Katholische Universität Buenos Aires, Argentinien
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L’arrivé du pape François au trône de Pierre a apporté une vague d’espérance au monde, l’Amérique latine incluse. Nous pouvons dire que le pape Bergoglio décroche déjà trois primautés : il est le premier pape latino-américain de l’histoire de l’Eglise, le premier pape jésuite et le premier parmi les papes à choisir le nom suggestif et emblématique du Saint d’Assise. Le choix des cardinaux de l’indiquer comme nouvel successeur de Pierre montre le déplacement du centre de gravité de l’Eglise vers le continent latino-américain. Ce continent est vu aujourd’hui sous une nouvelle perspective par les médias et par l’opinion publique ; dans un moment où l’intérêt historique pour l’Amérique latine était en train de faiblir, surtout de la par de l’Europe. Aujourd’hui nous pouvons dire qu’avec l’élection du pape François l’Amérique latine ce redécouvre au centre d’une attention toute nouvelle.
En quel sens pouvons-nous parler d’un déplacement du centre de gravité ?
J’expliquerai en faisant référence au modèle de l’Eglise proposé par le document finale d’Aparecida, de la cinquième conférence générale des évêques latino-américains qui s’étaient réunis en juillet 2007, dans la ville brésilienne qui abrite le sanctuaire marial le plus connu du Pays.
Ce document, revu et approuvé par Bergoglio, rédigé par un groupe de théologiens comprenant entre autres l’argentin Victor Manuel Fernández, aujourd’hui recteur de l’Université catholique papale d’Argentine et récemment nominé archevêque par le pape François, et Carlos Maria Galli, auteur du livre significatif « Dios vive en la ciudad. Hacia una nueva pastoral urbana a la luz de Aparecida », met en évidence le modèle d’Eglise profondément au cœur de pape François et de son pontificat de ce début de millénaire.
A l’occasion d’une rencontre dédiée à la pastorale urbaine organisée en 2011, l’alors cardinal Bergoglio constate, rappelant Aparecida : « La foi nous enseigne que Dieu vie dans la ville ». Dans son analyse, Bergoglio évoque que « Aparecida affirme un changement de paradigme dans la relation entre le sujet chrétien et les cultures élaborées dans les immenses laboratoires que sont les mégalopoles modernes. Le chrétien ne se trouve plus dans la première ligne de la production culturelle mais il en subit les influences et les pressions. » Je voudrais évoquer brièvement quelques unes des affirmations d’Aparecida : « Nous, les chrétiens, nous sommes porteurs de bonnes nouvelles pour l’humanité et non des prophètes de malheur » (Aparecida,29) – retentit l’écho des mots prononcés par Jean XXIII inaugurant le Concile Vatican II, et puis « Dans l’Évangile, nous apprenons la sublime vocation d’être pauvres en suivant Jésus pauvre » (Aparecida,30). L’Eglise tracée à Aparecida est une Eglise missionnaire et ne pas autoréférentielle, joyeuse et sans cesse en dialogue avec le monde et les différentes cultures.
A l’occasion de la récente Semaine mondiale de la jeunesse à Rio de Janeiro, le pape François a repris la réflexion sur l’importance du document d’Aparecida pour l’Eglise latino-américaine. Cela s’est produit au seine de la rencontre avec le comité de coordination avec le CELAM. « Aparecida, soulignait le pape François, n’avait pas de document préalablement préparé pour la discussion et recommandé à l’attention des évêques, comme les assemblées précédentes (Medellin, Puebla, Santo Domingo), mais elle a encouragé la participation des Eglises particulières comme chemin de préparation qui a trouvé son point culminant dans le document de synthèse ».
Un autre élément souligné était l’atmosphère priant qui a fait mûrir le document : les prières des fidèles au sanctuaire ont quasiment accompagné le travail des évêques, et de ce climat de prière « a jailli le désir d’une nouvelle Pentecôte » et l’engagement pour la mission continentale. La dernière facteur souligné par le pape Bergoglio était le fait que c’était le premier congrès des évêque latino-américains qui se tenait à un sanctuaire marial, « une mariologie saine présente dans le cœur de notre peuple ». D’où naît, conclut Bergoglio, un document harmonieux, auquel ont tous contribué : « Le disciple du Christ n’est pas une personne isolée dans une spiritualité intimiste, mais une personne en communauté pour se donner aux autres. Mission continentale implique par conséquent appartenance ecclésiale. » Et là se développe toute la réflexion sur une Eglise missionnaire et en dialogue avec le monde, miséricordieuse, une Eglise pleinement résumée par l’image magnifique que le pape a repris dans son interview donné à Civiltà Cattolica, l’image « d’un lazaret qui soigne les blessures ». Un concept basé sur la vision du bienheureux Jean-Paul II de « l’Eglise de la miséricorde ».
