Huits jours. Il n’aura fallu que huit jours pour que l’ Italie , si attachée aux bavardages et aux marchandages qui distraient de l’action, change de gouvernement. Huit jours pour qu’une équipe pléthorique, dévouée à un seul homme, Silvio Berlusconi , vainqueur des élections de 2008, et défendue par une coalition de droite de plus en plus incertaine, cède la place à un groupe ramassé d’«experts» , placé sous l’autorité d’un ex-commissaire européen, qui n’a jamais participé à un combat électoral mais s’est assuré du soutien d’une majorité réunissant droite et gauche. Pour comprendre comment cette petite révolution a pu se produire, il faut revenir un peu en arrière.
Depuis deux ans, la confiance des Italiens dans le gouvernement n’a cessé de chuter comme n’a cessé de se dégrader leur relation avec le monde politique. «Préoccupés par une crise financière dont deux tiers des Italiens pensent que le pire est à venir, angoissés par le chômage et leur protection sociale dans une période de vulnérabilité plus grande, ils estimaient que personne ne prenait à bras-le-corps leurs problèmes, ni même n’en reconnaissait l’existence, souligne Nando Pagnoncelli, directeur d’Ipsos. Pas plus le gouvernement que les élus d’un Parlement ne débattant que de la vie privée du président du Conseil, de la corruption et de leurs batailles internes.» Non seulement les Italiens n’accordaient plus leur confiance à Berlusconi, mais, ayant en tête l’échec de l’équipe Prodi en 2008, au bout d’un an et demi de gouvernement, ils avaient du mal à croire que la gauche au pouvoir serait en mesurer de gouverner. Le taux d’abstention dans les sondages n’a jamais été aussi élevé, dépassant les 40%.
Fin de la guerre droite-gauche
C’est bien la faillite de la politique en Italie que vient sanctionner l’installation du gouvernement «technique» de Mario Monti , qui recueille 77% d’opinions favorables. Les Italiens aujourd’hui privilégient l’expertise à «l’incompétence diffuse», selon le mot d’un éditorialiste du Corriere della Sera. Ils se fient d’autant plus volontiers à ce changement que le président de la République, Giorgio Napolitano, qui jouit de la confiance de 85% des Italiens, en est l’artisan. Et enfin parce que ce changement d’équipe et de méthode met un terme, ne serait-ce que provisoirement, à la guerre entre droite et gauche, comme lorsque l’Italie a dû affronter le terrorisme ou une sévère mise à niveau pour entrer dans la zone euro.
«Serrer les dents»
Pourtant, en dépit de ce large appui populaire, de l’engagement des deux principaux partis politiques, le PDL à droite et le PD à gauche, à le soutenir, le gouvernement Monti va devoir faire des miracles. Économiques et politiques. Il lui faut faire accepter durablement des «sacrifices» aux Italiens afin de satisfaire aux exigences des marchés et de l’UE, de combler l’abîme de la dette et de redémarrer la croissance. Il ne le pourra que s’il parvient, comme s’y est engagé Monti, soucieux de «justice sociale», à les répartir avec équité, sans crainte notamment de s’attaquer aux privilèges dont jouissent les parlementaires, qui apparaissent d’autant plus exorbitants en période de vache maigre. «Un siège au Parlement, c’est la meilleure offre sur le marché italien!» ironise Michele, qui cherche à garder la tête hors de l’eau à coups de petits emplois précaires. Aujourd’hui les Italiens sont prêts, mais demain? «Avec Berlusconi, on s’est bouché le nez, avec Monti, on va serrer les dents», dit Alexandra, qui a fait partie de ces millions de femmes qui en février dernier sont descendues dans la rue. Mais on ne sait pas ce qui va nous tomber dessus. Les gens sont un peu terrorisés, même s’ils veulent donner sa chance à ce gouvernement.»
