et de surmonter les passions par la prière, la repentance et l’ascèse.
Par le sang de son sacrifice sur la Croix, Jésus a pacifié le genre humain, qui vivait sous le régime de la division et de la corruption. Pour les saints Pères de l’Eglise, la paix a une double nature : elle est à la fois spirituelle et matérielle. Car s’il n’y a pas de paix dans le corps, il n’y a pas de paix non plus dans l’âme et dans l’univers. La paix du corps se traduit par l’humilité, la sérénité, la quiétude, la prière, la vie spirituelle ; la paix de l’âme conduit à la purification, à l’illumination, à la sainteté et à la perfection dans le Christ. Le Corps mystique divino-humain de l’Eglise est le lieu de l’excellence où l’on acquiert la paix du corps et de l’âme, la paix intérieure du Christ, qu’il irradie dans le monde. D’après les saints Pères théophores, c’est une paix qui « dépasse tout entendement » et qui conduit à la sanctification car – comme le dit Saint Nectaire d’Egine : « La paix est la lumière qui dissipe les ténèbres du péché ». Pour conclure avec Saint Paul, qui dit, en se référant au discours du Seigneur sur la montagne (Béatitudes), que sans la paix et la sainteté « personne ne verra le Seigneur » (He 12,14).
La paix du Christ doit accompagner notre vie et nos œuvres, caractériser notre statut personnel et nos relations avec Dieu et avec notre prochain, car c’est en rétablissant la paix avec le Dieu Trine, Dispensateur de la vraie paix, et avec notre prochain, que la paix resplendit dans le monde, tout autour de nous.
Tel est le but qui a animé et continue d’animer la Communauté de Sant’Egidio, cette communauté qui m’est si chère, et que j’ai fréquentée durant mon long service sacerdotal en Italie. La Communauté a compris la force et les possibilités que les Eglises et les Religions ont de mettre fin aux conflits, à travers la prière et le dialogue.
Prions pour que dans le monde règne la paix, inspirée par « l’Esprit d’Assise ». Cet Esprit, que nous devons au bienheureux serviteur de Dieu, l’inoubliable Pape Jean-Paul II, fils de cette terre meurtrie et Pasteur très fidèle de l’Eglise de Dieu à Cracovie pendant de longues années. Il est présent spirituellement en ce moment solennel et, se réjouissant dans le ciel, il nous envoie sa sainte et encourageante bénédiction, et continue à œuvrer afin que la paix du Christ soit possible dans notre monde tourmenté, sécularisé et matérialiste.
J’ai le grand honneur et privilège de représenter le Patriarcat Œcuménique de Constantinople et de vous porter les salutations fraternelles de Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique Bartholomée Ier, grand ami de la Communauté de Sant’Egidio, qui partage vos nobles idéaux. La présence de notre Patriarcat et des autres Eglises Orthodoxes autocéphales locales aux Rencontres pour la paix organisées par la Commuauté de Sant’Egidio, sont le signe de notre engagement commun pour que la paix, la vraie paix, la paix du Christ reste toujours parmi les hommes, et ne nous abandonne jamais.
Par l’intercession de la Très Sainte Mère de Dieu et Toujours Vierge Marie, Reine de la paix, dont nous fêtons aujourd’hui la Naissance, de saint Egidio de saint François d’Assise et du serviteur de Dieu Jean-Paul II, ouvrons tout grand nos portes au Roi de la vérité, Jésus Christ, notre commun Seigneur et Sauveur. Amen!
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