Communauté de Sant’Egidio, Espagne
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Eminences, Excellences, mesdames et messieurs, chers amis,
La Méditerranée est une mer qui unit et divise. Cette petite mer représente seulement un pour cent de la superficie marine de la planète. Selon les scientifiques, elle contient entre 7 et 15 pour cent de la biodiversité marine globale. Elle est très petite mais extraordinairement variée et décisive. Si on pense aux peuples et aux cultures qui y vivent nous pouvons dire la même chose.
Cette petite partie du monde doit être un des lieux privilégiés dans le monde pour réaliser la vie en commun entre peuples différents. La paix en Méditerranée, ce monde pluriel, dynamique et complexe, comme le rêvait Giorgio La Pira, "sera comme le commencement et le fondement de la paix entre toutes les nations du monde".
Mais aujourd’hui nous entendons des voix simplificatrices qui choisissent de s'isoler, de construire des murs et de souligner la division et la fracture au lieu de poursuivre la longue route du dialogue et de la vie en commun.
De la rive sud, en même temps que le fracas de la guerre en Syrie et du désespoir de sa population, parvient l'écho de la menace terroriste et l'affirmation des extrémistes qui veulent opposer et détruire des millénaires de vies partagées. Mrg Gregorios Ibrahim, év?que d'Alep, lors d'une table ronde sur la Méditerranée comme "espace de rencontre" se demandait en 2010? "Que signifie de respecter la foi religieuse de quelqu’un d'autre?". Sa réponse était riche d'une longue expérience du vivre ensemble. Aujourd'hui Mrg Gregorios, amis et compagnons de ces rencontres, est séquestré en Syrie, comme l'év?que Paul Yazigi et tant d'autres. Nous pensons ? eux et prions chaque jour pour leur libération.
Sur la rive nord, d'autre part, il y a ceux qui disent que le sud est une menace. La Méditerranée odeur de mort, est devenue un cimetière pour des milliers de migrants. Des milliers de réfugiés fuient en raison de la guerre en Syrie. Nous espérons que l'indignation des citoyens génère une politique de l'accueil. Nous avons peu de mémoire du passé. Ces cohortes humaines ne s'étaient plus vues depuis l'exode des exilés de la guerre d'Espagne et depuis la seconde guerre mondiale.
La globalisation a fait tomber tant de frontières, mais en m?me temps elle est en train d'ériger les murs derrières lesquelles les réfugiés et les pauvres sont oubliés. Hamath Sissoko, un jeune sénégalais, arrivé en Espagne sur une barque, raconte? " nous étions 32? 30 hommes et 2 femmes, dont une enceinte. La traversée a duré deux jours et demi; ça été très dur. Certaines personnes vomissaient, d'autres pleuraient. Nous n'avions jamais vu la mer, les vagues qui montaient. Nous avions peur; mais cette fois-ci nous nous en sommes sortis". Hannath avait du attendre au moins deux ans et demi pour franchir l'enceinte de Ceula et Melilla? "Ce que nous ne savions pas, c'est qu'il y avait une barrière de trois mètres de haut, avec des fils de fer barbelés coupants comme des couteaux".
En 1996, l'Espagne a érigé a Ceuta et Melilla le premier mur aux frontières avec le Maroc. En Méditerranée, espace aux frontières poreuses et mobiles, l'Europe aujourd’hui élève des murs. La crise économique et la montée des partis xénophobes et populistes a accru cette tendance. En cette année 2015 la Hongrie, la Bulgarie, la France et le Royaume-Uni sont en train de construire ou d'élargir des murs. Aux frontières entre la Grèce et la Turquie, la Hongrie et la Serbie, la Bulgarie et la Turquie, on est arrivé ? 212 km de mur. Nous n'avons pas encore compris que les réfugiés et les migrants fuient leur pays en raison de la pauvreté et de la guerre. Les affamés et les désespérés qui fuient ? cause de la guerre comme les mafias avec leurs stratégies pour gagner toujours plus d'argent apprennent toujours ? contourner les murs.
La peur de la diversité fait voir la présence des réfugiés comme un problème. La mémoire du passé fait défaut comme l'imagination pour y voir une opportunité. Le futur de l'Europe sera celui d'une société métisse. Une génération globalisée est en train de poindre, et m?me si elle n'oublie pas ses origines, elle s'insère au sein d'une culture européenne et démocratique de liberté. Réveillant l'intér?t pour l'autre, le connaissant, nous nous enrichissons avec ce qui est nouveau.
L'Histoire de la Méditerranée nous enseigne que le futur n'a jamais consisté ? s'isoler. Les moments de grande paix, de coexistence et de bien ?tre ont été ceux où la diversité a été accueillie? le pauvre et le migrant, celui de religion et de culture différentes. Comme l'a déj? affirmé le Pape François a Lampedusa? la compassion, les larmes et la prière pour ceux qui sont morts est la première réponse qui nous unit. Cela est l'expérience que Sant'Egidio vit ? Rome et dans de nombreuses villes européennes avec les prières "Mourrir d'espérance" pour se souvenir de tous ceux qui sont morts dans leur voyage vers un futur meilleur et de paix.
