De notre envoyée spéciale
« Depuis 1992, il n'y a pas eu de tentative de reprise des combats. La guerre est vraiment finie. » C'est par ce constat, fondamental et essentiel, d'un pays en paix que Mgr Francisco Chimoio répond, depuis son palais épiscopal tapissé d'azulejos portugais (carreaux de faïence bleutés), quand on l'interroge sur la situation politique actuelle au Mozambique. « Nous vivons en démocratie. La liberté est réelle dans tout le pays », poursuit l'archevêque de Maputo. Et les menaces, en septembre dernier, d'Afonso Dhlakama, chef de la Renamo (Résistance nationale du Mozambique, principal parti d'opposition), d'« organiser une révolution du peuple en vue de balayer le Frelimo » (Front de libération du Mozambique, au pouvoir depuis près de vingt ans) ne semblent guère l'effrayer. « Les anciens rebelles sont trop vieux pour reprendre les armes… Et puis, aucun Mozambicain ne souhaite revivre seize années de guerre civile. »
Et pour cause ! Cette guerre civile qui a déchiré le pays de 1976 à 1992 (après dix années de guerre d'indépendance contre le Portugal, de 1965 à 1975) a fait près d'un million de morts et provoqué l'exode de 1,7 million de Mozambicains, sans parler des dizaines de milliers de blessés, des maisons saccagées, des infrastructures économiques détruites… Une guerre qui avait commencé « dans l'illusion que ça serait vite fini », selon l'expression de sœur Dalmazia Colombo, 76 ans. Arrivée au Mozambique en 1965, cette Italienne de la congrégation de la Consolata a très tôt été en lien avec la communauté Sant'Egidio.
Persuadée que ce conflit devait pouvoir prendre fin par le dialogue et la négociation, la communauté italienne s'était lancée dans un travail d'approche de la Renamo et du Frelimo. « En 1984, nous avions envoyé trois avions et deux bateaux d'aide humanitaire, ce qui nous avait permis de nouer des relations avec le gouvernement », évoque Matteo Zuppi, prêtre de Sant'Egidio qui a participé à toutes les négociations politiques, aux côtés de Mario Giro, responsable des relations internationales de la communauté. Une première rencontre fut organisée en 1988 entre Afonso Dhlakama et Mgr Jaime Gonçalves, archevêque de Beira, dans le centre du pays. Sans succès. En juillet 1990, une autre rencontre entre le gouvernement et la Renamo se tient, en toute discrétion, au siège romain de Sant'Egidio et aboutit à un communiqué conjoint. Après une autre rencontre, cinq semaines plus tard, toujours à Rome, en présence de Mgr Gonçalvez, la médiation commence et durera deux ans. Or pendant ce temps, la guerre continuait car « la Renamo ne voulait pas baisser les armes », poursuit le P. Zuppi.
Diverses initiatives sont lancées pour obliger les belligérants à s'entendre, comme l'envoi au Frelimo et à la Renamo de milliers de lettres écrites par des enfants. « C'est moi qui en ai eu l'idée ! » sourit Sœur Dalmazia en citant le début de l'une d'elles : « Alors, paix, que fais-tu ? On t'attend ! » Finalement, le 4 octobre 1992, l'accord général de paix est signé entre le président Joaquim Chissano et Afonso Dhlakama. « Le fait que cet accord ait été signé en la fête de saint François d'Assise a été un signe pour nous ; on a confié le Mozambique à son intercession ! », sourit le P. Zuppi.
Pourtant, le marxiste Samora Machel, premier président de la République populaire du Mozambique entre 1975 et 1986, avait dépouillé l'Église de ses églises, écoles et hôpitaux. Cet athéisme anticlérical a laissé des traces dans les esprits puisque aujourd'hui la moitié des Mozambicains se disent sans religion. Mais depuis 1990 et le vote de la nouvelle Constitution, les religieux et missionnaires ont été autorisés à revenir, et l'Église a récupéré l'essentiel de ses bâtiments, « si ce n'est ses anciens hôpitaux restés propriétés du gouvernement », précise le jésuite Ézéchiel Pedro Gwembe, responsable de la formation des jeunes jésuites à Maputo. Actuellement, l'Église ne demande pas tant de récupérer ces hôpitaux mais de construire un nouvel hôpital catholique à Maputo. « C'est possible car le gouvernement est d'accord », insiste Mgr Chimoio. Et de s'enflammer : « Ce ne sont pas les bâtiments que nous ne cherchons à reconstruire, mais les personnes, pour les mettre debout face à leurs responsabilités ! »
De fait, l'Église est particulièrement investie dans l'éducation avec un millier d'établissements scolaires (les enseignants étant salariés par l'État), huit universités catholiques et une vingtaine d'écoles professionnelles dont l'encadrement est entièrement confié, depuis octobre 2006, aux salésiens de Don Bosco. C'est d'ailleurs sur le thème « Repenser l'éducation au Mozambique » que la Conférence des évêques du Mozambique a publié une charte pastorale lors de son Assemblée plénière de mai dernier. Regrettant que l'éducation ne contribue pas davantage à réduire les inégalités et la corruption, les évêques appellent de leurs vœux une éducation nationale qui promeuve « le développement intégral, la fidélité à la parole donnée, la cohérence dans les comportements, l'émergence d'une conscience écologique »…
Autant de domaines où s'engagent de nombreux chrétiens. « Les autorités politiques et civiles reconnaissent notre savoir-faire », estime le P. Gwembe, en soulignant la présence d'une dizaine de catholiques dans l'actuel gouvernement d'Armando Guebuza. « Mais il leur est souvent difficile de s'opposer », poursuit le jésuite. Pour aider les citoyens à être plus critiques et actifs, diverses formations aux droits de l'homme ont été lancées dans les douze diocèses, en lien avec des avocats chrétiens et la Commission épiscopale Justice et Paix. « Il s'agit de consolider la démocratie, en apprenant aux Mozambicains à œuvrer pour le bien commun et à construire leur avenir », explique Joseph Willems, prêtre belge du Saint-Sacrement, au Mozambique depuis douze ans et responsable des formations bibliques, morales et juridiques, dans la paroisse Santa-Anna. Des formations qui visent à l'unification et à la réconciliation du pays. « Beaucoup ici ont un frère ou un cousin qui a été tué pendant la guerre civile et certains savent qui les a tués, poursuit le P. Willems. Nous les aidons à tourner la page. »