Mario Monti devra tout aussi durablement disposer d’une majorité au Parlement. Pour l’instant, la pression constante des marchés a semblé calmer les ardeurs belliqueuses de plus d’un élu, mais la guérilla peut très vite revenir. «Les semaines à venir seront décisives, note Nando Pagnoncelli. Ou les hommes politiques ont une réaction de courage, ou ils cèdent à leurs pires travers et ils ne retrouveront pas la confiance qu’ils ont perdue.» Paolo Messa, qui dirige la revue de débats Formiche, veut même croire que les partis tiennent là une opportunité inespérée de se ressaisir, de travailler à l’émergence d’une nouvelle offre politique. Cet ancien porte-parole de l’UDC (Union du centre) se montre tout aussi sévère pour la droite, qui, avec Berlusconi, a «interprété l’Italie des années 1980 et 1990 et a laissé penser que la culture politique n’était pas une option indispensable», et la gauche, qui, elle, est restée «figée dans les années 1970, incapable de réaliser une synthèse entre les cultures communiste et socialiste. Elle n’a toujours pas choisi entre la viande et le poisson, insiste-t-il. Tant qu’elle n’aura pas compris quel est son code génétique et son projet, elle n’échappera pas à la suspicion».
Secrétaire général de l’UDC, Lorenzo Cesa exulterait presque. Pour lui, il est clair que le temps du centre est venu. L’Union du centre a été la première formation à apporter son soutien inconditionnel à Mario Monti que la famille démocrate chrétienne reconnaît comme l’un des siens. «Les politiques, explique-t-il, ont fait un pas en arrière. Ils laissent une équipe de techniciens mener à bien les réformes indispensables pour vaincre la crise. Si le gouvernement Monti fait bien son boulot, soutenu par le Parlement, ce sera la victoire des partis politiques, qui retrouveront leur crédibilité.» Avant de disputer les élections du printemps 2013, terme normal de cette législature.
Les figures marquantes du nouveau gouvernement italien
• Corrado Passera, ministre de l’Industrie, des Infrastructures et des Transports.
C’est un poids lourd du monde des affaires qui devra mener à bien la stratégie de coordination de l’assainissement budgétaire et de relance de l’économie de Mario Monti. Ce manageur énergique de 67 ans devra quitter le groupe bancaire Intesa San Paolo dont il est l’administrateur-délégué. Il a occupé auparavant des rôles de premier plan dans la finance et l’industrie.
• Giulio Terzi di Sant’agata, ministre des Affaires étrangères
Ce spécialiste milanais de droit international qui a fait toute sa carrière dans la diplomatie prendra à 65 ans la place de Franco Frattini. Conseiller politique auprès de l’Otan au moment de la réunification des deux Allemagnes, il a représenté l’Italie à l’ONU entre 2008 et 2009 avant d’être nommé ambassadeur à Washington, son poste actuel.
• Anna Maria Cancellieri, ministre de l’Intérieur
C’est l’une des trois femmes du gouvernement à un poste-clé et la première à entrer au ministère de l’Intérieur. La préfète Anna Maria Cancellieri a une longue carrière aux quatre coins de l’Italie, de Brescia à Catane en passant par Gênes et Parme et une réputation de conciliatrice. Elle a administré pendant deux ans la commune de Bologne, en cessation de paiement.
• Paola Severino, ministre de la Justice
Au poste particulièrement sensible de ministre de la Justice et garde des Sceaux s’installe Paola Severino. Cette avocate napolitaine de 53 ans, spécialiste de droit pénal et vice-recteur de l’université romaine Luiss, est bien vue de son prédécesseur Angelino Alfano. Le leader du parti de Silvio Berlusconi, Angelino Alfano, aurait fait pression pour que le poste lui soit attribué.
• Andrea Riccardi, ministre de la Coopération internationale
À 50 ans, Andrea Riccardi, fondateur en 1968 de la communauté ecclésiastique Sant’Egidio de Rome, devient secrétaire d’Etat à la Coopération internationale et à l’Intégration. Proche du Vatican et active dans les diplomaties de paix et l’action humanitaire, Saint-Egidio contribue au rapprochement des religions et à la résolution pacifique des conflits. Présente dans 73 pays, elle a facilité le retour à la paix au Mozambique, au Niger, en Guinée et au Guatemala. Andrea Riccardi est considéré comme l’un des plus grands experts de l’Église contemporaine.
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