Un pasteur et un imam nigérians qui témoignent ensemble de leur travail de médiation, un ministre israélien qui serre dans ses bras un ouléma marocain. Scènes réjouissantes et presque ordinaires saisies dans les coulisses du dernier rassemblement des religions pour la paix qui s’est tenu à Chypre, du 16 au 18 novembre. Un choix symbolique pour Sant’Egidio que d’avoir élu Nicosie, dernière capitale d’Europe déchirée, pour tenir un laboratoire de paix et de dialogue avec 400 dignitaires, penseurs et politiques de toutes religions.
Voilà plus de vingt ans que cette communauté catholique, née à Rome en 1968 d’une volonté de transformer la société par l’évangile, relaye sans relâche l’appel d’Assise et de Jean Paul II à travailler au dialogue interreligieux pour la paix. « Depuis ce jour de 1986, rappelle le fondateur de Sant’Egidio, Andrea Riccardi, nous avons porté l’esprit d’Assise aux
quatre coins du monde. Ayant grandi à l’école de l’Évangile, nous avons horreur de la guerre et nous sentons que la paix est notre vocation. Mais la paix n’est pas seulement la fin de la guerre : c’est la solidarité envers les millions de pauvres du monde. »
Relier le travail pour la paix et le savoir-faire diplomatique à une lutte sociale et spirituelle contre la pauvreté, c’est là toute l’originalité de ces chrétiens atypiques. C’est bien par la prière et la soupe aux sans-abri que tout a commencé en Italie. Exclus des villes d’Europe, malades du sida en Afrique, détenus politiques : la communauté, avec près de 50 000 membres, déploie aujourd’hui son action dans près de 70 pays. Jeunes pour beaucoup, laïcs pour la plupart, ces bénévoles, dont un millier étaient présents à Chypre, ont choisi, à côté de leur métier ou de leurs études, de donner librement du temps au « service du pauvre ». « Une présence hebdomadaire ou quelques heures ponctuelles, tout est possible, observe Tim, venu de Belgique. Pour certains, c’est un choix de vie, pour d’autres, un simple soutien, mais chacun reste libre, sans engagement formel, si ce n’est celui pris auprès
des enfants ou des personnes isolées que vous avez un jour visités. »
Soutien scolaire, aide aux sans-papiers et aux sans-abri, assistance aux personnes âgées, ce sont près d’un millier de volontaires qui, en Belgique, gravitent ainsi dans le sillage de la communauté. « Nous nous sentons chrétiens dans la ville, proches de l’esprit d’un François d’Assise », confie aussi Vincent Picard, père de trois jeunes enfants et membre actif de la communauté à Reims et à Paris. « Nous prions, mais notre monastère est tout autant intérieur, notre service aux pauvres est d’abord un engagement de cœur. »
Un étonnant alliage de compassion et d’action sociale, telle est aussi la teneur de l’engagement de Sant’Egidio en Afrique, où la communauté compte plus d’un tiers de ses membres. Après le programme Dream, qui accompagne, dans 10 pays, 40 000 malades du sida, la communauté se préoccupe aujourd’hui des conséquences des guerres qui minent le continent. Célestin Twizere est rwandais. Ce jeune homme disponible et souriant visite les détenus « dans ces lieux effroyables de promiscuité où beaucoup n’ont même pas une place pour s’asseoir ou pour dormir ».Il s’investit aussi dans ces jugements « sous l’arbre », tribunaux de la tchatche et conseils de sages qui ont pris le relais de la justice officielle pour juger les acteurs du génocide. « J’ai rencontré la communauté alors que j’étais étudiant en physique, témoigne Célestin. C’est dans les “écoles de la paix”, par la prière et le service, que j’ai accueilli les enfants de la rue, les orphelins du génocide. Combattre la pauvreté et l’humiliation est devenu pour moi un devoir moral. »
Agir sur le terrain, mais aussi au niveau des États, en se battant pour l’abolition de la peine capitale, c’est le dernier chantier de la communauté, qui a choisi, cette fois encore, d’allier l’accompagnement individuel à l’action publique. Plus de 800 monuments du monde seront ainsi illumi-nés ce 30 novembre à leur appel (voir encadré). « C’est la lettre d’un jeune Texan détenu dans les couloirs de la mort aux États-Unis, raconte Stefano Argentino, journaliste italien, qui nous a mobilisés. Puis, notre action contre la peine de mort s’est étendue au monde entier. Même si nous travaillons avec d’autres comme l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) ou Amnesty International, nous ne sommes pas une ONG traditionnelle : nous partons toujours d’une rencontre personnelle pour soutenir un combat et ouvrir le dialogue avec les États comme avec les victimes. »
Ainsi, le cas de Tamara Chikunova, en Ouzbékistan. C’est en l’accompagnant depuis six ans, à la fois spirituellement et juridiquement, par des mesures de protection et de pression publique, que Sant’Egidio a médiatisé et appuyé le combat que cette mère menait pour l’abolition de la peine capitale dans son pays (voir son témoignage). De même, au Pakistan, en obtenant le pardon de familles des victimes, la communauté a-t-elle permis de sauver récemment deux détenus de la peine capitale. « Partout où nous sommes maintenant, observe Stefano, si un pays applique la peine de mort, nous luttons pour son abolition ou pour obtenir un moratoire universel par des pétitions, des pressions, mais aussi des concertations. »
Changer les structures sociales par des relations différentes, en éduquant des hommes et des femmes « capables d’apporter la paix là où sont la haine et les conflits », telle est la philosophie de Sant’Egidio. Avec un credo discret mais, semble-t-il, efficient : « Seuls l’amour et le dialogue, affirme le Rwandais Célestin Twizere, sont capables de transformer de façon radicale les rapports entre les êtres humains. »