Le pape François stigmatise les tentations présentes dans une vision missionnaire de l’Eglise. L’une d’entre elles est celle de l’idéologisation du message évangélique, une autre celle d’un réductionnisme sociologique, il y a puis la tentation de l’idéologisation psychologique du message chrétien, puis la proposition gnostique qui la proposerait comme une spiritualité supérieure. Le pape évoque en suite la tentation de la proposition pélagienne selon laquelle les maux de l’Eglise trouveraient l’antidote dans la discipline et dans la restauration de comportements et de formes dépassés, mais qui sont désormais incapable d’être en syntonie avec le monde car ils se renferment en des petits groupes, avec des tendances exagérées, dans leur recherche d’une sécurité doctrinale ou disciplinaire. Il rappelle en suite la tentation du fonctionnalisme compris dans un sens organisationnelle, une sorte de « théologie de la prospérité », et conclut par la tentation toujours présente en Amérique latine du « cléricalisme ». Ce dernier donne une explication ainsi que la motivation de la manque de maturité et de liberté chrétiennes au sein d’une grande partie du laïcat latino-américain.
L’idée chère au pape François de l’« intégration latino-américaine »
En face de toutes ces tentations, le pape François propose celle « théologie du peuple » dont les théologiens comme les argentins Lucio Gera et Rafael Tello ont été les supporteurs et les épigones, dans les années 60 et 70, et que Bergoglio a toujours profondément appréciée.
Aparecida et les réflexions récentes, maturées par le pape François d’une distance de six ans ne se décrochent évidemment pas de nulle part, mais elles se développent dans un parcours historique pleinement vécu pendant son magistère épiscopale à Buenos Aires.
D’après mes expériences « porteñe » (de la ville de Buenos Aires), le pape François a une vision latino-américaine qui est profondément intégratrice, inspirée par la recherche de l’intégration. Je voudrais m’arrêter un moment sur cet aspect qui donne, dans ma vision, une clé d’interprétation de l’épiscopat de Bergoglio. Son idée est celle d’une « Patria Grande » supportée par un spécialiste uruguayen cher au pape, Alberto Methol Ferré. Ce concept d’intégration latino-américaine reprend en parallèle l’idée de la maison commune européenne du bienheureux Jean-Paul II. C’est dans cette perspective que ce situe le pape François, et ses nombreux entretiens jusqu’ici, avec les chefs d’Etat latino-américains, font preuve de sa volonté déterminé que l’idée de l’intégration ne soit pas exclusivement de nature économique mais aussi culturelle et religieuse ; ce qui est le seul chemin viable pour surmonter l’inclination litigieuse endémique et la « culture de guerre » typiques de ces nations, des caractéristique qui ont laissé leurs trace partout dans l’histoire des peuples du continent latino-américain.
Nous pouvons donc constater que le pape Bergoglio exalte la culture du métissage et encourage la culture du vivre ensemble de gens différents. C’est dans ce contexte que nous pouvons insérer son travail pastorale en faveur du dialogue interreligieux dans sa diocèse de Buenos Aires. L’évêque Bergoglio a créé, au cours de 15 ans de gouvernement pastorale, des nombreux liens œcuméniques et interreligieux importantes, caractérisés par l’amitié personnelle et respectueux de la réalité historique d’une ville cosmopolite comme Buenos Aires. L’amitié avec la communauté juive dont la présence ici aujourd’hui du rabbin Skorka est un témoignage éloquent, ainsi qu’avec la communauté islamique a fait de cette ville un laboratoire intéressant de dialogue et de rencontres. Elle était également à l’origine de nombreuse initiatives interreligieuses pour la paix et contre le terrorisme.
Cette culture de la rencontre que le pape François propose de nouveau est une culture qu’il a vécue pendant ces années de soins pastoraux à Buenos Aires. Il a toujours fait preuve, avec des gestes et des paroles, de son amour préférentiel pour les pauvres, ainsi que sa proximité à la ville dans les moments de douleur (rappelons l’incendie de la discothèque de Cromañon qui a coûté la vie de presque 200 jeunes, ou plus récemment, l’accident ferroviaire à la gare de Once en 2012) qui l’ont vu prophète qui n’est pas écouté, comme quand il élevait sa voix contre « la ville qui ne sait pas pleurer sur elle-même », contre la ville corrompue qui tue ces enfants dans la commerce d’esclaves, dans la prostitution et dans l’exploitation du travail des mineurs et des femmes. Il témoignait de son amour privilégié pour les enfants et les personnes âgées depuis toujours en les réunissant chaque année à des grandes liturgies populaires et en dénonçant l’opinion publique qui les considérait « les déchets, les écartés de la société ».
Aujourd’hui, le pape François – que j’aimerais encore appeler Monseñor o Padre Jorge – nous indique, comme le pape de l’espérance, de la miséricorde et de la tendresse, un chemin sûr, celui de l’humilité et de la sympathie humaine, à fin que aucun homme, aucune femme ne se sente orphelin et que tous aient la conscience claire d’un destin future commun, en marchant avec « le courage de l’espérance ».
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