La messe n’est pas finie
Une église profanée par la violence ; un prêtre tué alors qu’il célébrait la Messe ; des fidèles et des religieuses blessés... Nous avons vu cela dans le monde entier ; nous l’avons déjà vu aussi en France, lorsque Frère Roger fut tué à coups de couteau au cours de la prière des vêpres à Taizé. Nous n’aurions plus jamais voulu revoir cela, ici, en Europe. Mais c’est arrivé. C’est un geste révélateur de l’inhumanité des terroristes et de leur manque absolu de sentiment religieux, ce sentiment qui habite au contraire de nombreux musulmans, animés du respect des « hommes de Dieu » et de la prière. Jeunes, fous, enfermés dans la logique totalitaire de la haine et dans la propagande de Daech, ils ont commis cet acte cruel. Détestable exhibition de violence brutale. Expression d’une volonté primaire de terroriser la société française pour la faire basculer dans des réactions irréfléchies. Avec sagesse, le président des évêques français, monseigneur Pontier, a déclaré qu’il ne fallait pas céder à la peur. Avec sagesse, les évêques italiens ont aussitôt rappelé que l’on ne peut pas céder à des « logiques de fermeture ou de vengeance ».
Pourquoi une attaque contre une église ? Il s’agit d’une de ces paroisses qui font la France périphérique et rurale : une église qui a traversé l’histoire séculaire du catholicisme normand. Elle est servie aujourd’hui par un curé congolais, aidé par un prêtre octogénaire français, Jacques Hamel, tué au pied de l’autel pendant qu’il célébrait. Les prêtres manquent en France. Mais l’Église n’est pas morte, ni à l’agonie. Bien au contraire, elle tient avec courage et vit ma mission avec l’aide de laïcs et de religieuses, et aussi avec le dévouement d’un prêtre âgé, qui avait célébré ses cinquante ans de sacerdoce en 2008, mais qui ne s’était pas arrêté. Tels sont nos prêtres : des gens qui vivent leur vie entière comme un service, pas bien payés, parfois seuls, mais imprégnés d’esprit de service. Aujourd’hui, on doit exprimer du respect pour l’Église de France qui, bien qu’ayant passé par bien des difficultés, garde ses églises ouvertes, prêche et célèbre avec grande dignité, animée par la communication de l’Évangile.
Pourquoi une église ? – la question revient. C’est un symbole chrétien. Et, aujourd’hui, cette église Saint-Etienne, baignée du sang des martyrs, l’est encore plus. Elle l’est du fait de cette Messe interrompue par la violence. De manière très claire, l’Église de France et l’Église universelle (de Jean-Paul II à François) n’ont jamais reconnu l’existence d’une guerre de religion entre l’occident (chrétien) et l’islam. En janvier 2002, après les attentats du 11 septembre, le pape Wojtyla appela les responsables religieux à prier pour la paix à Assise. Avant cela, il voulut un jour de jeûne pour les catholiques coïncidant avec la fin du Ramadan. L’Église n’entre pas sur le terrain avec les populistes contre l’islam. Hier, l’ont blessée tous ceux qui sont imbibés de la haine attisée par la guerre sainte, pour l’entraîner dans l’affrontement et la faire sortir de son attitude sage et maternelle. Le Père Jacques avait écrit sur le blog de la paroisse à propos des vacances : « Un temps pour être respectueux des autres, quels qu’ils soient ». Et il avait demandé : « Priez pour ceux qui sont le plus dans le besoin, pour la paix, pour mieux vivre ensemble …». Tel est le sentiment profond de l’Église qui, dans son tissu humain, favorise la rencontre, pénètre dans les milieux difficiles, aide ceux qui ne vont pas bien : vivre ensemble avec l’autre dans la paix. L’Église est un espace du gratuit et de l’humain dans une société compétitive où tout a un prix. Elle est surtout un espace ouvert.
La porte ouverte de nos églises (celle à travers laquelle sont entrés les assassins du Père Hamel) s’oppose à la multiplication des clôtures, des grilles, des murs, fruits de la peur. Là, dans l’église, tous peuvent entrer : les pauvres, les nécessiteux, les personnes en quête de sens, celles qui demandent une parole ou un geste d’amitié. Dans cette église, comme dans de nombreuses autres églises en France et en Europe, se cache le secret d’un monde qui ne croit pas aux murs et qui ne cède pas à la violence. Elle forme une partie du continent qui dérange sans doute le plus les hommes violents. Une partie à l’apparence faible (comme le vieux prêtre), mais très forte : « Jésus est venu se rendre vulnérable », avait écrit le Père Jacques à Noël dernier.
Après l’assassinat du prêtre, monseigneur Pontier a fait écho à ce dernier : « Seule la fraternité, chère à notre pays, est la voie qui conduit à une paix durable. Bâtissons-la ensemble ». Ces gestes de mort appellent les chrétiens à une mission renouvelée au milieu d’une si grande violence en Europe. Il faut former le rêve de pacifier la société : intégrer les nombreuses personnes restées aux marges, hostiles, inquiètes et étrangères au sentiment d’une communauté de destin. Il s’agit d’une mission évangélisatrice et pacificatrice. Pas seulement des paroles occasionnelles, mais une exigence profonde de notre temps, qui se fait vocation pour l’Église. Il faut continuer, au milieu des gens, la Messe du Père Jacques interrompue par la violence.
Andrea Riccardi
Avvenire, 27 juillet 2016
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