Fernand Braudel disait que avec le temps, la Méditerranée a créé un "système d'échange et d'unité". On ne peut le gâcher. Autour de cette mer, les tensions et les opportunités se transmettent ? grande vitesse. Nous l'avons vu. Les murs se sont dressés rapidement, les tensions deviennent vite contagieuses partout dans le monde. En 2011, la mort tragique d'un universitaire tunisien de 26 ans, Mohamed Bouayiyi, se transformât en un événement géopolitique de première importance, déclenchant le printemps arabe en se transmettant ? d'autres mouvements dans le monde.
Dans l'espace méditerranéen, mais pas seulement, se transmet ce qui sépare comme les murs ou, au contraire, ce qui unit. Nous, nous avons l'espoir de transmettre rapidement ce qui de bon nous unit en cultivant cette vision méditerranéenne que Andrea Riccardi a appelé la "civilisation du vivre ensemble". En ce sens, avant de conclure mon intervention, je voudrais évoquer certains acteurs de cette civilisation.
Les jeunes sont des protagonistes du futur. Ils peuplent la rive sud de la Méditerranée et se relient toujours plus avec ceux du nord, La globalisation, les migrations et le développement des réseaux sociaux ne font pas vivre les jeunes automatiquement avec ceux qui sont différent d'eux. Il y a un grand besoin de construire avec eux une "culture du vivre ensemble" en partant de leur grande énergie et de leur capacité.
Mais on vit dans les villes en Méditerranée. En 2030, le pourcentage de la population urbaine de la rive sud dépassera 90 pour cent. Beaucoup plus que la moyenne mondiale. Ces villes sont dépositaires de l'humanisme Méditerranéen. Don Quichotte de la Mancha, le protagoniste du roman de Miguel de Cervantes, décrit son modèle de ville de la Méditerranée?" Siège de la courtoisie, hôtel des étrangers, hôpital des pauvres, patrie des valeureux, exemple de réciprocité, loyales amitiés, et un site et une ville d'une beauté unique" ?cfr.Parte II Chapitre LXX?.
Il s'agit peut-?tre du r?ve d'un fou, mais parfois les fous…Une belle ville, accueillante pour l'étranger, audacieuse dans la rencontre, ouverte et amis des pauvres. A nous de Sant'Egidio, cela nous plait car nous partons des plus pauvres et de la périphérie pour construire la ville. La ville méditerranéenne a en son centre la place, le lieu de la rencontre et de la socialisation, de l'échange quotidien et varié autour de l'église, de la mosquée ou de la synagogue. Mais aujourd'hui, cette ville cosmopolite et attirante court le risque de perdre son identité, sa capacité d'intégration ? cause de l'homogénéisation globale.
La Communauté de Sant'Egidio a voulu entendre la voix des villes méditerranéennes et a initié il y a deux ans une réflexion ? Livourne en organisant deux manifestations internationales pour développer une culture humaniste, religieuse et politique du vivre ensemble en Méditerranée. Il s'agit d'un processus qui part de la base, des hommes qui aiment les villes.
Mais beaucoup de villes souffrent aujourd’hui. "Pauvre ville!" criait Joan Maragall, un écrivain et penseur espagnol, en voyant sa ville frappée par la violence et par les heurts au début du XXeme siècle. Pauvres villes syriennes! Face ? la tentation du pessimisme ou de l'impuissance, il dit?"Mais non! Je suis descendu dans la rue pour vivre avec mes concitoyens et tant d'autres ont fait comme moi, nous nous sommes inspirés confiance les uns envers les autres. Et il nous est apparu que, du seul fait de la renaissance de la joie entre nous, nous avions déjà vaincu spirituellement le mal…". Et il ajoutait? "et contre l'esprit il n'y a pas de bombe".
Il me semble que cette pensée reflète l'esprit d'Assise. L'esprit de l'amitié, de la sympathie pour l'autre et de la confiance, capable de vaincre le mal, la division et la violence. La Méditerranée est une mer avec de grandes ressources, beaucoup d'entre elles proviennent de sa richesse spirituelle, de ses traditions religieuses. Nous croyons que le dialogue entre les religions et les cultures est une clé pour la coexistence, la paix et la solidarité parce que sans une dimension spirituelle de la vie, les gens n’apprennent pas à s’émouvoir pour l’autre et à vivre ensemble.
Nos traditions religieuses portent un message de paix, cela signifie aussi qu’elle nous pousse à combler l’abysse entre les riches et les pauvres, entre les malades et les bien-portants, entre les jeunes et les vieux, en invitant à considérer la vie comme un service pour les autres et pour la paix. Pour cela, l’Esprit d’Assise ne s’arrête pas à ces grandes rencontres mais descend avec confiance dans les rues et sur les places de chaque ville. Il faut rencontrer l’autre, parce que dans la rencontre on développe le dialogue, on trouve un ami, on commence à marcher ensemble.
Andrea Riccardi, dans son intervention à l’université de Al-Azhar, proposait de construire une vision méditerranéenne solide et articulée. « C’est la civilisation du vivre-ensemble entre personnes différentes – disait-il : c’est la civilisation de nos villes, c’est la civilisation des relations entre nos pays, c’est la civilisation de l’espace méditerranéen. En somme, la réalisation d’une vraie civilisation qui ne s’impose pas aux autres, mais se compose ; une civilisation de la coexistence entre de nombreux univers culturels, politiques et religieux. »
Peut-être est-ce là la réponse pour écrire l’histoire de la Méditerranée, afin que cette mer qui unit et divise soit une mer de paix pour tous.
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