Depuis un certain temps, l’opinion publique est régulièrement informée du nombre de débarquements de réfugiés sur nos côtes. Chaque jour, on dénombre les arrivées et l'évolution par rapport aux années précédentes, soulignant une situation de crise, malgré la baisse générale des débarquements constatée en juillet 2017. Le message subliminal suggère que le nombre de personnes arrivées en Italie reste trop élevé. Cela contribue à alimenter le malaise social et à brouiller les visions plus équilibrées sur la question. Plus rarement, ou avec grande parcimonie, on rapporte l’ampleur du terrible carnage que représente la traversée de la Méditerranée, partant du Moyen Orient et de l’Afrique vers l’Europe. Pourtant, les hommes, femmes et enfants morts en mer représentent une blessure brûlante et douloureuse.
Ce n’est pas un hasard si le premier voyage du pape François, le 8 juillet 2013 eut pour destination Lampedusa. « Qui a pleuré, dit-il, pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour les jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leurs propres familles ? Nous sommes une société qui a oublié l’expérience des pleurs, du « souffrir avec » : la mondialisation de l’indifférence nous a ôté la capacité de pleurer ! » Voilà bien le problème : devant toutes ces nouvelles de souffrance, il semble que notre société ait perdu la capacité de pleurer. Pourtant, l’alerte véritable et le point de départ de tout raisonnement est – devrait être pour tous – la douleur de ces vies humaines perdues.
Beaucoup a été fait par les derniers gouvernements italiens, avec l’intervention des Garde-côtes et de la Marine militaire, pour sauver des vies en Méditerranée. Le renfort apporté par les ONG italiennes et internationales pour les opérations de sauvetage est significatif, dans le plein respect du droit international et du droit maritime. Aujourd’hui, certaines ONG n’ont pas signé le « Code de conduite » proposé par le Ministère de l’Intérieur, parce que, selon elles, certaines dispositions risqueraient de dénaturer leur identité. En particulier, pour les dispositions qui prévoient la présence à bord de fonctionnaires de police « armés » et le fait qu’il faille contribuer sur les navires aux activités d’enquête et de police. Il s’agit de positions légitimes et de désaccords compréhensibles sur lesquels il est possible et nécessaire de réfléchir, et auxquels une solution doit pouvoir être aisément trouvée. Du reste, il s’agit d’un « Code de conduite » et non d’une nouvelle loi, imposée par l’Etat.
Mais ce qui est préoccupant, c’est que l’on continue – chez certains représentants politiques, intellectuels, journalistes – à répandre la suspicion autour des activités de sauvetage conduites par ces ONG, qui travaillent dans le respect des règlements internationaux et du droit maritime, encore plus ancien. Bien entendu, tous doivent travailler dans la légalité, et nous attendrons donc le résultat des enquêtes concernant une organisation allemande dont le navire, utilisé en Méditerranée, a été mis sous séquestre. Néanmoins, il est curieux que les hommes et les femmes d’ONG reconnues, comme Médecins sans Frontières, soient considérés comme des héros lorsqu’ils interviennent en Asie, en Afrique ou en Amérique Latine, et qu’aux confins de l’Europe, leurs actions soient regardées et dénoncées avec suspicion.
Les polémiques de ces derniers jours ne nous aident pas à trouver une réponse à la question migratoire. Or ce sont de réponses dont nous avons besoin, pas d’éternelles polémiques. Les couloirs humanitaires constituent l’une de ces réponses : réponse à la grande crise humanitaire provoquée par la guerre en Syrie ou les terribles conditions de vie dans la Corne de l’Afrique, mais aussi réponse au problème des trafiquants de vies humaines. Le chiffre d’affaires réalisé par la criminalité organisée sur les débarquements effectués depuis 2011 s’élèverait à plus de 4 milliards d’euros, en augmentation de plus de 300 pour cent sur la période 2014-2016, par rapport aux trois années précédentes.
L’initiative des couloirs humanitaires, qui a démarré en janvier 2016, est née comme une réponse aux nombreuses tragédies qui se déroulaient au large de nos côtes. C’est la possibilité que l’Eglise et les communautés chrétiennes offrent aux réfugiés, en accord avec les autorités civiles, afin qu’ils ne troquent pas le risque de leur vie avec leur droit à la protection, rendant ce dernier illusoire.
Les couloirs humanitaires, voies d’accès sûres et légales pour les réfugiés, sont aussi un modèle proposé aux Etats européens pour s’affranchir d’une contradiction : disposer d’un système juridique très avancé, parfois parmi les plus protecteurs au monde, mais dont l’application est extrêmement difficile. Les couloirs humanitaires ouvrent le débat sur le parrainage privé de réfugiés, à introduire en Italie, et sur les regroupements familiaux, à simplifier. De nombreux immigrés sont en situation irrégulière pour la seule raison que le regroupement familial – première forme d’intégration dans une société – n’est pas possible. En définitive, avec les couloirs humanitaires, on entrevoit un modèle équilibré de gestion des demandes d’asile. En outre, il convient d’aborder le sujet plus complexe des canaux légaux pour l’entrée des migrants, avec l’usage de quotas, réelle alternative à l’illégalité et aux tragédies. Voilà autant de réponses que l’Europe pourrait apporter, afin d’éviter que le droit, la solidarité et la démocratie ne soient– comme l’a dit le pape François – que « sa dernière utopie. »
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